"J'ai dû arrêter de conduire, de sortir": faute de trouver de la quétiapine en France, ces patients s'en procurent en Belgique à leurs frais

Une boîte de quétiapine, marquée d'une croix indiquant qu'elle a déjà été ouverte et que les comprimés sont distribués à l'unité selon les besoins de chaque patient, dans une pharmacie de Quimper, en Bretagne, le 27 mars 2025 (photo d'illustration). - Fred TANNEAU / AFP
Voilà deux mois que Maxime (il a requis l'anonymat) a adressé sa feuille de soins à sa caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM), laissée sans réponse. Souffrant de dépression après un burn-out, ce quadragénaire résidant dans le département du Nord, est une victime de la pénurie de quétiapine, un psychotrope faisant l'objet d'une grave pénurie depuis près d'un an en France.
Il prenait de la quétiapine à libération prolongée (LP) mais cette formule a déserté les officines. Maxime a alors dû tester des traitements alternatifs: "On m'a proposé la formule à libération immédiate (LI) en préparation magistrale (préparation réalisée pour un patient déterminé et selon une prescription médicale, par un pharmacien, NDLR), mais cela a été très laborieux. J'ai fait plusieurs tests pour trouver le bon dosage et rien n'allait plus dans ma vie", confie-t-il à BFM Business. "J'ai souffert de troubles alimentaires, de bouffées de panique et de terreurs nocturnes", rapporte-t-il, des trémolos dans la voix.
"Avec l'ancien traitement, j'avais une bonne hygiène de vie. Depuis la pénurie, tout a été chamboulé, j'ai dû arrêter de conduire, de sortir et de faire du sport", se désole-t-il.
Plusieurs références de quétiapine disponibles en Belgique
Insatisfait des alternatives disponibles en France, ce conseiller en gestion de patrimoine s'est résolu à franchir la frontière belge pour se procurer son traitement habituel dans une pharmacie à Mouscron, à une vingtaine de kilomètres de Lille. Et il n'est pas le seul patient de l'Hexagone à se présenter au comptoir de cette officine.
"Ces derniers mois, on a vu beaucoup de Français venir chez nous pour de la quétiapine parce qu'on a plusieurs références en stock", confirme une pharmacienne de cet établissement à BFM Business.
Dans ses tiroirs, cette pharmacie dispose en effet de boîtes de quétiapine commercialisées par les laboratoire EG, Teva ou encore Sandoz. Et ce quelle que soit la formule, à libération immédiate ou prolongée.
Si la quétiapine est devenue une denrée rare en France, c'est notamment parce que peu de références sont autorisées et commercialisées. "Seule la libération prolongée est autorisée alors que certains patients tolèreraient mieux la formule à libération immédiate qui est autorisée par d'autres pays européens. Pourquoi pas chez nous?", s'interroge Michael Sikorav, qui est à la fois psychiatre à Laval (Mayenne) et patient atteint de troubles bipolaires, victime aussi de la pénurie.
Comme Maxime, ce médecin s'est résolu à acheter son traitement en Belgique: "j'ai suffisamment de gélules à libération immédiate pour tenir un an pour 210 euros", confie-t-il. Et il ne pourra pas compter sur un coup de pouce de la Sécu, l'Assurance maladie ne remboursant les médicaments achetés à l'étranger et prescrits sur une ordonnance française que s'ils figurent sur la liste des médicaments remboursables. Ce qui n'est pas le cas pour la quétiapine à libération immédiate.
Concernant Maxime, la quétiapine à libération prolongée qu'il a obtenue sur ordonnance en Belgique devrait lui être remboursée, car ce médicament est bien autorisé et remboursable en France. Sa prise en charge "ne nécessite aucune formalité préalable au sens des règlements européens". L'article R 160-2 du Code de la sécurité sociale indique en effet que le remboursement s'effectue dans ce cas "dans les mêmes conditions que si les soins avaient été reçus en France, sous réserve que leur prise en charge soit prévue par la réglementation française".
Et pourtant, Maxime n'a toujours pas été remboursé. "J'ai écrit à mon député et son adjoint pour parler du problème, ils ont saisi la Direction générale de la santé et doivent revenir vers moi", indique-t-il à BFM Business.
Des réponses à la pénurie de quétiapine jugées insuffisantes en France
Si Maxime et Michael Sikorav sont prêts à payer de leur poche leur traitement à l'étranger, c'est parce que les réponses apportées par les autorités sanitaires françaises à la pénurie de quétiapine et de psychotropes au sens large sont jugées insuffisantes.
"La moitié des psychotropes en pénurie ne sont pas réalisables en préparation magistrale. Quant à la quétiapine, le sevrage lié à l'interruption du traitement est très difficile à vivre. Je ne pourrais pas dormir pendant deux à trois jours sans aucun problème", soulève le psychiatre exerçant à Laval.
Depuis plusieurs mois déjà, l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a recommandé aux professionnels de santé de ne plus initier de traitement à base de quétiapine, "sauf pour les patients présentant un épisode dépressif caractérisé dans le cadre d'un trouble bipolaire". Les docteurs sont donc invités à prescrire des alternatives… mais les possibilités sont très minces.
Des médicaments contenant des sels de lithium et de la venlafaxine ont un temps été recommandés, sauf que ces derniers sont maintenant eux aussi en tension d'approvisionnement. Résultat, la seule alternative vraiment proposée par les autorités sanitaires est de remplacer la formule à libération prolongée de la quétiapine par de la libération immédiate en préparation magistrale réalisée par les pharmaciens.
Un arrêté ministériel, datant du 12 février 2025, rend également possible la dispensation à l'unité pour tous les médicaments à base de quétiapine. Mais ce mode de délivrance est controversé.
"Avec la dispensation à l'unité, quand les gens doivent revenir toutes les semaines, ils laissent tomber", soupire Michael Sikorav.
Les prix des psychotropes sont-ils trop bas?
Agacé par la situation, le syndicat Jeunes médecins a mis en demeure l'État et l'ANSM de "prendre leurs responsabilités face à une crise sanitaire aussi silencieuse que dramatique". Une réunion a été organisée par le ministère courant juillet avec le syndicat et l'ANSM, mais celle-ci n'a pas donné satisfaction.
"Ils ne reconnaissent pas leurs torts, ils disent que ce n'est pas de leur faute, que ce sont les industriels qui imposent les pénuries. On leur parle des prix des médicaments qui sont trop bas en France mais ils rejettent tout en bloc", s'insurge Anna Boctor, pédiatre et présidente du syndicat Jeune médecins.
C'est loin d'être la première fois que les autorités sanitaires sont attaquées sur les prix des médicaments en France. En 2024, le Leem, le lobby des laboratoires pharmaceutiques dans l'Hexagone, a sollicité le cabinet Simon-Kucher & Partners (SKP) pour analyser les prix des médicaments figurant sur la liste des molécules essentielles établie par le ministère de la Santé en juin 2023.
Il en ressort deux principaux enseignements. D'abord, "leurs prix sont globalement plus bas que ceux du reste du marché français (56% ont un prix fabricant hors taxe unitaire inférieur à 1 euro et 36% inférieur à 25 centimes, contre respectivement 41% et 26% pour les autres médicaments)".
Mais aussi, et surtout, que "leurs prix sont en moyenne entre 15% et 30% plus bas en France que chez nos voisins européens (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne et Italie)", insiste le Leem.
Ces pratiques tarifaires expliqueraient au moins en partie, selon le syndicat Jeunes médecins, pourquoi on manque d'alternatives thérapeutiques en France lorsque les médicaments psychotropes sont en pénurie.
Pas de demande d'autorisation de mise sur le marché pour la quétiapine à libération immédiate
Sollicité par BFM Business, le ministère de la Santé et de l'accès aux soins indique qu'"aucun laboratoire n'ayant soumis de demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) pour un médicament à base de quétiapine à libération immédiate, cette forme n'est aujourd'hui pas commercialisée en France".
La quétiapine à libération immédiate "est [autorisée] dans certains pays européens, dans lesquels des laboratoires ont déposé une demande et obtenu une AMM. Il s'agit d'AMM nationales, ou d'AMM européennes mais n'impliquant que quelques États membres, selon le choix des industriels, et pas d'AMM valables pour toute l'Europe, obtenues selon la procédure dite "centralisée"", détaille le ministère.
S'agissant du courrier de mise en demeure adressé en juin par le syndicat Jeunes médecins, accompagné de leur avocate, Me Cornélie Durrleman, le ministère indique à BFM Business qu'il va y répondre "dans les prochains jours".
Il défend également sa politique menée en matière de prévention des pénuries de médicaments: "des sanctions financières importantes ont été infligées en 2024 pour non-respect des obligations de stock, et depuis août 2025, l'agence peut imposer des importations, contingentements ou restrictions à l'exportation pour garantir l'approvisionnement du marché français". Un décret paru au Journal officiel le 5 août permet également à l'ANSM de demander aux laboratoires dont les médicaments sont en tension de céder les droits de fabrication.
Des difficultés d'approvisionnement "en voie d'amélioration"
De son côté, l'ANSM rappelle à BFM Business que la pénurie de quétiapine découle "initialement d'un problème de production rencontré par son fabricant, qui fournit plusieurs laboratoires en quétiapine (60% du marché)". "Ces difficultés sont en voie d’amélioration mais ont fragilisé l’entièreté de la chaîne du médicament : les autres industriels approvisionnés par un autre fabricant ont dû augmenter leur production pour couvrir autant que possible les besoins", précise-t-elle.
L'ANSM reconnait néanmoins que "cet équilibre des approvisionnements est très précaire, ce qui fait que la moindre difficulté a des conséquences sensibles".
"C’est le cas aujourd’hui à la suite à un problème ponctuel et temporaire au niveau d’un site de conditionnement avec le laboratoire Viatris qui supplée massivement le marché: l’équilibre précaire ne tient plus, expliquant la dégradation de la situation dans les prochaines semaines sur certains dosages jusqu’à un approvisionnement important annoncé en octobre par l’industriel."
Alors que le syndicat Jeunes médecins se prépare à saisir le Conseil d'État pour mettre le ministère de la Santé et l'ANSM "face à leurs responsabilités en matière de santé publique", l'agence sanitaire souligne qu'elle mène "un travail de fond" pour renforcer l'offre de soins en psychotropes, "via une diversification des formes ou des fournisseurs", assure l'ANSM.