Fonds-marins: comment la France se prépare à la "guerre des abysses"

BathyBot est un robot capable d'explorer l'océan à 2400 mètres de profondeur. Il a été conçu par le centre Ifremer et le CNRS (image d'illustration) - Boris Horvat - AFP
Le 27 janvier 1968, la Minerve, un sous-marin d'attaque de la Marine nationale mis à flot en 1962, disparaissait avec ses 52 membres d'équipage au large de Toulon. Ce naufrage a mis en lumière la faiblesse française en matière d'exploration des grands fonds. Il a fallu attendre 2019 et les moyens d'Ocean Infinit, une entreprise américaine, pour retrouver le submersible à 2370 mètres de profondeurs en seulement 5 jours.
Un hommage a alors pu être rendu aux marins sur le porte-hélicoptères Tonnerre juste au-dessus de l’épave. Ce succès a néanmoins été perçu par le ministère des Armées comme un "électrochoc" en constatant que "les moyens français ne sont pas au niveau" de ceux "détenus par nos compétiteurs".
"C’est ce même jour [celui des hommages rendus, NDLR], que s’est forgée en moi l’intime conviction que la France devait redevenir une Nation phare dans la maitrise des fonds marins et l’exploration des grandes profondeurs" a dévoilé Florence Parly, ministre des Armées, lors de présentation de la stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins à Paris le 14 février.
Pour la ministre, cet objectif géostratégique est du même ordre que le cyberespace ou l'espace exo-atmosphérique. Les fonds marins sont l'objet d'une compétition mondiale dans laquelle la France ne peut se distancer. Ils recèlent des ressources et permettent l'acheminement énergétique et des câbles par lesquels transitent aujourd'hui 99% des communications numériques mondiales.
"Les fonds marins sont un nouveau terrain de rapport de forces qu'il nous faut maîtriser pour être prêt à agir, à se défendre et, le cas échéant à prendre l'initiative, ou du moins, à répliquer", a souligné lundi la ministre des Armées Florence Parly en présentant les ambitions françaises dans cet espace.
Selon la ministre, avec les moyens techniques d'acheminement d'énergie, les drones sous-marins ou l'intelligence artificielle, "certains ambitionnent de contrôler le fonds des mers et mettre en péril la liberté de navigation", s'inquiète-t-on au cabinet de la ministre des Armées en évoquant la "Seabed Warfare", ou "guerre des abysses".
Le mot "guerre" n'est pas usurpé. Les câbles sous-marins peuvent faire l'objet d'espionnage et de sabotage. "Nous savons qu'ils peuvent la cible de nations, tentées de surveiller ou de dégrader ces infrastructures sensibles", a déclaré Florence Parly.
Objectif - 6000 mètres
Le navire militaire océanographique russe Yantar a été repéré à plusieurs reprises ces derniers mois au large de l'Irlande à proximité de câbles sous-marins transatlantiques de télécommunications. Ce bâtiment dispose d'un mini sous-marin pouvant plonger jusqu'à 6000 mètres de profondeur. D'autre part, selon la presse danoise, Washington se serait servi de 2012 à 2014 du réseau de câbles sous-marins danois pour écouter des personnalités de quatre pays (Allemagne, Suède, Norvège, France), parmi lesquelles la chancelière Angela Merkel.
Soucieuse de préserver sa liberté d'action maritime et de protéger ses intérêts dans sa vaste zone économique exclusive (ZEE), la deuxième plus grande au monde, la France a ainsi l'intention d'accroître ses capacités de surveillance et d'intervention dans les fonds marins, sous faible préavis et si besoin en milieu contesté.
Au-delà de 2000 mètres, soit 80% des fonds marins, tout reste à explorer. L'objectif de la Marine française est de descendre à 6000 mètres de profondeur d'ici 2025 en développant un robot sous-marin avec un cordon ombilical (ROV - pour surveiller et intervenir avec un bras) et d'un drone sous-marin (Autonomous underwater vehicle, AUV - essentiellement acoustique), contre des capacités limitées à 3000 mètres aujourd'hui.
Et acquérir dès cette année de l'équipement étranger pour démarrer au plus tôt les expérimentations. La France possède 2 ROV qui vont respectivement à 1000 et 2000 mètres et ne possède pas de drone AUV.
"Tout ce qui n'est pas surveillé finit toujours par être pillé et contesté", a conclu Florence Parly, en faisant valoir que "cette stratégie de maîtrise des fonds marins fait de la France la première nation à affirmer ouvertement son ambition".
