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Loin de Paris, des entreprises se disent étouffées par la crise politique

François Bayrou et Sébastien Lecornu le 10 septembre 2025 à l'Hôtel Matignon à Paris lors de la passation de pouvoir entre les deux hommes. (Illustration)

François Bayrou et Sébastien Lecornu le 10 septembre 2025 à l'Hôtel Matignon à Paris lors de la passation de pouvoir entre les deux hommes. (Illustration) - Ian LANGSDON © 2019 AFP

L'instabilité politique nationale met à mal l'organisation de nombreuses entreprises locales. En Ille-et-Vilaine, les entreprises sont nombreuses à ne plus s'y retrouver et à se projeter dans l'avenir.

"On est vraiment inquiet", soupire Willy Jouie. Dossiers de commandes vides, investissements repoussés, embauches gelées: comme de nombreuses petites entreprises, sa menuiserie de Janzé près de Rennes, en Ille-et-Vilaine, souffre de la crise politique qui s'éternise.

Si les machines de l'atelier qui jouxte le bureau du patron fonctionnent encore pour fabriquer des portes, fenêtres ou escaliers en bois, son portefeuille de commandes se réduit, et avec lui sa trésorerie.

"J'ai des collègues qui n'ont quasiment plus de boulot", explique le chef d'entreprise qui dénonce "l'instabilité politique", cause de "flou" et "d'indécision" chez ses clients.

Depuis la dissolution décidée par le président de la République Emmanuel Macron en juin 2024, "notre téléphone sonne nettement moins souvent. On a une visibilité réduite à 2-3 mois de commandes, là où, avant, on avait plutôt 6 à 8 mois", explique-t-il.

"Aujourd'hui on n'est pas dans l'investissement, le développement", poursuit Willy Jouie, évoquant un "gel des recrutements, des salaires et des primes".

Très dépendant des politiques publiques comme le dispositif MaPrimeRenov', une aide à la rénovation énergétique des logements, Willy Jouie ignore s'il sera reconduit.

Clients "en mode repli"

Cet artisan explique suivre chaque jour les soubresauts de l'actualité politique, à l'instar de ses clients. "Ils sont tous rivés devant leur poste de télé à attendre justement des décisions, des aides qui ne viennent jamais, constate-t-il. Les clients nous le disent automatiquement, ce sont des discours de peur ou d'incertitude. Je ne sais jamais quoi leur répondre puisque je ne suis pas politique".

Ses employés s'activent dans le jardin d'un client, William Alet, à Bruz (Ille-et-Vilaine), pour installer une pergola. Ce propriétaire de 51 ans, qui repoussait son projet depuis trois ans, comprend tout à fait ceux qui font le choix de ne pas engager de travaux.

Face à l'instabilité politique, "le réflexe, c'est clairement de limiter tout ce qui est investissement et d'épargner", estime ce commercial dans l'agroalimentaire. Il se déclare lui-même "en mode repli", pour prévoir même le futur de ses enfants "en bas âge".

"Aujourd'hui, bien grand celui qui peut deviner ce qui va se passer demain. Quand je dis demain, c'est vraiment demain", ajoute-t-il.

En France, quelque 28.300 emplois ont été supprimés sur un an chez les artisans du bâtiment. Le secteur a accusé une baisse de 4,5% de son activité au deuxième trimestre, plombé par la construction neuve, elle-même en réponse de 9%, selon des données publiées en septembre par la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb).

"Visibilité anéantie"

Jean-Michel Galle, dirigeant d'une entreprise de chauffagistes employant 25 personnes à Fougères (Ille-et-Vilaine), a dû s'adapter. Depuis la dissolution, il a embauché deux apprentis au lieu de trois, et a arrêté de faire appel à des intérimaires. "Quand les clients sentent qu'ils vont avoir des difficultés, ils suspendent" leurs projets "et derrière on le paye cash", explique-t-il.

"On commence à trouver ça long, cette instabilité politique nationale" qui se traduit par une "visibilité complètement anéantie", souligne également Eric Challan Belval, responsable du Mouvement des entreprises de France (Medef) pour l'Ille-et-Vilaine.

Il dénonce une situation "complètement détériorée" qui se traduit également par des retards de paiements. "Nous, on a besoin de faire des prévisionnels, on ne pilote pas une boîte au doigt mouillé, dit-il. Il n'y a rien de pire pour un entrepreneur que de ne pas savoir quelles vont être les règles du jeu à venir".

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La stabilité politique est "la condition sine qua non pour que l'économie avance", plaide ce dirigeant d'une entreprise de recyclage des déchets.

La crise politique représente "15 milliards" d'euros de manque à gagner d'activité entre 2024 et 2025, selon Mathieu Plane, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (Ofce).

Il confirme que dans un contexte politique incertain, "l'hyperprudence des ménages", qui consomment moins, se conjugue au "frein" mis par les entreprises "sur l'investissement et les embauches".

L.P. avec AFP