Un État est immortel et ne peut pas faire faillite: pourquoi les comparaisons de Bayrou avec le surendettement des familles ne sont pas vraiment pertinentes

François Bayrou, le 31 août 2025, lors d'une interview à Matignon. - ALAIN JOCARD / AFP
François Bayrou a fait de la pédagogie son nouveau mantra. Pendant l'été et depuis la rentrée, le Premier ministre, qui fera face à un vote de confiance décisif lundi, a tenté d'alerter à plusieurs reprises sur la "gravité" du niveau d'endettement du pays et de convaincre les Français d'accepter les efforts demandés dans le cadre de son projet de budget.
C'est sans doute pour se faire comprendre par le plus grand monde que François Bayrou a multiplié sur sa chaine Youtube et à la télévision les comparaisons entre la situation budgéaire de l'État et celle d'une famille lambda: "Nous sommes menacés par un mal auquel nous n'échapperons pas si nous ne sommes pas courageux. Ce mal, vous le connaissez dans toutes vos familles, c'est le surendettement", a déclaré le chef du gouvernement début août.
"Quand on est obligé d'emprunter, non pas pour acheter une maison, un appartement, pour l'équipement de la maison ou pour acheter une voiture, mais simplement pour payer les frais de tous les jours et qu'on ne peut plus rembourser sans aller tous les mois à la banque pour demander un crédit supplémentaire qu'on vous fait payer de plus en plus cher, cela s'appelle le surendettement. Les familles le connaissent, les associations le connaissent, les entreprises le connaissent, c'est un mal qui menace votre survie", a poursuivi François Bayrou. Une référence à l'État qui recourt à l'emprunt pour payer ses dépenses courantes.
L'État a une espérance de vie infinie
"On emprunte sur le dos des plus jeunes. Jamais une famille ne ferait ça", a encore martelé le Premier ministre il y a quelques jours. S'il paraît assez clair à première vue, ce parallèle est-il vraiment pertinent?
"La logique du déficit est la même pour un État et pour un ménage. Donc il a en partie raison sur ce point. Mais la comparaison peut tout de même être assez piégeuse", met en garde l'économiste Sylvain Bersinger.
Au-delà des ordres de grandeur qui ne sont évidemment pas les mêmes, la principale différence est qu'"un État n'a pas le même horizon de vie qu'un ménage", rappelle Olivier Redoulès, économiste et directeur des études chez Rexecode.
L'État est en effet immortel, contrairement au ménage: "C'est pour cette raison que les personnes ayant atteint un certain âge ont plus de difficultés à obtenir un crédit, parce que la probabilité de mourir est plus élevée", précise Sylvain Bersinger.
Les héritiers peuvent certes reprendre les dettes d'un défunt, mais ils ont aussi la possibilité de refuser l'héritage, auquel cas ils n'ont pas à rembourser les dettes aux créanciers. La durée de vie infinie de l'État lui permet au contraire de s'endetter continuellement (dans une certaine limite tout de même) et de "rouler sa dette". Autrement dit, de rembourser les emprunts arrivés à échéance par... de nouveaux emprunts.
Le prélèvement des impôts et l'action des banques centrales
Notons par ailleurs que l'État ne peut pas faire faillite au sens juridique du terme. Il a bien sûr tout intérêt à rembourser sa dette et à payer les intérêts à ses créanciers tout comme il a tout intérêt à ne pas s'endetter à outrance pour conserver la confiance des prêteurs. Dans le cas contraire, il pourrait se retrouver en défaut de paiement et se voir contraint d'appliquer des mesures de redressement particulièrement douloureuses. Mais en tant qu'État souverain, un tribunal ne peut pas le mettre en liquidation pour lui imposer de revendre ses biens afin de rembourser ses créanciers.
L'autre avantage d'un État par rapport à un ménage est qu'"il peut lever l'impôt", et donc augmenter sur le court terme ses recettes, souligne Olivier Redoulès. Quand le salarié, lui, ne peut pas augmenter son salaire en un claquement de doigt. Reste que cette option n'est pas sans danger puisqu'elle pose la question de l'acceptabilité par la population et peut pénaliser la croissance.
Or sur ces deux points, "la France dispose de marges limitées pour augmenter l'impôt", poursuit l'économiste.
Si une hausse de la fiscalité ne suffit pas, reste l'arme de la Banque centrale qui a le pouvoir de de faire "tourner la planche à billets", c'est-à-dire de créer de la monnaie pour voler au secours d'un État. La situation est un peu différente entre des pays comme les États-Unis ou le Royaume-Uni et la France qui, faisant partie de la zone euro, "s'endette dans une devise qu'elle ne matrîse pas", rappelle Olivier Redoulès. Ce qui n'empêche pas pour autant les interventions de la Banque centrale européenne qui, ces dernières années, a massivement racheté des titres de dettes publiques contre de la monnaie nouvellement créée.