"Nous devons accepter cette situation": l'achat d'avions de combat américains vire au cauchemar budgétaire pour la Suisse

Décollage d'un F-35 en essai sur la base aérienne de Payerne, près de Neuchâtel. - Fabrice COFFRINI
L'addition est salée. Déjà touchée par des droits de douane de 39% imposés par l'administration Trump, la Suisse se prépare à payer plus cher que prévu ses avions de combat F-35A. Le Conseil fédéral annonce maintenir le projet d'acquisition des avions produits par l'américain Lockheed Martin, tout en étudiant différentes options pour financer le surcoût.
"Les États-Unis ne sont pas disposés à changer de position. Sur la base de ces discussions, la Suisse doit accepter (…) qu'elle ne puisse pas imposer le prix fixe", a déclaré le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) dans un communiqué.
Au cœur des discussions figure le prix d'achat des avions de combat. Au mois de juin déjà, le Conseil fédéral s'était exprimé sur le sujet, affirmant que les États-Unis exigeaient de la Suisse qu'elle prenne en charge les coûts supplémentaires liés à l'inflation –alors que le contrat initial prévoyait un prix fixe. Ce désaccord devait faire l'objet d'une "solution négociée", excluant de fait un règlement par voie juridique.
Financer les coûts supplémentaires
À la suite de "discussions intensives", comme les qualifie le DDPS, les États-Unis semblent donc avoir fait plier la Suisse, qui va devoir trouver des solutions pour financer les surcoûts liés à ce programme d'acquisition, de l'ordre de 650 millions à 1,3 milliard de francs suisses (entre 690 millions et 1,38 milliards d'euros).
Au cours d'une conférence de presse, le ministre fédéral Martin Pfister a évoqué trois pistes principales: une réduction des commandes, une augmentation des offsets (les "affaires compensatoires", souvent des retombées industrielles pour le pays acheteur) ou un financement par la voie d'un "crédit parlementaire". Ces options ne sont pas exclusives les unes des autres, précise le ministre.
Un bon connaisseur du dossier indique à BFM Business que la réduction du nombre d'aéronefs serait difficilement envisageable, que ce soit d'un point de vue opérationnel ou technique. La cible fixée lors du choix final –36 appareils– était alors déjà considérée comme le minimum nécessaire pour constituer une flotte à même de remplir les missions de défense du territoire.
Lors de la conférence de presse du DDPS, Martin Pfister ne s'est pas avancé sur un nombre, mais se contente de préciser que ce serait de toute façon "trop peu", au vu des prévisions initiales –un rapport de 2017 évoquait plusieurs options à 30, 40, 55, voire 70 avions.
Concernant le volet financier, le ministre indique que l'objectif est de rester "dans les limites des 6 milliards de francs suisses" (environ 6,4 milliards d'euros), une somme qui avait fait l'objet d'une votation en septembre 2020, un budget approuvé de justesse (à peine plus de 50%) par la population suisse.
Les droits de douane en embuscade
Cependant, l'incertitude sur le prix total demeure, comme l'indique le ministère dans le communiqué: "il n’est pas encore possible, à l’heure actuelle, de déterminer le coût total exact de l’acquisition". Ce prix "dépendra largement de l’évolution future de l’inflation aux États-Unis, de l’évolution des prix des matières premières sur les marchés mondiaux et d’autres facteurs tels que les hausses de prix résultant des droits de douane", précise le communiqué.
Durement touchée par l'imposition de droits de douane de 39% par l'administration Trump, la Suisse s'est démenée pour conclure un accord commercial avec les États-Unis, sans succès. En vigueur depuis le 7 août, les surtaxes mettent en danger plusieurs secteurs économiques vitaux pour la Suisse en matière d'exportations, dont l'horlogerie ou encore le chocolat.
Le ministre David Pfister s'était même dit prêt à envisager des achats supplémentaires d'équipements militaires si cela permettait de débloquer la situation. Le directeur général de l'armement Urs Loher était quant à lui en "visite de travail" sur le site de production du F-35 de Fort Worth au Texas.
Un contrat majeur
Signé en septembre 2022, le contrat entérinait l'achat de 36 avions de chasse F-35A, avec des livraisons prévues à partir de 2027. Les avions de Lockheed Martin doivent remplacer des flottes vieillissantes de F/A-18 Hornet et surtout de F-5 Tiger, dont la conception remonte aux années 1950. La mise hors service de cette flotte de 18 appareils (110 ont été achetés initialement) a été régulièrement repoussée, mais ils arriveront en toute fin de potentiel en 2027 et ne pourraient pas être maintenus en état opérationnel après cette échéance, selon le DDPS.
Par ailleurs, la Suisse a également fait le choix de s'équiper de cinq systèmes de défense anti-missile américains Patriot, qui devaient être livrés entre 2026 et 2028 pour moderniser les capacités de défense aérienne. Mais les États-Unis ayant pris la décision de prioriser les livraisons à l'Ukraine, la commande suisse est pour l'instant reportée à une date qui n'a pas été précisée.
Un groupe de travail a été lancé pour examiner de manière approfondie les recommandations faites en 2017 concernant la protection aérienne de la Suisse, afin d'évaluer si les critères de l'époque sont encore les mêmes actuellement – et éventuellement envisager une réévaluation des cibles et priorités d'achats. Le DDPS rendra ses conclusions au Conseil fédéral "d'ici à fin novembre 2025".