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Guerre en Ukraine: Moscou pourra-t-elle former, équiper et armer les 300.000 réservistes nouvellement mobilisés?

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La Russie rappelle 300.000 réservistes, alors qu'elle peine à produire armements, munitions et équipements. Selon Washington, l'annonce de cette "mobilisation partielle" est un aveu de "faiblesse".

L'armée russe atteindra un effectif de 2,3 millions d'hommes d'ici à janvier 2023 avec la mobilisation des 300.000 réservistes annoncée ce matin par Sergueï Choïgou, ministère russe de la Défense.

Une armée enlisée en Ukraine depuis plusieurs semaines et qui perd chaque jour des équipements détruits ou récupérés par Kiev. L'industrie peine tellement à produire que Moscou aurait fait appel à la Corée du Nord, à la Syrie et à l'Iran pour reconstituer ses stocks d'armes. Ce jeudi, Pyongyang a démenti fournir à Moscou de l'armement.

La situation est telle que le président russe a sermonné ses industriels pour qu'ils accélèrent la production d'armement rapporte le site russe Ria Novosty.

"Les entreprises du complexe industriel de la défense doivent assurer la livraison des armes et équipements nécessaires aux troupes, des armes de destruction dès que possible", a déclaré mardi Vladimir Poutine lors d'une réunion sur le développement de l'industrie de la défense.

Le président russe exige que les industriels augmentent les capacités de production et modernisent les usines pour produire plus, plus vite et mieux. Il demande aussi aux industriels de trouver les moyens de produire en Russie les matériaux et composants habituellement importés et dont certains sont touchés par des pénuries ou des embargos selon des résolutions de l'ONU.

Une industrie dépendante de l'Occident

Les microprocesseurs nécessaires sont principalement produits par Taiwan et la Corée du Sud et souvent conçus par l'industrie américaine et la Russie ne dispose à l'heure actuel aucun site de production de composants électroniques sur son territoire.

"Il est nécessaire de résoudre le problème de l'approvisionnement en matériaux nationaux. L'industrie de la défense est précisément le domaine où tous les programmes de substitution des importations doivent être mis en œuvre sans condition", a souligné Poutine.

Selon le New York Times, l'armée russe souffre aussi d'une déficience de maintenance qui faute de composants ne permet pas de réparer et d'entretenir son armement et ses véhicules. Selon un rapport publié début septembre par Conflict Armament Research, un groupe indépendant basé en Grande-Bretagne qui identifie et trace les armes et munitions utilisées dans les guerres à travers le monde, le matériel russe est dépendant de technologies étrangères.

"La Russie utilise les mêmes composants électroniques dans plusieurs armes, y compris les nouveaux missiles de croisière ou les hélicoptères d'attaque, et nous ne nous attendions pas à voir cela", a déclaré Damien Spleeters, un enquêteur du CAR.

"Les armes guidées russes regorgent de technologies et de composants non russes, et la plupart des puces informatiques que nous avons documentées ont été fabriquées par des pays occidentaux après 2014", soit après les sanctions prises lors de l'invasion de la Crimée.

La situation militaire de la Russie pourrait ne pas être améliorée par le recrutement de centaines de milliers de nouveaux combattants. Mais pire, elle pourrait profiter à l'Ukraine dont l'aide international, notamment américaine, s'intensifie.

Fin août, Joe Biden a annoncé une nouvelle aide militaire à l’Ukraine de 3 milliards de dollars d’armes et d’équipement. Un autre fonds qui permet au président américain d’ordonner le transfert à l’Ukraine d’armes, matériel et équipement à partir des stocks existants. L'ambassadrice américaine en Ukraine Bridget Brink considère que la mobilisation de 300.000 réservistes est un "signe de faiblesse, de l'échec russe". Dans un message posté sur Twitter, elle affirme que les Etats-Unis continueront à "soutenir l'Ukraine aussi longtemps qu'il le faudra".

Des recrues qu'il faut former

"Cette annonce est très floue, on ne sait pas ce qu'ils vont faire et où seront affectées ces recrues. S'agit-il de spécialistes ou vont-ils renforcer des bataillons?", pointe le colonel Michel Goya, spécialiste en stratégie militaire.

Pour Michel Goya, le problème du matériel n'est pas le plus important. Le point crucial reste la formation et l'encadrement de ces troupes.

"Il faut compter des mois pour qu'ils soient opérationnels, à moins de les envoyer renforcer les unités en Ukraine au plus vite en prenant le risque qu'ils ne soient pas pleinement formés", ajoute le colonel Goya.

Même analyse pour Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférences en science politique et spécialiste de la Russie.

"La Russie ne sait pas former massivement des combattants. La très mauvaise qualité du service militaire, dans son contenu, a d'ailleurs été reprochée au commandement russe", explique Anna Colin Lebedev sur FranceTVInfo. "Il existe d'innombrables récits de services durant lesquels les hommes n'ont jamais tenu une arme. En cas de mobilisation, qui formera ces futurs combattants si le corps officier fait défaut ?"

Reste aussi la question de l'équipement. Pour le général Jerôme Pellistrandi, consultat défense pour BFMTV, les stocks russes s'épuisent tant en armement, qu'en équipement basique comme les uniformes ou les accessoires de protection comme les gilets pare-balles et même les casques.

"Ils ne disposent plus que de stocks vieux de quelques décennies. On a déjà retrouvé des Kalachnikov rouillées presque hors d'état de fonctionner quand face à eux, les Ukrainiens sont équipés de matériels modernes fournis principalement par les Etats-Unis", explique le général Pellistrandi.

Enfin, le moral de la population n'est pas au mieux et dès l'annonce de la mobilisation partielle, les vols pour quitter la Russie ont été pris d'assaut. "Je pars parce que je ne suis pas fou et je n’ai pas envie de mourir. J'ai l'impression d’être dans un cauchemar et qu’on me force à mourir pour une cause en laquelle je ne crois pas", raconte à BFMTV un jeune Russe de 30 ans ce mercredi avant d'embarquer dans un avion depuis un aéroport russe.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco