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"C'est la fin de l'emploi à vie": le gouvernement envisage de pérenniser les ruptures conventionnelles dans la fonction publique

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Lancée en 2020, l'expérimentation des ruptures conventionnelles dans les trois versants de la fonction publique est censée s'achever à la fin de l'année. Le ministre Laurent Marcangeli envisage sa pérennisation à travers un nouveau projet de loi qui devra être soumis au Parlement.

Pas à pas, la fonction publique se calque sur le modèle du secteur privé. Alors que la rupture conventionnelle est dans le viseur du gouvernement pour mieux réguler les ouvertures de droit à l'assurance chômage, le ministre de l'Action publique, de la fonction publique et de la simplification, Laurent Marcangeli, envisage de pérenniser ce mode de rupture à l'amiable du contrat de travail pour les fonctionnaires et les contractuels.

Une expérimentation a en effet été lancée dans les trois versants (fonction publique d'État, territoriale et hospitalière) le 1er janvier 2020 et doit s'achever le 31 décembre 2025, comme le prévoit un décret d'application de la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019.

Cinq ans plus tard, "il ressort que l'expérimentation de la rupture conventionnelle pour les fonctionnaires a rencontré un succès limité mais réel", indique le ministre dans une réponse écrite publiée le 5 août dernier à une question posée par la députée Horizons Marie-Agnès Poussier-Winsback.

"À la différence de la démission ou de la disponibilité, [ce dispositif] ouvre droit pour l'agent à l'allocation d'aide au retour à l'emploi (ARE) et permet de l'accompagner dans son projet professionnel. Enfin, il est susceptible d'apporter une solution à des situations RH complexes qui ne trouvent pas d'issue et sont lourdes à gérer pour les employeurs publics", souligne l'ancien maire d'Ajaccio.

Une nouvelle loi doit être votée pour perenniser le dispositif

Laurent Marcangeli précise qu'un rapport, dressant le bilan de cette expérimentation a déjà été remis au Parlement le 14 mars dernier, et que compte-tenu de cette évaluation, "la pérennisation par voie législative de ce dispositif est à présent envisagée".

Autrement dit, alors que le dispositif se clôturera à la fin de l'année, il faudra qu'une nouvelle loi soit examinée et adoptée par les députés et les sénateurs afin que les fonctionnaires et contractuels puissent continuer à solliciter une rupture conventionnelle pour quitter le service public avec des indemnités et une ouverture de droits à l'assurance chômage.

Fuite d'enseignants dans l'Éducation nationale

Si la transposition des ruptures conventionnelles, autrefois réservées au secteur privé, dans les trois versants de la fonction publique est plutôt bien perçue, les syndicats restent sur le qui-vive. "Les demandes les plus nombreuses sont dans l'Éducation nationale et toutes ne sont pas forcément validées parce qu'il faut bien des professeurs devant les élèves. Mais le fait qu'il y ait autant de demandes est quand même le signe qu'il y a une dégradation des conditions de travail et des rémunérations", soulève auprès de BFM Business Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonction publique.

"3 ruptures conventionnelles sur 4 concernent les agents de l'Éducation nationale", alerte Luc Farre, secrétaire général de l'Unsa Fonction publique.

Pour Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU, la rupture conventionnelle dans la fonction publique est "un bon baromètre de l'état de l'Éducation nationale". "Il y a beaucoup de demandes mais elles ne sont pas toujours satisfaite. On a beaucoup de collègues qui se tournent vers la rupture conventionnelle parce que leurs conditions de travail sont tellement dégradées que finalement ils se tournent vers la rupture conventionnelle comme alternative à la démission", détaille-t-elle auprès de BFM Business.

Cette professeure de sciences économiques et sociales en lycée dans l'Essonne se montre prudente face aux intentions du gouvernement de pérenniser les ruptures conventionnelles dans la fonction publique.

"On sait que cela a un coût pour l'État employeur mais vu la période qui pourrait s'ouvrir, on le voit clairement comme un outil qui pourrait non seulement permettre de supprimer des postes, mais aussi de se débarasser d'un nombre conséquent de fonctionnaires de l'Éducation nationale et donc d'alléger la masse salariale.", craint-elle.

Et pour cause : dans son plan de redressement des finances publiques, présenté le 15 juillet dernier, le Premier ministre François Bayrou prévoit de sabrer dans les effectifs de la fonction publique. Le chef du gouvernement a en effet annoncé la suppression de 3.000 emplois publics dès l'année prochaine, afin de contribuer aux 43,8 milliards d'euros d'économies attendues dès 2026. "Avec la rupture conventionnelle, c'est la fin de l'emploi à vie dans la fonction publique", soupire Sophie Vénétitay.

Des indemnités jugées "trop faiblardes"

La majorité des ruptures conventionnelles signées depuis le début de l'expérimentation l'ont été dans la fonction publique d'État. "Il y en a eu 4.642 entre 2020 et 2022", précise Luc Farre qui attend les chiffres des années 2023 et 2024. "On n'a pas de données pour la fonction publique territoriale et hospitalière car les demandes sont vraiment trop faibles dans ces deux versants-là", complète le secrétaire général adjoint de l'Unsa Fonction publique.

"Malgré les demandes nombreuses, toutes les demandes ne sont pas acceptées et certains agents ont laissé tomber vu la faiblesse des indemnités. D'après la Cour des comptes, l'indemnité moyenne est de 20.300 euros, le dispositif a coûté 107,6 millions d'euros entre 2020 et 2022", développe Luc Farre.

En effet, le montant minimum de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle (ISC) est corrélé à l'ancienneté du fonctionnaire ou du contractuel. Jusqu'à 10 ans d'exercice dans le service public par exemple, elle correspond à un quart de mois de rémunération mensuelle brute, multiplié par le nombre d'années d'ancienneté.

Dans le secteur privé, selon les conventions collectives ou accords de branche, il arrive que les indemnités de rupture conventionnelles soient équivalentes à un mois de salaire brut par année d'ancienneté, ce qui est forcément plus avantageux.

Caroline Robin