Appel à la grève maintenu à la SNCF: à quoi faut-il s'attendre à partir du 11 décembre?

"Des discussions mais beaucoup de colère". Malgré deux heures d'entretien avec François Durovray, le ministre des Transports ce mercredi, l'intersyndicale des salariés de la SNCF ressort avec "non pas de la frustration, mais beaucoup de colère", indique à BFMTV, Thierry Nier, Secrétaire général de la CGT Cheminots.
Le préavis de grève reconductible à la SNCF à partir du 11 décembre au soir est donc maintenu. Les conséquences sur le trafic seront connues 48 heures avant le début du mouvement.
Rappelons que ce préavis s'appuie sur deux revendications majeures: le plan de discontinuité de Fret SNCF avec la création de deux nouvelles filiales qui va s'appliquer au 1er janvier prochain et l'ouverture à la concurrence notamment dans les trains régionaux, les TER.
"La première exigence que nous avions, c'est de fixer un moratoire sur le plan de discontinuité de Fret SNCF, le ministre refuse d'accéder à cette exigence", poursuit le responsable de la CGT.
Inquiétude redoublée face à l'absence de Budget
L'inquiétude est d'autant plus forte que l'absence d'un budget pour 2025 suite à la motion de censure qui devrait être adoptée ce mercredi fait peser un risque sur la viabilité économique des futures filiales - Hexafret et Technis - qui doivent remplacer Fret SNCF.
Le gouvernement avait prévu dans le budget une aide supplémentaire de 30 millions d'euros pour le wagon isolé (les trains transportant des chargements pour plusieurs clients), condition indispensable à la survie des filiales, selon le PDG de la SNCF Jean-Pierre Farandou.
"Les aides de 2025 ne vont pas s'appliquer et on sait que la viabilité des deux prochaines filiales repose sur ces aides", a prévenu le secrétaire fédéral Sud-Rail, Julien Troccaz. Les 4.500 salariés de Fret SNCF risquent d'être transférés "dans des boîtes dont la viabilité économique n'est pas garantie", a-t-il insisté.
Rappelons que cette décision de "discontinuer" Fret SNCF, moyennant une cure d'amaigrissement et une ouverture du capital au privé en 2026, découle d'une enquête ouverte par la Commission européenne début 2023 pour des aides publiques jugées illégales.
Fret SNCF devait alors rembourser 5,3 milliards d'euros d'aides ce qui aurait provoqué sa faillite immédiate. Pour le gouvernement (et les précédents), le plan de discontinuité est la moins mauvaise des solutions, car elle préserve l'activité et la plupart des salariés (les autres seront transférés dans d'autres activités du groupe).
"Une bataille d'intérêt général"
Mais pour les syndicats, d'autres pistes auraient pu être envisagées, en s'appuyant notamment sur un moratoire d'un an. Pour eux, il s'agit d'"une bataille d'intérêt général".
D'autant plus que la Commission européenne vient d'approuver une aide de l’État allemand de 1,9 milliard d’euros en faveur de DB Cargo, la filiale de fret ferroviaire de la compagnie allemande Deutsche Bahn (DB), conditionné à la mise en œuvre d’un plan de restructuration. Comme la SNCF, la DB avait épongé les pertes de sa filiale. Ce feu vert européen ulcère les syndicats.
Les cheminots appellent aussi à faire grève pour dénoncer les conditions de l'ouverture à la concurrence dans le transport de voyageurs et notamment sur le marché des TER. Pour le moment, seul un appel d'offre a été remporté par un concurrent de la SNCF, à savoir Transdev pour la ligne Marseille-Toulon-Nice qui débutera ses opérations en juin prochain.
Là encore, les syndicats redoutent les conditions de travail et de rémunération des nouveaux entrants (les cheminots ont le choix de rejoindre ou pas le nouvel exploitant en cas de changement d'opérateur) ou de nouvelles filiales de la SNCF qui remporteraient ces lots.
"Une de nos revendications est de renoncer à la mise en place de filiales dans le cadre des appels d'offre de transports des voyageurs. On a eu aussi une fin de non-recevoir sur ce point là", poursuit Thierry Nier, qui indiquait hier, "nous considérons que la pression doit se maintenir en appelant massivement à la grève reconductible la semaine prochaine".
Vers un mouvement peu suivi?
Faut-il s'attendre à un mouvement suivi et donc à de fortes perturbations lors des départs pour les vacances de Noël. Contrairement à 2022 et 2023 où les revendications salariales étaient au cœur du conflit (provoquant une grève dure en 2022), les mots d'ordre en 2024 semblent moins mobilisateurs.
Selon nos informations, la grève serait peu suivie nationalement, les perturbations les plus importantes seront locales. Les cheminots sont en effet peu enclins à poser des jours pour ce préavis.
Il faut dire que le sort de SNCF Fret est acté depuis longtemps et il sera impossible de revenir en arrière, selon beaucoup d'entre eux. Même chose du côté de TER, les appels d'offres sont en cours, certains sont déjà bouclés (et la SNCF en remporte la majorité). "C'est déjà joué", nous glisse un cheminot.
D'autant plus que la concurrence n'est pas forcément moins-disante que la SNCF en matière de conditions de travail et de rémunération. Pour une simple et bonne raison: les conducteurs de train sont une denrée rare aujourd'hui.
La loi prévoit en effet un socle de garanties sociales maintenues au bénéfice des salariés transférés ("sac à dos social"), notamment un niveau de rémunération minimum, le maintien du régime spécial de sécurité sociale et celui de divers avantages, dont les facilités de circulation.
Les salaires absents des revendications
Transdev par exemple propose le maintien du salaire net, mais des avantages sociaux moins avantageux que ceux de la SNCF (notamment pour les conducteurs au statut).
Tous les dispositifs ne sont cependant pas encore en place, notamment les accords sur la protection sociale et la formation. Et il reste à définir précisément le mode de calcul des pensions de retraite.
Un autre cheminot nous explique que les syndicats auraient dû porter le fer contre la concurrence sur le TGV en appuyant la proposition du ministre des Transports d'obliger les nouveaux entrants à ne pas se concentrer uniquement sur les lignes les plus rentables et d'ouvrir des liaisons d'aménagement du territoire.
Enfin, la question des salaires n'a pas lieu d'être: les syndicats ont répété à l'envi qu'elle ne faisait pas partie des revendications, tandis que la direction a accordé une nouvelle augmentation moyenne de 2,2% en 2025 à tous les salariés, la quatrième en quatre ans.
Pour autant, Sud-Rail exige toujours une augmentation de 400 euros pour tous les cheminots, et une augmentation de toutes les primes qui constituent une part importante du salaire.