Des euros tombés du ciel pour tous: et si "l'hélicoptère money" nous sauvait de la stagnation?

L'utilisation des billets et des pièces de monnaie diminue mais demeure le moyen de paiement privilégié des Français pour régler des achats en supermarché, au restaurant ou dans les petits commerces - PHILIPPE HUGUEN © 2019 AFP
Très en vogue avant le Covid et avant, évidemment, la période d'inflation, "l'hélicoptère money" refait surface. Cette idée selon laquelle pour relancer une demande atone il faudrait directement donner de l'argent directement aux consommateurs a été défendu il y a quelques jours par l'économiste Xavier Jaravel de la London School of Economics.
Dans une tribune publiée dans Les Echos, l'économiste fait le constat que l'inflation est désormais sous contrôle, que les taux d'intérêt ont entamé leur baisse et que les économies du Vieux continent risquent dans les années à venir de se retrouver dans une situation similaire à celle de la décennie passée. A savoir des taux d'intérêt nuls voire négatifs, une économie proche de la déflation et une incapacité des Etats à relancer la demande du fait de leur fort endettement.
Comment alors stimuler les économies ? En permettant à chaque citoyen de la zone euro d'avoir un compte à la Banque centrale qui serait crédité d'un montant dans lequel ils puiseraient pour consommer. De l'argent tombé du ciel, d'où le terme d'"argent hélicoptère", concept popularisé par le prix Nobel d'économie Milton Friedman dans son livre "The Optimum Quantity of Money", publié en 1969.
De l'argent à vite dépenser
L'économiste français qui relance l'idée donne des pistes sur le mode de fonctionnement de ce soutien inédit à la croissance. Concrètement chaque citoyen disposerait d'un compte à la banque centrale de son pays qui serait crédité et utilisable avec une carte de paiement dédiée. Pour répondre aux objections sur le risque d'épargner cet argent, Xavier Jaravel imagine une carte de paiement à durée limitée.
"Les individus auraient quelques semaines pour utiliser les fonds, après quoi le solde restant serait perdu", détaille-t-il.
L'effet vertueux d'un tel mécanisme serait d'orienter les revenus vers la consommation, donc vers l'activité plutôt que vers une épargne stérile comme c'est le cas actuellement. De plus, alors que la baisse des taux a tendance à faire monter la valeur des actifs (notamment immobiliers) et profite donc plutôt aux ménages aisés, une distribution d'argent à consommer serait bénéficiaire en priorité aux classes moyennes.
"C'est le retour du concept de "monnaie fondante" imaginé par l'économiste Silvio Gesell qui serait une monnaie qui se déprécie dans le temps et qui incite donc à l'utiliser tout de suite, indique Eric Dor, professeur à l'IESEG School of Management. L'idée est de remplacer les politiques budétaires des Etats par une politique monétaire. Est-ce que c'est nécessaire aujourd'hui? Pour moi c'est une fiction qui n'existe pas aujourd'hui, on n'est pas du tout en déflation."
Mais si la baisse des taux d'intérêt se poursuit (ce qui va probablement se produire) et si, malgré tout, la croissance stagne en Europe, une relance par la demande via les institutions monétaires serait-elle efficace ?
Un coût pour les banques centrales
D'abord tout cela aurait un coût pour les institutions financières.
"Si la banque centrale se met à mettre 1000 euros, quelque part ça va être inscrit à son passif, il faut qu'elle trouve un actif pour compenser ça (…), explique Jean-Marc Daniel, économiste et éditorialiste chez BFM Business: La banque centrale avait un mandat et on est en train de l'oublier."
Comme les Etats, les banques centrales sont pour la plupart en déficit. Fin 2023, le bilan annuel consolidé de l’Eurosystème, qui comprend les actifs et passifs des banques centrales nationales des pays de la zone euro et de la BCE vis-à-vis des tiers, s’élevait à 6935 milliards d’euros.
"C'est comme l'idée que la dette pourrait devenir gratuite, c'est faux, explique Eric Dor. La Banque de France doit payer des intérêts aux banques sur son passif. Attention à l'illusion qu'un financement monétaire est indolore, ce n'est pas vrai."
Enfin l'efficacité de cette méthode est contestée par les économistes orthodoxes pour qui s'il y a un problème de demande, les solutions sont à chercher du côté du marché de l'emploi et de la compétitivité des entreprises. Autrement dit c'est parce que la création de richesse globale est trop faible que la demande stagne.
L'Europe a-t-elle besoin d'une relance par la demande ?
De fait, le décrochage européen spectaculaire par rapport aux Etats-Unis constaté depuis plus d'une décennie semble davantage le résultat d'une perte de compétivité. En retard sur toutes les technologies de pointe, l'Europe est en train de s'appauvrir à la différence des Etats-Unis.
"Le revenu disponible réel par habitant a augmenté presque deux fois plus aux États-Unis qu'en Europe depuis 2000", alertait en septembre dernier Mario Draghi dans son rapport sur le "défi existentiel" du Vieux continent.
Aucun géant mondial de la tech européen quand les Etats-Unis comptent huit entreprises de ce secteur à plus de 1000 milliards de dollars de capitalisation, une productivité qui progresse trois fois moins vite qu'outre-Atlantique depuis 2019 et une croissance 3,5 fois moins grande en zone euro qu'aux Etats-Unis en 2024...
Distribuer 1000 euros à chaque Européen pour qu'il les dépense rapidement permettrait-il de résoudre une partie de ces problèmes et de rattraper le retard ?
