"À deux doigts" d'être exemptés, les vins français craignent désormais les conséquences des droits de douane de Trump sur le marché américain

Les bouteilles françaises ne seront pas épargnées par les droits de douane de Donald Trump. En dépit de ses efforts, l'Union européenne n'a "pas réussi" à obtenir d'exemption pour les vins et les spiritueux européens, qui seront désormais frappés de droits de douane de 15% à l'entrée des États-Unis, a fait savoir jeudi après-midi le commissaire européen au Commerce, Maros Sefcovic, alors que Bruxelles présentait les détails de l'accord commercial conclu avec Washington à la fin du mois de juillet.
Du côté de la France, dont la filière viti-vinicole est l'une des locomotives du commerce extérieur, c'est une douche froide. Sur l'année 2024, l'Union européenne a exporté pour 8 milliards d'euros d'alcools vers les États-Unis, dont plus de 5 milliards d'euros pour les vins à eux seuls. La France, elle, en représente près de la moitié.
Cette déconvenue "suscite une immense déception de la part de tous les acteurs de la filière des vins et spiritueux", a réagi jeudi soir la Fédération française des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS) dans un communiqué de presse. "L’application de ces droits sur nos vins et spiritueux n’apporte qu’une seule certitude, celle d’une période extrêmement difficile pour tous les exportateurs français et européens", a affirmé son président Gabriel Picard, cité dans le même communiqué.
3,8 milliards d'euros en 2024
Amateurs de Bordeaux, de champagne et de cognac, les États-Unis sont le premier marché étranger pour les vins et les spiritueux français, avec une bonne longueur d'avance. Avec 3,8 milliards d'euros, le marché américain pesait 24,5% de la valeur totale des exportations françaises en 2024, selon les chiffres annuels de la FEVS. À la seconde place, le Royaume-Uni en représentait 10,7% (1,7 milliard d'euros), devant la Chine (953 millions d'euros, pour 6,1%) et l'Allemagne (935 millions d'euros, pour 6%).
Pour les seuls vins, les exportations françaises vers les États-Unis s'élevaient à 2,3 milliards d'euros en 2024, soit 21,2% de la valeur totale des exportations de vins français. Pour les seuls spiritueux, elles s'élevaient à 1,5 milliard d'euros, représentant quasiment le tiers (32,9%) de la valeur totale des exportations de spiritueux français.
"On est très déçus, parce qu'on y croyait. On était à deux doigts d'obtenir cette exemption", a regretté Thiébault Huber, président de la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne (CAVB), sur BFMTV.
D'autant plus que ces tarifs douaniers de 15% s'ajouteront aux 15% d'effets de change que la filière viti-vinicole observe déjà en exportant aux États-Unis, du fait de la faiblesse actuelle du dollar par rapport à l'euro, a-t-il poursuivi. "On a vécu, sous le premier mandat de Donald Trump, 20% de taxes, et ça a été un tiers d'exportations en moins" outre-Atlantique. "Donc vous imaginez [qu'avec] 30% d'effets sur le marché américain, les conséquences peuvent être lourdes", s'est alarmé Thiébault Huber.
"Nous allons avoir des discussions avec nos importateurs, qui vont probablement nous demander de faire des efforts, peut-être tarifaires, pour les aider à absorber une partie de la taxe" de 15%, a expliqué Olivier Sumeire, vigneron et président de l'Association des vignerons de la Sainte-Victoire, sur BFMTV.
Concurrence chilienne et argentine
"Ça a un fort impact en termes d'image" et "on craint que l'on puisse moins vendre que les précédentes années" sur le marché américain, s'est également inquiété Éric Pastorino, président du Conseil Interprofessionnel des vins de Provence (CIVP), sur BFMTV. Grands buveurs de rosés de Provence, symbole incontesté de la viticulture provençale, les Américains en ont acheté pour environ 148 millions d'euros en 2024, soit 42% de la valeur totale des exportations, selon les chiffres du CIVP.
Les États-Unis "sont le premier marché à l'export pour le vignoble du Beaujolais", avec des volumes "d'à peu près 5,3 millions de bouteilles", a précisé pour sa part Olivier Badoureaux, délégué général de l'interprofession des vins du Beaujolais, sur BFM Business. Outre les répercussions tarifaires, ces droits de douane de 15% vont aussi "nous apporter une nouvelle concurrence" sur le marché américain, a-t-il craint.
"Certains pays n'ont pour le moment pas de taxes établies, je pense particulièrement aux vins chiliens et argentins, ça va peut-être pousser les consommateurs à se tourner vers ces vins-là et délaisser le Beaujolais", a envisagé Olivier Badoureaux.
Au début du mois d'août, la FEVS estimait que l'entrée en vigueur des droits de douane américains de 15% pourrait "aboutir à une réduction d'un quart des ventes [françaises] aux États-Unis, soit une perte de 1 milliard d'euros", évoquant alors "une filière déjà très fragilisée par les sanctions chinoises et un environnement économique très déprimé".
Pas de "fausses promesses"
Mais la filière, elle, n'est pas encore résignée. "À moyen terme, la décision de ce jour ne marque pas la fin de l’histoire", a affirmé la FEVS, espérant encore des aménagements ultérieurs à l'accord transatlantique. S'il a soutenu ne pas vouloir faire de "fausses promesses" au secteur viti-vinicole européen, le commissaire européen au Commerce Maros Sefcovic a déclaré jeudi que les discussions se poursuivraient entre Bruxelles et Washington et que "ces portes n'étaient pas fermées pour toujours".
"Je ne sais pas dans quelle mesure on peut encore revenir" sur cette non-exemption, "mais on le souhaite", a affirmé Thiébault Huber, rappelant que la filière française des vins et spiritueux représente près de "500.000 emplois" directs et indirects et contribue à hauteur de 12 milliards d'euros à la balance commerciale française. "C'est quelque chose peut-être à ne pas ignorer", a-t-il lancé, "parce que sinon ce sont des exploitations qui vont fermer" dans les vignobles français.
"Le problème principal, c'est l'instabilité", a insisté Armelle Cruse, viticultrice au Taillan-Médoc et présidente de l'Alliance des crus bourgeois du Médoc, sur BFMTV.
"Un jour, on est à 10%, le lendemain à 25%, c'est très compliqué de construire quelque chose", a poursuivi la viticultrice girondine. Les viticulteurs ont besoin "d'avoir des règles qui ne bougent pas", ce qui est loin d'être acquis avec l'administration Trump, habituée aux multiples revirements. Pour l'heure, Armelle Cruse évoque un "vrai ralentissement de la commercialisation" des vins français par les distributeurs américains, qui attendent "d'être sûrs que ce soit stable".
"La situation ne peut en rester là", a déploré jeudi soir la ministre française de l'Agriculture, Annie Genevard, qui a demandé aux négociateurs européens d'en faire "une priorité des prochains échanges avec les autorités américaines", réclamant par ailleurs des "mesures européennes fortes" pour soutenir les producteurs du Vieux continent. La France va travailler à des "exemptions additionnelles" au sein de l'accord commercial euro-américain, a pour sa part affirmé un peu plus tôt dans l'après-midi le ministre du Commerce extérieur, Laurent Saint-Martin.