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En cas d'échec des négociations avec les syndicats, le gouvernement est-il vraiment dans son droit de reprendre la main sur l'assurance chômage?

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Les syndicats sont unanimement opposés à de nouvelles négociations de l'assurance-chômage alors qu'une convention, signée le 14 novembre 2024, est partiellement entrée en vigueur il y a quelques mois seulement.

Le gouvernement va-t-il trop loin sur l'assurance chômage? Alors que les syndicats sont unanimement opposés à négocier une énième fois les règles d'indemnisation des demandeurs d'emploi, le Premier ministre se garde la possibilité de reprendre la main. Ce vendredi 29 août, en marge d'une conférence de presse intersyndicale, la leader de la CGT Sophie Binet a même alerté contre des "tentatives de passage en force du gouvernement qui essaie de faire passer des projets de décret sur les franchises médicales et peut-être sur l'assurance chômage avant le 8 septembre".

D'après certaines organisations syndicales comme FO et la CFE-CGC, cela pourrait s'apparenter à un "excès de pouvoir". "On a signé une nouvelle convention le 14 novembre 2024 et celle-ci n'est même pas encore pleinement entrée en vigueur", souffle auprès de BFM Business Frédéric Souillot, secrétaire général de Force ouvrière.

"La nouvelle convention est normalement valable pour une durée de 4 ans, je ne suis pas certain que le gouvernement soit dans son droit de reprendre la main comme ça", abonde François Hommeril, président de la CFE-CGC.

Les syndicats envisagent de saisir le Conseil d'État

FO et la CFE-CGC ont entamé des démarches juridiques afin de vérifier si le gouvernement est donc bien dans son droit pour reprendre la main sur la convention d'assurance chômage, alors que l'agrément entré en vigueur il y a quelques mois n'est pas arrivé à son terme. Suivant les conclusions, ces deux organisations syndicales, et peut-être les autres, n'excluent pas de saisir le Conseil d'État.

Mais la démarche semble délicate. De prime abord, les syndicats semblent avoir leurs chances d'obtenir gain de cause et de donner tort au gouvernement, si ce dernier passe bien en force par décret pour modifier les règles d'indemnisation des demandeurs d'emploi.

"Sur la convention d'assurance chômage, jusqu'à preuve du contraire, si un terme a été stipulé, il doit être respecté", suppose Lucas Bento de Carvalho, professeur de droit du travail à l'université de Montpellier.

Professeur de droit public, spécialiste du droit constitutionnel de l'économie dans ce même établissement, Pierre-Yves Gahdoun est moins catégorique: "le droit de l'assurance chômage est assez particulier car il est dérogatoire. La généralité, c'est qu'il n'y a pas vraiment de compétences qui appartiennent aux partenaires sociaux, ils ont les compétences que le gouvernement veut bien leur donner", nuance-t-il auprès de BFM Business.

Pour l'instant, le gouvernement semble avoir bien suivi la procédure

Passé les généralités, le gouvernement se fonderait pourtant sur un mécanisme tout à fait légal, prévu à l'article L.5422-25 du code du travail. "Selon cet article, le gouvernement peut en effet demander aux partenaires sociaux de renégocier en cours de convention, sur la base d'un nouveau document de cadrage. Si la négociation échoue, il a le droit de retirer l'agrément donné à la convention, ce qui lui ouvre mécaniquement le droit de publier un nouveau décret", explique à BFM Business Laure Camaji, maîtresse de conférences en droit social à l'Université Lumière Lyon 2.

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Néanmoins, "cette faculté est délimitée par la loi à des projections économiques particulières". Avant même d'adresser une lettre de cadrage aux partenaires sociaux, il faut d'abord que le gouvernement remette à ces derniers et au Parlement, au plus tard le 15 octobre, un rapport sur la situation financière, précisant les mesures déjà mises en oeuvre qui contribuent à l'atteinte de l'équilibre financier à moyen terme et détaillant d'autres mesures susceptibles d'être prises pour ce même objectif.

"Il y a donc des conditions de procédure (rapport, document de cadrage) et de fond (écart significatif) qui seront examinées par le juge administratif, dans l'hypothèse où le gouvernement venait à retirer l'agrément à la suite de l'échec des négociations", analyse Laure Camaji.

D'après le Journal officiel du 22 juillet 2025, le gouvernement a bien remis au Parlement un rapport relatif à la situation financière du régime d'assurance chômage. Le document a précisément été transmis à la commission des affaires sociales et à la commission des finances. Sur le papier, il est donc en règle puisque ce rapport a été remis avant l'envoi de la lettre de cadrage invitant les partenaires sociaux à de nouvelles négociations de la convention d'assurance chômage, qui est datée du 8 août.

"Dégradation sensible" du solde de l'assurance chômage selon le ministère du Travail

Qui plus est, dans un document remis à la CFDT et à la CFTC fin juillet par le cabinet de la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, on lit que "la trajectoire de l'assurance chômage s'est fortement dégradée depuis la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 (LPFP)". Le ministère indique que le solde de l'assurance chômage pour 2025 s'établirait à 700 millions d'euros, "alors que le sous-jacent assurance chômage de la trajectoire de la LPFP (tenant déjà compte du prélèvement de l'État sur les recettes du régime) était en excédent de 6,5 milliards d'euros", développe le document transmis aux organisations syndicales.

"Il y aurait donc un écart entre les deux soldes de 5,8 milliards d'euros en 2025. Pour 2026, cet écart entre les deux soldes serait de 8,5 milliards d'euros. Si on exclut les prélèvements de l'État, l'écart des soldes serait de 5,5 milliards d'euros en 2025 et de 7,9 milliards en 2026", précise le ministère du Travail.

Il n'empêche qu'il paraît étonnant de re-modifier à nouveau la convention d'assurance chômage alors que le dernier agrément est entré en vigueur en mars dernier. "Le procédé est choquant, dans un délai aussi court après la conclusion de la nouvelle convention. Un régime d'assurance chômage est censé procurer une sécurité matérielle aux chômeurs. Ce n'est plus le cas lorsque les règles changent tous les six mois", considère Laure Camaji.

Si les syndicats saisissent le Conseil d'État, le juge aura surtout à statuer sur l'écart significat du solde de l'assurance chômage par rapport à la trajectoire prévue. "Il est délicat de prédire la décision du Conseil d’État... Je dirais donc que les organisations syndicales disposent d'une voie juridique pour contester un éventuel retrait d'agrément de la convention mais que le Gouvernement a aussi les moyens de se défendre", conclut cette spécialiste en droit social.

Caroline Robin