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INFOGRAPHIE. La majorité des ruptures conventionnelles conduisent-elles vraiment à une indemnisation chômage?

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Dans sa lettre de cadrage envoyée aux partenaires sociaux, le Premier ministre souhaite renforcer "les incitations à un retour rapide en emploi" pour les personnes qui ont conclu une rupture conventionnelle individuelle.

C'est l'un des dossiers chauds que le gouvernement souhaite ouvrir à la rentrée. Dans sa lettre de cadrage adressée aux partenaires sociaux et consultée par BFM Business, le Premier ministre François Bayrou invite syndicats et patronat, dans le cadre de nouvelles négociations de la convention d'assurance-chômage, à "renforc[er] les incitations à un retour rapide en emploi pour les personnes ayant conclu une rupture conventionnelle individuelle" avec leur précédent employeur.

Le dispositif aurait été "dévoyé" de ses objectifs selon le gouvernement. La ministre du Travail et de l'emploi estime même qu'il existe "objectivement beaucoup d’abus – du côté salarié comme du côté entreprise". Côté employeurs, l'entourage d'Astrid Panosyan-Bouvet précise qu'il peut s'agir de "de licenciement 'déguisés' en ruptures conventionnelles".

Si le chef du gouvernement reste évasif dans sa lettre de cadrage, le cabinet de la ministre du Travail a déjà suggéré, fin juillet, d'allonger le délai de carence, c'est-à-dire la période pendant laquelle le salarié ayant négocié une rupture conventionnelle avec son entreprise n'a pas droit à l'assurance chômage. De cette manière, le dispositif de rupture conventionnelle deviendrait, peut-être, moins attractif pour les salariés.

"On manque de données chiffrées"

La stratégie du gouvernement interroge les spécialistes en droit du travail. "On manque de données chiffrées sur le volume de ruptures conventionnelles qui conduisent vraiment à une indemnisation par France Travail", regrette Me Cécile Pays, du cabinet Synanto avocats, aupès de BFM Business.

"Parmi les dossiers que je traite, je constate majoritairement des collaborateurs qui ont déjà trouvé un emploi et qui demandent la rupture conventionnelle par sécurité, le temps de la période d'essai", analyse-t-elle.

"Quand on est en rupture conventionnelle, on est sur un taux très élevé d'inscription au chômage, pas très loin de 90%", insiste pourtant une source proche du gouvernement. Cette dernière s'appuie notamment sur les statistiques de la Dares, adossée au ministère du Travail. Chaque trimestre, ce service publie les chiffres et évolutions des entrées à France Travail, par motif. Par exemple, au second trimestre 2025, 40.300 personnes se sont inscrites à France Travail après avoir conclu une rupture conventionnelle avec leur précédent employeur.

"C'est une moyenne mensuelle qu'il convient de multiplier par 3", précise cette même source proche du dossier relatif aux négociations de la convention d'assurance-chômage. Ce qui donnerait, si l'on suit ce raisonnement, plus de 120.000 inscriptions à France Travail à la suite d'une rupture conventionnelle pendant le trimestre. Cela correspondrait alors à l'immense majorité des ruptures conventionnelles recensées par trimestre par la Dares, qui en totalise par exemple près de 128.000 au premier trimestre 2025.

Mais il ne s'agit là que des inscriptions à France Travail. Or, toute inscription ne déclenche pas systématiquement le versement d'allocations chômage. Contactée par BFM Business, la Dares indique qu'elle "ne publie pas le nombre de ruptures conventionnelles qui conduisent effectivement à une indemnisation chômage par France Travail". En revanche, "les ouvertures de droit à une indemnisation chômage à la suite d'une rupture conventionnelle sont publiées par l'Unédic", précise-t-elle.

Les deux tiers des ruptures conventionnelles conduisent à une indemnisation

Ces données, accessibles en open data dans un tableau de suivi de l'assurance chômage, indiquent qu'en 2024, 333.724 allocataires étaient indemnisés par France Travail après une rupture conventionnelle conclue avec leur dernière entreprise. Si l'on rapporte ce nombre aux 514.627 ruptures conventionnelles totalisées l'année dernière par la Dares, cela signifie que dans deux tiers des cas, un travailleur qui quitte son employeur dans le cadre d'une rupture conventionnelle est par la suite indemnisé par France Travail.

En revanche, la rupture conventionnelle ne constitue pas le premier motif d'ouverture de droits à l'assurance chômage. En 2024, 519.072 personnes sont devenues allocataires après la fin d'un CDD, 361.779 après un licenciement pour motif personnel ou une rupture de la période d'essai par l'employeur. Les bénéficiaires d'une rupture conventionnelle sont toutefois plus nombreux à être indemnisés par France Travail que les personnes devenues allocataires après la fin d'une mission d'intérim (195.493), un licenciement économique (130.859), la fin d'un contrat d'apprentissage (122.446) ou encore un départ volontaire (58.105).

Les ruptures conventionnelles en hausse de 30% en sept ans

Il n'empêche que si le gouvernement cible en particulier les ruptures conventionnelles individuelles, c'est parce qu'elles ont significativement progressé ces dernières années.

"D’un point de vue droit du travail pur, l’assurance chômage ne peut pas faire le tampon sur la démission. Mais en sept ans, les ruptures conventionnelles ont augmenté de 30%", souligne Me Anne Leleu-Été, avocate en droit du travail auprès de BFM Business.

Pour autant, même s'il existe le dispositif de rupture conventionnelle collective, qui ne peut être déclenché qu'à l'initiative des employeurs, la rupture conventionnelle individuelle n'est pas systématiquement initiée par les salariés.

"Lorsqu'une entreprise n'est pas satisfaite d'un collaborateur, mais qu'elle veut éviter un contentieux qui peut être long, elle peut proposer une rupture conventionnelle individuelle", explique Me Anne Leleu-Été. "Au pifomètre, je dirais que 30% des ruptures conventionnelles individuelles sont à l'initiative des employeurs", précise-t-elle.

Pour autant, d'après Me Cécile Pays, s'attaquer aux ruptures conventionnelles comme le fait le gouvernement ne serait pas si gagnant que cela en termes d'économies. "J'accompagne pas mal d'entreprises qui ont d'abord refusé une rupture conventionnelle à leurs collaborateurs et ces derniers ont ensuite obtenu une déclaration d'inaptitude professionnelle. Donc elles sont indemnisées par France Travail et l'Assurance maladie, ce qui coûte cher au final", signale-t-elle.

Caroline Robin