Brexit: la nomination de Boris Johnson à Downing Street ravive les craintes d'un no deal

Boris Johnson, nouveau chef du parti conservateur, le 23 juillet à Londres - Isabel Infantes - AFP
L’heure est encore aux politesses d’usage. Peu après l’annonce de la victoire de Boris Johnson pour devenir le prochain Premier ministre britannique, l’Union européenne a félicité celui qui succédera à Theresa May dès ce mercredi. "Nous sommes impatients de travailler de manière constructive avec le Premier ministre Johnson dès son entrée en fonction, afin de faciliter la ratification de l’accord de retrait et de réaliser un Brexit ordonné", a déclaré mardi Michel Barnier, négociateur en chef du Brexit à Bruxelles.
Dans la même veine, Emmanuel Macron s’est dit "très désireux de pouvoir travailler au plus vite" avec le nouveau dirigeant du Royaume, tandis que la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen l’a félicité à son tour, insistant toutefois sur "les défis à venir". Dont le premier d'entre eux: le Brexit.
Car l’arrivée de "BoJo" au 10 Downing Street sonne presque comme un retour à la case départ dans ce dossier ouvert il y a plus de trois ans déjà. Après les échecs à répétition de Theresa May pour le clore, il ne fait aucun doute que les félicitations succesives des dirigeants du Vieux continent seront rapidement supplantées par des échanges plus musclés. D’autant qu’il n’y a plus de temps à perdre. Déjà repoussé par deux fois, le Brexit doit désormais être livré le 31 octobre, soit dans à peine plus de trois mois.
"Do or die"
Cela fait court pour permettre à Boris Johnson d’élaborer sa stratégie. Qu’importe, le nouveau Premier ministre a promis de sortir coûte que coûte le Royaume-Uni de l’UE à la date butoir, pas un jour de plus. "Faire ou mourir", a-t-il lâché, employant une expression populaire outre-Manche ("Do or die") pour prouver sa détermination. "Le Brexit sera chose faite le 31 octobre et nous tirerons avantage de toutes les occasions qu'il nous apportera, avec un nouvel esprit: 'on peut le faire'", a encore assuré le nouveau chef des conservateurs.
Alors même qu’il était encore en campagne pour le poste suprême, Boris Johnson avait déjà dévoilé les grandes lignes de son plan d’action pour trouver un compromis avec Bruxelles. L’ancien ministre britannique des Affaires étrangères avait dit vouloir rouvrir les négociations afin de rediscuter l’accord de sortie validé par Theresa May mais rejeté par trois fois au Parlement, en particulier en raison du controversé "filet de sécurité" ("backstop") permettant d'éviter le retour d'une frontière physique entre l'Irlande et la province britannique d'Irlande du Nord. Pour y parvenir, il n’a pas hésité à brandir la menace d’un Brexit sans accord, scénario jugé catastrophique par la sphère économique, comme par les dirigeants européens, notamment à cause du retour des tarifs douaniers.
Certes le no deal a "une chance sur un million de se produire", a tempéré BoJo. Il n’empêche que contrairement à sa prédécesseure, ce fervent défenseur du Brexit a ouvert la voie à un scénario considéré jusqu’à présent comme peu probable. Au point de vouloir rassurer les plus craintifs en affirmant que le Royaume-Uni "ne devrait pas être terrifié" par une sortie sans accord. Il estime d’ailleurs que les conséquences d’un no deal ont été "largement exagérées". Ironisant sur les inquiétudes qui pèsent sur le pays, il a "prédit avec une grande confiance que nous aurons un Brexit réussi, que les avions voleront encore, qu’il y aura de l’eau potable et du lactosérum pour les barres chocolatées Mars […]".
Pour le nouveau Premier ministre, "il s’agira d’une tentative pour, à la fois, forcer l’UE à faire des concessions et la convaincre qu’il prend le no deal très au sérieux mais aussi pour atténuer toute possibilité d’interruption pour le commerce et les investissements si cela se produit", analyse John Springford, directeur adjoint au sein du think tank Centre for European Reform (CER).
Les entreprises réclament de la "clarté"
Mais dans le camp européen, les négociateurs campent sur leur position. Hors de question de renégocier l’accord de sortie. "Le Royaume-Uni est parvenu à un accord avec l'Union européenne et l'Union européenne s'en tiendra à cet accord. C'est le meilleur accord possible", a martelé Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne. Au mieux, Michel Barnier s’est dit prêt à revoir la déclaration politique qui pose les bases de la future relation entre le Royaume-Uni et l’UE. Trop peu pour Boris Johnson.
Pas de quoi rassurer les milieux économiques qui regardent d’un air désabusé le spectacle sans fin du Brexit. Dès l’annonce de la victoire de Boris Johnson, le patronat britannique a tenu à rappeler les lourdes conséquences d’une rupture brutale avec l’UE. "Concernant le Brexit, le nouveau Premier ministre ne doit pas sous-estimer les bénéfices d’un accord. Il débloquerait des investissements et redonnerait confiance dans les usines et conseils d’administration à travers le pays", a déclaré Carolyn Fairbairn, directrice générale de la CBI, principale organisation patronale britannique.
Selon elle, "les entreprises ont besoin de savoir concrètement ce que (le) gouvernement va faire pour éviter une Brexit désordonné le 31 octobre, source de perturbations pour la population et le commerce". Plus que la peur d’un no deal, le patron de PSA, Carlos Tavares, déplore le climat d’incertitude qui n’a que trop duré. "Un accord, pas d’accord, un Brexit doux, un Brexit dur: quoi qu’il en soit ce dont nous avons besoin c’est de la clarté et nous nous adapterons parce que nous sommes agiles", a-t-il affirmé. Avant d’ajouter: "La seule chose que nous avons à dire, c’est ‘S’il vous plaît, dépêchez-vous!".
La probabilité d'un no deal en hausse
Les analystes ne s’y trompent pas. Plusieurs banques et agences de notation ont revu à la hausse le risque d’un Brexit sans accord depuis la nomination de BoJo au 10 Downing Street. Moody’s estime que "tout compromis sur le Brexit semble désormais moins probable". Goldman Sachs prévoit pour sa part que le no deal a 20% de chance de se produire, contre 15% auparavant. "Avec Boris Johnson à la barre, les risques vont probablement s’intensifier jusqu’en octobre", commente la banque. Les probabilités d’un accord négocié entre les deux parties ou qu’il n’y ait pas de Brexit du tout sont respectivement quant à elles de 45% et 35%.
Enfin, selon les estimations d’UBS, "le marché prévoit désormais une probabilité d’environ 50% d’un Brexit sans accord". "Les inquiétudes quant à une sortie sans accord se sont accrues, le nouveau Premier ministre ayant promis à maintes reprises de quitter l’UE sans accord si aucun accord satisfaisant ne pouvait être atteint", rappelle la banque suisse. Même le FMI, qui a revu à la baisse ses prévisions de croissance mondiale en baisse, a jugé mardi que "les risques d'un Brexit sans accord ont augmenté" après la désignation de Boris Johnson comme nouveau locataire du 10 Downing Street.
De son côté, La livre sterling perdait 0,01% mardi face au dollar, à 1,2474 dollar, et 0,27% à 89,60 pence pour un euro, en attendant l'élection de Boris Johnson à la tête du Parti conservateur et donc au poste de Premier ministre. Mais cette première réaction de la livre a été "contenue" tellement l'événement était "largement attendu", selon Craig Erlam, analyste pour Oanda. Elle a d’ailleurs effacé ses pertes peu après dans la journée. Reste que "l'incertitude politique ne va pas diminuer et elle va continuer à peser sur la livre dans les prochains mois", a souligné Piotr Matys, analyste pour Rabobank.
Des conservateurs prêts à faire barrage
Boris Johnson devra encore faire face à certains membres de son propre camp s’il veut aller au bras de fer, quitte à sortir de l’UE sans accord. Sa volonté de quitter l'UE coûte que coûte hérisse en effet ceux, y compris chez les conservateurs, qui souhaitent le maintien de liens étroits avec le continent, et qui redoutent les conséquences économiques d'un no deal.
Le ministre des Finances Philip Hammond a ainsi prévenu qu'il ferait "tout" pour empêcher ce scénario, ne semblant pas exclure de contribuer à faire tomber le futur gouvernement. À l'instar de plusieurs autres ministres, le chancelier de l'Échiquier a indiqué qu'il démissionnerait ce mercredi du gouvernement de Theresa May, laissant augurer des difficultés à venir pour Boris Johnson.