Retraites, impôts... Ce que va changer la "loi spéciale" en l'absence de Budget 2025

À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Face au risque de voir la France se retrouver sans Budget 2025 après la censure du gouvernement de Michel Barnier, Emmanuel Macron a annoncé jeudi que le prochain gouvernement déposera une loi spéciale "avant la mi-décembre au Parlement".
Utilisé une seule fois dans l'histoire de la Ve République, cet outil législatif vise à assurer la continuité de l'État en l'absence de promulgation d'un Budget au 1er janvier. En l'occurence, il permettra de reconduire les crédits du Budget 2024 sur l'année 2025.
Ce qui devrait avoir une incidence sur la vie quotidienne des Français, sachant que la loi spéciale rend caduques toutes les mesures inscrites dans le projet de loi de finances 2025. Au moins jusqu'à ce qu'un nouveau Budget soit adopté par le Parlement, potentiellement en début d'année prochaine.
• Impôt sur le revenu
C'était l'un des arguments massues du gouvernement pour tenter d'éviter la censure: la loi spéciale ne reconduisant que les impôts dans leur version 2024, ne permettrait pas a priori de revaloriser le barème de l'impôt sur le revenu. Si bien que 380.000 nouveaux ménages deviendraient sur le papier imposables et 17,6 millions de foyers paieraient plus d'impôt qu'en 2024, selon l'OFCE.
Un amendement à la loi spéciale pourrait-il régler le problème? La manoeuvre comporte un "risque d'inconstitutionnalité", s'inquiète-t-on au ministère du Budget, en l'absence de jurisprudence. La question divise d'ailleurs les juristes. Si certains estiment qu'un tel article ne serait pas possible, le constitutionnaliste Benjamin Morel ne pense pas qu'un juge "s'amuserait à censurer une loi spéciale -ce qui mettrait le pays dans la panade- parce qu'on aurait une vision trop extensive des lois spéciales".
Une autre solution serait de prévoir l'indexation dans un nouveau texte budgétaire en 2025, avant que les ménages en question ne rentrent dans la catégorie imposable. Il faudra toutefois faire adopter ce texte de loi.
• Retraites
La situation politique risque aussi de conduire à l'absence de Budget de la Sécurité sociale (PLFSS) au 1er janvier 2025. Ce qui pourrait profiter aux retraités, puisque la sous-indexation des retraites prévue dans le projet du gouvernement ne s'appliquera pas.
Pour économiser 3 milliards d'euros, le gouvernement et la droite sénatoriale avaient en effet décidé que les pensions ne devaient être augmentées que de la moitié de l'inflation au 1er janvier, soit +0,8% selon l'exécutif, avec un complément au 1er juillet pour les retraites inférieures à 1.500 euros bruts pour arriver à +1,6%.
En l'absence de PLFSS, il faut revenir au Code de la Sécurité sociale qui prévoit que les retraites de base sont chaque année (sauf mention contraire dans le PLFSS) augmentées au 1er janvier, indexées sur la hausse des prix à la consommation (hors tabac) constatée par l'Insee pour l'année précédente. Toutes les pensions devraient donc bien être revalorisées au niveau de l'inflation au 1er janvier.
• Agriculture
Entre l'annonce d'un accord entre l'UE et le Mercosur et la censure du gouvernement, les agriculteurs ont promis de "durcir" leur mobilisation. Et pour cause, le projet de loi de finances comme celui de la Sécurité sociale comportaient différentes mesures très attendues par les agriculteurs, comme des allègements de charges pour les travailleurs occasionnels, des aides pour favoriser l'installation de nouveaux exploitants, l'adoption d'une réforme des retraites des agriculteurs calculée sur les 25 meilleures années et le renforcement des petites retraites.
Toutes ces mesures sont désormais caduques. Il y a quelques jours, Arnaud Rousseau, le président du syndicat agricole majoritaire FNSEA, avait déjà dit son inquiétude face à l'hypothèse d'une censure du gouvernement, alors que les agriculteurs avaient "obtenu un certain nombre de choses", citant notamment les prêts de trésorerie promis.
• Santé
Avec la loi spéciale et en l'absence de Budget de la Sécurité sociale, les hôpitaux risquent de se retrouver dans une situation délicate. En effet, le PLFSS du gouvernement Barnier prévoyait une augmentation nette de 2% de l'enveloppe budgétaire qui leur est dédiée.
Une enveloppe qui ne devrait finalement pas bouger puisque "tant qu'une solution n'est pas trouvée" sur les tarifs des hôpitaux en 2025 alors qu'il n'y a pas d'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), "la seule possibilité sera de reconduire les tarifs 2024", estime Dominique Libault, président du Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS).
Toujours en matière de santé, la baisse des tarifs conventionnés du transport médical inscrite dans le projet de loi de finances ne devrait finalement pas avoir lieu. De la même manière, la taxe sur les boissons sucrées est à ce stade écartée.
• Électricité
La facture d'électricité devrait baisser comme prévu. Initialement, le gouvernement prévoyait de remonter la taxe sur la consommation d'électricité au-delà de son niveau d'avant-bouclier tarifaire. Il y avait finalement renoncé en décidant de l'augmenter à son niveau d'avant-crise, soit de 21 euros le mégawattheure à 32 euros.
Avec la baisse des prix de l'électricité sur les marchés, cette hausse devait malgré tout se traduire par une baisse de la facture d'environ 14% pour les particuliers abonnés au tarif réglementé. Que se passera-t-il avec la loi spéciale? La taxe sera-t-elle gelée à son niveau actuel? Ou remontera-t-elle à 32 euros, comme prévu par le Budget 2024 qui prévoyait déjà la fin du bouclier tarifaire au 31 janvier 2025? Selon le ministère de l'Environnement, la taxe remonterait bien à 32 euros et serait même un peu plus élevée, atteignant 33,78 euros, en y ajoutant une majoration liée à l'inflation. Ce qui permettrait tout de même une baisse des factures.
• Fonction publique
Il était au coeur des protestations au sein de la fonction publique. Avec la censure, le plan de lutte contre "l'absentéisme" des fonctionnaires défendu par le gouvernement pour dégager 1,2 milliard d'euros d'économies tombe à l'eau.
Ainsi, le délai de carence pour les fonctionnaires malades restera d'un jour et non de trois comme dans le privé. De la même manière, la réduction de 100 à 90% de la rémunération en cas d'arrêt maladie n'est plus à l'ordre du jour.
• Les plus aisés et grandes entreprises épargnés
Pour réduire le déficit dans le cadre du Budget 2025, les grandes entreprises réalisant plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires devaient être visées par une surtaxe d'impôt sur les sociétés, tandis que les ménages les plus fortunés auraient dû contribuer davantage à l'effort de redressement des finances publiques en payant un impôt exceptionnel. En cas d'adoption d'une loi spéciale, ces deux mesures ne s'appliqueront pas en 2025.
Même chose pour la taxe de solidarité sur les billets d'avion qui devait être triplée. Certaines compagnies aériennes qui avaient décidé de l'appliquer par anticipation ont d'ailleurs annoncé qu'elles rembourseraient les trop-perçus, compte tenu de la censure mercredi soir du gouvernement Barnier.
• Bonus-malus auto
La probable adoption d'une loi spéciale en lieu et place du PLF 2025 aura pour effet d'annuler la révision du dispositif prévue pour le malus automobile. Celui-ci, qui devait être durci, restera finalement soumis au barème 2024.
En revanche, le bonus sera lui bien raboté puisque cette diminution a été adoptée par voie réglementaire dans un décret paru le dimanche 1er décembre.