TOUT COMPRENDRE - Un drone Reaper américain intercepté en mer Noire par la Russie

C'est l'incident que beaucoup redoutaient. Mardi 14 mars, un drone Reaper MQ-9 s'est abimé en mer Noire à la suite d'une action d'un avion de chasse russe.
"C'est un incident très grave. Cela ne peut qu’attiser les tensions", estime le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV.
En effet, la zone est hautement sensible. Elle a six pays riverains parmi lesquels l'Ukraine (au nord-ouest) et la Russie (au nord-est) et donc, de nombreux navires militaires s'y trouvent avec de nombreux survol d'avions de surveillance et de combat. La Russie y dispose également d'une base navale en Crimée.
Très récemment, un B-52 Stratofortress américain y a été aperçu non loin des rives de la mer Noire, à la frontière de la Roumanie et la Bulgarie, deux autres pays riverains situés à l'ouest de cette mer.
Au lendemain de ce crash, les tensions sont montées d'un cran entre les Etats-Unis, qui accusent l'aviation russe d'avoir fait chuter un de ses drones, et la Russie, qui Washington à cesser les vols "hostiles" près de ses frontières. Quelques éléments pour mieux comprendre cette situation.
• Qu'est ce qu'un drone Reaper?
Un drone Reaper est un appareil américain conçu par General Atomics pour effectuer des missions de reconnaissance et de surveillance. C'est aussi un drone tueur capable de mener des attaques d'une redoutable précision, d'où son nom Reaper (faucheuse en français).
C'est un drone MALE (Medium Altitude Long Endurance) de 20 mètres d'envergure. Le MQ-9 est la dernière version du Reaper. Il peut transporter des charges jusqu'à une tonne, près de 500 kilos de bombes, et dispose de plusieurs réservoirs de carburant pour assurer une autonomie allant jusqu'à 42 heures.
Bardé de capteurs, il capte toutes les informations possibles (images, son, transmissions, données...) dans les régions qu'il survole et les transmet en direct à une station au sol où se trouvent son équipage.
Les Etats-Unis dispose d'une flotte de plusieurs centaines de ces drones. Ils sont vendus à d'autres pays dont la France qui les a utilisé en Afrique lors de l'opération Barkhane. Les pilotes français sont formés sur la base aérienne de Cognac où sont également formés les pilotes de chasse de l'armée de l'Air.
• Attaque volontaire ou accident?
C'est un question grave qui pourrait envenimer les tensions entre la Russie et l'Otan. Le ministère russe de la Défense, affirme que le Reaper survolait "la zone de la péninsule de Crimée" et avançait "en direction" des frontières de la Russie.
Toujours selon Moscou, l'appareil volait "avec des transpondeurs éteints" et avait violé "la zone du régime provisoire d'utilisation de l'espace aérien établie pour mener l'opération militaire spéciale" en Ukraine, selon le ministère. Moscou affirme que les deux Sukhoï ne l'ont pas heurté, n'ont pas tiré sur lui et ne sont pas responsables de sa chute.
Washington "réfute" cette version. John Kirby, porte-parole de la Maison Blanche, dénonce un "acte irréfléchi" des Russes. Les Américains disposent des enregistrements audio et vidéo du Reaper permettant de contredire la version russe. Mercredi, lors d'une téléconférence, John Kirby a confirmé que "le drone américain survolait les eaux internationales et n'avait pas besoin de l'autorisation de la Russie".
La chute du Reaper aurait été causée par les pilotes russes. L'un des SU-27 aurait largué du carburant pour aveugler le Reaper avant de percuter son aile pour le déstabiliser. Les pilotes au sol qui n'avait plus le contrôle de l'appareil auraient alors décidé de le faire chuter comme le reconnait le brigadier général Pat Ryder, porte-parole du Pentagone, en confirmant que le drone était "incapable de voler et incontrôlable donc nous l'avons fait descendre".
La chute n'est donc pas du fait des Russes, mais ils ont tout fait pour en arriver là.
"Les Reaper volent lentement [environ 350 km/h, NDLR] et ne sont absolument pas furtifs et très facilement identifiables par les pilotes, d'ailleurs, dans cette zone, entre la mer Noire et la Baltique, il y a de nombreux appareils de surveillance comme des Reaper ou des Awacs. La France y effectue aussi des missions de surveillance. Tous sont bien sur observés par les militaires russes", précise Jérôme Pellistrandi
Dans le passé, il y a déjà eu des interceptions de drones américains qui ont été raccompagné par des avions russes, "mais cet incident était "unique" dans la mesure où il a abouti à la perte du Reaper".
• Faut-il craindre des conséquences?
Les Russes et les Américains veulent montrer leur détermination, mais ne veulent pas d'une escalade. "Les interceptions d'avion et de drones sont monnaie courante, mais la destruction de l'un de nos appareils est une première. Nous sommes déterminés à protéger nos forces et à faire face à toutes les menaces qui se présentent à nous", a déclaré John Kirby.
"C'est le jeu du chat et de la souris. C'est évidemment un acte délibéré des Russes mais ils ne vont pas l'avouer pour ne pas risquer une escalade avec les forces aériennes de l'Otan", estime le général Pellistrandi.
La voie diplomatique a pour le moment été privilégiée. Washington a dès hier convoqué l'ambassadeur russe aux Etats-Unis, Anatoli Antonov et et l'ambassadrice des Etats-Unis à Moscou, Lynne Tracy, a adressé un message au ministère russe des Affaires étrangères. Le terme employé n'est pas une "attaque", mais une "interception"
"Nous sommes en contact directement avec les Russes, au niveau des hauts responsables, afin de leur transmettre notre forte objection face à cette interception", avait déclaré à la presse le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price.
Mercredi, le ministre américain de la Défense Lloyd Austin a appelé mercredi la Russie à opérer ses avions "de façon sûre et professionnelle" et replacé la chute du drone dans un contexte d'agissements "agressifs" de pilotes russes. De son côté, la Russie a appelé Washington à cesser les vols "hostiles" de drones.
• Course contre la montre pour la récupération des débris?
Une course contre la montre est lancée. Au-delà de la diplomatie, la mission prioritaire des Américains, mais aussi des Russes, est de récupérer les débris du Reaper. Moscou dispose d'une flotte conséquente en mer Noire, contrairement aux Américains qui n'y ont aucun navire. La convention de Montreux signé en 1936 ne leur permet pas d'y être en cas de conflit.
Mais il y a les airs. Dès hier, un Boeing P8 A Poseidon de l’US Navy survole la zone du crash. Dès que les débris auront été localisés, les Etats-Unis devront demander à un pays riverain de la mer Noire d'aller récupérer l'épave. Vraisemblablement, ce sont les Roumains qui iront la chercher avec l'aide officieuse de nageurs de combat américains.
En tous les cas, la Turquie, bien que membre de l'Otan, ne sera pas associé à ces opérations pour ne pas risquer qu'elle accède à des technologies américaines sensibles.
"Les Américains ne veulent pas prendre ce risque", confirme le général Pellistrandi.
En matière de drones, Ankara est déjà à la pointe notamment avec les drones Bayraktar qu'elle fournit à l'Ukraine. D'autre part, ses relations ambigües avec Moscou compliquent les relations avec Washington.
