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Pour amadouer Trump qui frappe le pays d'énormes droits de douane, la Suisse propose aux États-Unis d'y délocaliser ses "usines à lingots d'or"

Un employé tient un lingot d'or de 12,5 kg le 6 avril 2009 dans une usine de l'affineur et fabricant de lingots d'or Argor-Heraeus SA à Mendrisio, dans le sud de la Suisse.

Un employé tient un lingot d'or de 12,5 kg le 6 avril 2009 dans une usine de l'affineur et fabricant de lingots d'or Argor-Heraeus SA à Mendrisio, dans le sud de la Suisse. - SEBASTIAN DERUNGS / AFP

Alors que son économie souffre en raison des droits de douane très élevés de 39% imposés par Donald Trump, la Suisse tente d'apaiser le courroux de l'administration américaine. Elle a proposé de délocaliser une partie de ses raffineries d'or en Amérique, selon Bloomberg.

La Suisse multiplie les marques de bonne volonté pour tenter d'attendrir Donald Trump. Après avoir notamment accepté des conditions défavorables pour l'achat d'avions de combat, les négociateurs suisses ont proposé à leurs homologues américains de délocaliser une partie de leurs raffineries d'or, rapporte Bloomberg, en espérant que cela pourrait les inciter à revoir à la baisse les droits de douane très élevés imposés le 1er août.

Avec un taux de 39%, la Suisse est le pays développé le plus durement ciblé par la politique commerciale agressive du président américain. Et l'inquiétude est encore montée ces derniers jours après l'annonce par Washington de taxes à "100%" sur certains produits pharmaceutiques, un secteur important de l'économie suisse, qui pourrait désormais frôler la récession. Les exportations du pays vers les États-Unis ont dégringolé de 22% en août, selon les derniers relevés de l'office fédéral de la douane.

Les responsables helvètes semblent donc prêts à sacrifier une partie de leur industrie aurifère, alors que leur pays est la plaque tournante de la transformation de l'or physique. Ils suggèrent ainsi à Donald Trump qu'ils sont prêts à équilibrer davantage leur balance commerciale sur les biens, alors qu'un excédent s'est créé en raison des exportations de médicaments et d'or. Cette tendance s'est accrue en début d'année en ce qui concerne le métal précieux.

Un employé grave des inscriptions sur des lingots d'or, le 6 avril 2009, dans l'usine d'Argor-Heraeus SA, société de raffinage et de fabrication de lingots d'or, à Mendrisio, dans le sud de la Suisse.
Un employé grave des inscriptions sur des lingots d'or, le 6 avril 2009, dans l'usine d'Argor-Heraeus SA, société de raffinage et de fabrication de lingots d'or, à Mendrisio, dans le sud de la Suisse. © AFP

Les industriels suisses ne peuvent pourtant pas être vraiment tenus pour responsables. L'explication est à chercher dans les subtilités du commerce de l'or. Craignant l'imposition de droits de douane sur le métal précieux, de nombreux investisseurs ont souhaité déplacer physiquement leurs lingots aux États-Unis.

Le mouvement a été massif: fin mars, cela représentait l'équivalent de 61 millards de dollars. Beaucoup de ces lingots se trouvaient à Londres, le centre mondial depuis le XIXe siècle, où ils sont généralement stockés dans les sous-sols de la Banque d'Angleterre, moyennant des frais de location, sous la forme de blocs de 12,5 kg (400 onces).

Or, à New York, les lingots sont beaucoup plus petits et ne font généralement qu'1 kg. Les acheminer outre-Atlantique suppose donc de les transformer. Et cette étape se passe dans les raffineries suisses, situées dans le Tessin, près de la frontière italienne. Ce sont ces activités de transformation que les négociations helvètes ont proposé de transférer aux États-Unis.

Un secteur critiqué en Suisse

Cette proposition ne ravit évidemment pas les raffineurs. "Si je regarde l’analyse de rentabilité, cela n’a pas de sens", glisse à Bloomberg Simone Knobloch, le patron de la plus grande raffinerie, insistant sur le fait que le marché est déjà saturé. Mais le sort de l'industrie aurifère et ses moins de 2.000 employés ne devrait pas susciter beaucoup d'émotion dans le pays. Certains responsables politiques l'ont déjà poussé sous les roues en le rendant responsable du fiasco des droits de douane.

"Si un secteur nuit à l'économie nationale dans son ensemble et que ce secteur n'apporte pas une grande valeur ajoutée à la Suisse, ni en termes de salaires ni en termes d'impôts, il faut y réfléchir. Peut-être que ce secteur devra payer pour les dégâts qui se produisent actuellement", a estimé Hans-Peter Portmann, un proche de la présidente Karin Keller-Sutter (parti libéral démocrate), a rapporté le Financial Times début août.

Le secteur aurifère traîne, en outre, une réputation sulfureuse en raison des liens étroits noués avec l'Afrique du sud lors de l'apartheid. Dans les prochains jours, d'autres concessions pourraient être présentées à l'administration américaine, alors qu'une précédente tentative a échoué.

Parallèlement, les deux pays ont publié lundi 29 septembre une déclaration harmonisant leurs positions sur les taux de change. Washington a reconnu le droit de la Banque nationale suisse (BNS) d'intervenir pour éviter une hausse trop importante du franc suisse. Selon plusieurs analystes interrogés par le Financial Times, cela donne davantage de marge de manœuvre à la banque centrale helvète tout en limitant les risques qu'elle soit contrainte de renouer avec des taux négatifs.

Pierre Lann