Pendant combien de temps la France peut-elle vivre sans Budget?

Le compte à rebours est lancé. Mercredi, la censure du gouvernement de Michel Barnier a suspendu l'examen des textes budgétaires par le Parlement. Or, sans Budget au 31 décembre, la France pourrait, en théorie, risquer un "shutdown" à l'américaine, faute pour l'État de pouvoir débloquer les crédits nécessaires à sa continuité.
En réalité, ce scénario est improbable. Jeudi, Emmanuel Macron a annoncé que le futur gouvernement déposera une loi spéciale "avant la mi-décembre au Parlement". Cet instrument permet à l'exécutif d'éviter une paralysie administrative en demandant au Parlement l'autorisation de percevoir les impôts et en ouvrant par décrets les dépenses nécessaires au fonctionnement de l'État.
Ce projet de loi spéciale devra être déposé avant le 19 décembre et permettra "de gagner du temps", estime le constitutionnaliste Benjamin Morel, puisqu'il garantira le fonctionnement minimal de l'État en reconduisant le montant des crédits du Budget 2024.
Un nouveau Budget en début d'année
La loi de finances spéciale jouerait en quelque sorte le rôle de roue de secours et n'aurait donc pas vocation à s'appliquer éternellement. "C'est un texte qui vise à s'appliquer un mois, six semaines au maximum", expliquait le député de Seine-Saint-Denis et président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, Éric Coquerel.
De fait, la loi spéciale est particulièrement restrictive. Certains juristes (bien qu'ils ne soient pas tous d'accord sur le sujet) ainsi que le gouvernement démissionnaire estiment par exemple qu'elle ne pourra pas intégrer la revalorisation du barème de l'impôt sur le revenu initialement prévue dans le projet de loi de finance 2025 (PLF), ce qui conduirait à une augmentation des impôts de plusieurs millions de foyers.
Surtout, la limitation des dépenses à hauteur de celles engagées en 2024 poseraient au fil des mois des difficultés pour financer certaines mesures. "Les fonctionnaires continueraient à être payés mais sur une base de 2024, donc il n'y a plus de possibilité de faire des revalorisations catégorielles à partir du 1er janvier 2025", indiquait sur BFMTV le ministre démissionnaire de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian, pour qui la loi spéciale remettrait également en cause "les recrutements nécessaires pour remplacer les départs en retraite".
S'il souhaite mettre en oeuvre de nouvelles mesures fiscales et sociales et doter l'État des crédits nécessaires lui permettant d'investir comme prévu et de respecter ses engagements pris sur l'année 2025, le Parlement devra donc discuter et adopter un nouveau Budget dès le début d'année.
Des difficultés de trésorerie pour la Sécurité sociale
S'agissant du projet de loi de finances de la Sécurité sociale, la situation n'est pas tout à fait la même. "La grande différence, c’est qu’en matière de Sécurité sociale, les dépenses qui sont votées dans la loi ne sont que des objectifs, il n’y pas de limite. Donc s’il n’y a pas de PLFSS (au 1er janvier), il n’y a pas d’objectifs, mais on continue quand même de payer les prestations sociales, les retraites, les remboursements de l’assurance maladie…", détaillait sur BFM Business François Ecalle, spécialiste des finances publiques.
Mais là-encore, cela ne pourra pas durer bien longtemps. Il sera en effet nécessaire d'autoriser l'Acoss, trésorier de la Sécurité sociale, à emprunter pour lui éviter d'être à court de trésorerie: "Le futur gouvernement devra agir rapidement. (...) C'est dès la fin janvier qu'il y aurait des problèmes de trésorerie s'il n'y a pas cette possibilité d'emprunts sur les marchés financiers", assure auprès de l'AFP Dominique Libault, président du Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS).
"Chaque année, le budget de la Sécu autorise à emprunter sur les marchés financiers, dans la limite d'un certain plafond. Il faut rétablir le plafond d'emprunt qui était prévu dans le projet de budget 2025, soit 65 milliards, contre 45 milliards en 2024", ajoute-t-il.
Autoriser les emprunts sur les marchés
Si Emmanuel Macron a annoncé le dépôt d'une loi spéciale pour remédier à l'absence de Budget de l'État, l'incertitude demeure pour le Budget de la Sécurité sociale. Permettre à l'Acoss d'emprunter nécessiterait "une mesure soit législative, soit règlementaire, je pense que le débat existe encore entre les juristes",souligne Dominique Libault.
Plusieurs options semblent sur la table. Selon une note du secrétariat général du gouvernement dévoilée par Contexte, l'une d'elles pourraient consister à augmenter en urgence le plafond d'emprunt de l'Acoss par décret pour lui permettre d'emprunter plus que prévu d'ici à la fin de l'année, ce qui ne devrait toutefois pas suffire à couvrir l'intégralité des besoins de 2025.
Autre possibilité défendue par la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet: reprendre la discussion du projet de loi de finances de la Sécurité sociale en l'amendant pour aboutir à une version minimaliste susceptible d'être approuvée rapidement par une majorité d'élus du Parlement. Ce qui n'est pas gagné. Enfin, comme pour le PLF, le futur gouvernement pourrait passer par une loi spéciale. Selon une source gouvernementale, l'exécutif réfléchirait d'ailleurs à intégrer plusieurs articles, peut-être jusqu'à "quatre ou cinq", au projet de loi spéciale sur le Budget de l'État, dont la possibilité pour l'Acoss d'emprunter sur les marchés. Mais certains juristes estiment que cette autorisation devra être intégrée dans une loi spéciale distincte.