Brexit: comment l'Union européenne se prépare à un "no deal"

La Commission européenne - MMANUEL DUNAND / AFP
Inimaginable il y a encore quelques mois, la perspective d’un divorce brutal entre le Royaume-Uni et l’Union européenne le 12 avril gagne chaque jour en probabilité. Tout le monde, à commencer par la Commission européenne, s’accorde pourtant à dire qu’un "Brexit dur" n’est absolument pas souhaitable. Il n’empêche qu’il demeure jusqu’à preuve du contraire le scénario par défaut.
Certes, la Première ministre Theresa May a demandé un nouveau report du Brexit au 30 juin pour éviter une sortie sans accord. Mais tant que le traité de retrait conclu entre Theresa May et Bruxelles n’est pas ratifié par la Chambre des Communes, rien ne dit qu’une prorogation permettra de sortir de l’impasse.
19 textes législatifs et 90 notices
Dans ces conditions, Bruxelles s’est préparée au pire. Depuis décembre 2017, la Commission européenne a élaboré un plan visant à atténuer les effets potentiellement dévastateurs d’une rupture sèche avec son voisin britannique. Car si le scénario du "no deal" se confirmait, le Royaume-Uni se jetterait dans l’inconnu, devenant du jour au lendemain et sans bénéficier d’un quelconque régime transitoire, un pays tiers aux yeux des 27 États membres de l’UE.
En prévision, la Commission européenne a présenté 19 textes législatifs et publié 90 notices à destination des secteurs concernés. À l’issue de sa tournée des capitales des 27 États membres, elle a annoncé le 25 mars que tous "s’étaient très bien préparés à tous les scénarios envisageables".
"L’UE a maintenu un front parfaitement uni tout au long de ses travaux de préparation et continuera de défendre une telle position unie au cours de toute période éventuelle d’absence d’accord", a-t-elle également souligné.
- Commerce
Dans l’Union européenne, les entreprises commerçant avec le Royaume-Uni seront les premières touchées en cas de "Brexit dur". Qu’elles soient importatrices ou exportatrices, elles connaîtront des complications importantes dans leur fonctionnement. Car une sortie sans accord implique le rétablissement des droits de douanes. Les produits en provenance d’outre-Manche seront donc taxés et soumis aux mêmes règles que ceux des pays tiers, dans le cadre des règles de l’OMC. De leur côté, les Britanniques ont annoncé qu’ils rétabliront des droits de douanes sur 18% des produits venant de l’Union, notamment les voitures et les produits agricoles.
Bref, le Brexit se traduira inexorablement par de la paperasse administrative. La Commission européenne affirme ainsi avoir largement communiqué auprès des entreprises concernées afin qu’elles se préparent notamment aux formalités douanières et aux interdictions ou restrictions qui pourront s’appliquer sur certaines marchandises. Ces mêmes entreprises sont invitées à contacter les autorités douanières pour s’enregistrer afin de pouvoir commercer avec un pays non-membres de l’UE et éventuellement demander un statut d’opérateur économique agréé.
- Transports
C’est peut-être le secteur qui fait craindre le pire. Un "no deal" provoquerait d’importantes perturbations dans les transports. Pour éviter le chaos dans les aéroports, les ports et les gares, plusieurs précautions ont été prises.
Aérien:
Dans l’aérien, certaines dispositions prises par l’UE vont permettre d’éviter une interruption totale du trafic. Jusqu’en mars 2020, une connectivité de base sera maintenue entre Londres et le continent, le temps de trouver un nouvel accord.
Les compagnies aériennes titulaires d’une licence britannique pourront toujours effectuer des vols directs entre le Royaume-Uni et l’Europe mais plus de liaisons intraeuropéennes si elles ne sont pas détenues à au moins 50% par des actionnaires européens. C’est notamment le cas d’Iberia et de British Airways. Pour contourner ce problème, Bruxelles a accordé quelques mois à ces compagnies pour se mettre en règle en revoyant leur actionnariat.
Routier:
Là encore, une connectivité de base sera maintenue jusqu’à la fin de l’année 2019. Les transporteurs de marchandises comme de passagers (cars et bus) britanniques pourront temporairement opérer sur le continent. À condition que le Royaume-Uni accorde un traitement réciproques aux entreprises et opérateurs de l’UE. Cela devrait limiter les longues files d’attente, à Calais notamment.
L’Union européenne autorise également à ce que soient maintenues les opérations de cabotage (transport de marchandises entre deux points des pays traversés par un transporteur non résident) mais celles-ci sont limitées à 2 sur 7 jours pendant quatre mois, puis à une seule, contre trois actuellement. Ces mesures visent à fluidifier le trafic mais ne pourront pas totalement empêcher les perturbations aux abords des ports en raison des contrôles qui seront plus poussés, prévient la Commission.
Ferroviaire:
Pour ce qui est du trafic ferroviaire, certains certificats et licences ainsi que les normes de sécurité resteront valides pendant trois mois pour maintenir un trafic minimum dans l’UE, à condition une fois encore que le Royaume-Uni applique ces mêmes règles en matière de normes et de procédures. Il s’agira ensuite de mettre en place des solutions à plus long terme. Cette mesure concerne en particulier le tunnel sous la Manche.
- Pêche
La Commission européenne s’est également penchée sur le sort des pêcheurs qui seront fortement touchés si le Royaume-Uni quittait l’UE sans accord. Pour limiter les désagréments, l’Europe s’est engagée à accorder aux navires britanniques l’accès à ses eaux jusqu’à la fin 2019, à la condition que les navires de l’UE bénéficient eux aussi d’un accès réciproque aux eaux du Royaume-Uni. Or, les Britanniques ont indiqué qu’ils n’avaient pas l’intention de fermer leurs eaux.
Et quand bien même ils le feraient, les pêcheurs européens pourront recevoir une compensation financière au titre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, en cas d’arrêt temporaire de leur activité. Ce fonds pèse 6,4 milliards d’euros sur la période 2014-2020. 588 millions d’euros sont réservés à la France.
- Mobilité
Pour le million de ressortissants britanniques qui vivent dans l’Union européenne, la situation s’annonce tout aussi délicate. Mais la Commission européenne a assuré qu’un modèle uniforme avait été prévu pour permettre aux Britanniques vivant dans n’importe quel État membre d’obtenir plus facilement des titres de séjour temporaires qui pourront être transformés en titre définitifs, afin de ne pas être en situation irrégulière. Cela impliquera néanmoins des démarches administratives.
Les ressortissants installés depuis plus de cinq ans sur le continent pourront demander le statut de résident de longue durée. La France a pris une ordonnance en février afin d’accorder une période de douze mois maximum aux ressortissants britanniques pour se mettre en règle.
À noter également que les voyageurs britanniques n’auront pas besoin de visa pour effectuer un court séjour dans l’UE. Cette dispense sera appliquée sous réserve de réciprocité de la part des autorités britanniques.
- Logistique et infrastructures
Les États membres ont réaménagé leurs frontières en prévision d’un Brexit sans accord. À Calais, les travaux d’aménagement du port destinés aux services d’inspection vétérinaire et phytosanitaire et aux douanes se sont terminés mardi.
Six quais de déchargement pour le service d'inspection vétérinaire et phytosanitaire (SIVEP) destinés à l'inspection sanitaire des produits alimentaires et contrôles des végétaux et quatre quais pour les inspections douanières ont été créés pour contrôler les poids lourds descendant des ferries en provenance de Grande-Bretagne.
La plateforme comprend également un parking pouvant accueillir 50 poids lourds, une station animalière pour les animaux vivants, comme les chevaux, et une zone de consigne frigorifique, selon un communiqué de la société d'exploitation du port. Deux parkings de 140 et 50 places ont été construits pour accueillir les poids lourds en attente d'une régularisation douanière. Les travaux ont coûté dix millions d'euros.
Selon un communiqué de la préfecture du Pas-de-Calais, 15 agents du ministère de l'Agriculture et 20 douaniers travailleront au SIVEP "activé 24h/24, 7j/7, à compter de la sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne".
La Commission européenne précise qu’une "assistance technique et financière de l’UE peut aussi être mise à disposition dans certains domaines, par exemple la formation d’agents des douanes dans le cadre du programme Douane 2020. D’autres programmes peuvent venir en aide à des projets de formation similaires dans le domaine des contrôles sanitaires et phytosanitaires".
À ce titre, la France prévoit de recruter 700 douaniers supplémentaires en trois ans. Les Pays-Bas ont quant à eux annoncé plus de 900 douaniers et 145 vétérinaires supplémentaires pour contrôler le port de Rotterdam. L’Allemagne et l’Espagne préparent eux aussi le recrutement et le déploiement d’employés dans les ports et aéroports.
- Erasmus
Pas d’inquiétude pour les étudiants européens déjà installés outre-Manche en cas de "hard Brexit". Le Parlement européen et la Commission européenne se sont mis d’accord sur un règlement visant à "garantir que les échanges de mobilité à des fins d’apprentissage en cours ne soit pas interrompus". L’Europe prévoit également de continuer à financer Erasmus au Royaume-Uni en 2019.
- Budget
En cas de Brexit sans accord, l’UE assure qu’elle sera en mesure d’honorer ses engagements et "de continuer d’effectuer des paiements en 2019 en faveur de bénéficiaires britanniques au titre des contrats signés et des décisions prises avant le 30 mars 2019". Ceci à condition que le Royaume-Uni respecte ses obligations qui lui incombent. Les Britanniques doivent notamment payer une facture d’environ 45 milliards d’euros, dont 10 milliards pour la seule année 2019.
- La question irlandaise
L’épineuse question de la frontière irlandaise, seule frontière physique entre le Royaume-Uni et le continent a fait l’objet de nombreuses discussions à Bruxelles. La Commission a finalement confirmé que l’Irlande devra elle aussi mettre en place des contrôles douaniers en cas de "no deal". Mais ceux-ci devront être le "moins perturbants possible et aussi loin que possible de la frontière", a expliqué le commissaire européen Pierre Moscovici. Par ailleurs, il ne devrait pas y avoir de contrôles sur les biens en provenance d’Irlande arrivant en Europe. "Nous ne pouvons pas être plus prêts", a encore affirmé Pierre Moscovici.