Pénurie de moutarde: quand reviendra-t-elle dans les rayons?

Depuis plusieurs semaines, les rayons de moutarde se vident, mais ne se remplissent pas. Dans un pays comme la France où la consommation moyenne est de 1 kilo par an et par personne, les distributeurs sont obligés de limiter l’achat à un ou deux pots face aux difficultés d’approvisionnement.
Sans surprise, le prix de ce condiment devenu rare a fortement augmenté, de près de 14% en un an, selon les données d’Iri. Et la situation n’est pas prête de s’arranger.
Luc Vandermaesen, président de l'Association Moutarde de Bourgogne, est pessimiste. Il craint que "cela ne prenne encore un peu de temps avant de pouvoir se réapprovisionner". Selon lui, les tensions devraient durer jusqu’en 2024, a-t-il confié au Monde.
Ralentissement de la production canadienne
Cette pénurie n’est pas uniquement liée à la guerre en Ukraine. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le pays de la moutarde de Dijon n’est pas un grand producteur de graines de moutarde. La France est donc obligée de s’approvisionner à l’étranger. Environ 80% des 35.000 tonnes de graines nécessaires sont importées du Canada.
Or, il devient de plus en plus difficile de s’en procurer. Le pays a diminué sa production de plants de moutarde au profit du blé, plus rémunérateur. Et le Canada a souffert d’un important épisode de sécheresse qui a fragilisé les cultures. Résultat, la production de graines canadiennes a diminué de moitié début 2022, pour atteindre 50.000 tonnes, selon le ministère canadien de l'Agriculture.
Une autre partie des graines importées en France vient de Russie et d'Ukraine. Depuis le début du conflit à l’Est en février, la livraison de ces graines est fortement perturbée.
Reconstituer la filière française
L’occasion de relancer la filière française? La Bourgogne, qui produit une petite partie des graines nécessaires aux fabricants, compte bien tirer profit de cette crise d'approvisionnement canadien et du blocage des importations à l'Est.
"Notre objectif est de tripler les surfaces cultivées dans notre région pour atteindre les 10.000 hectares, soit environ 1% des surfaces cultivables de la région. Les industriels de la filière ont aussi accepté de faire un effort et consenti à une augmentation du prix des graines qui leur seront livrées", explique aux Echos Fabrice Genin, président de l'Association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne (APGMP)
A condition de mettre au point des semences plus résistantes au climat et aux insectes afin d'avoir des rendements suffisants, la législation française en termes d'insecticides étant plus contraignante que celle d'autres pays, ce qui freine la création d'une véritable filière française.
Mais ces efforts ne paieront pas cette année. L'anglo-néerlandais Unilever, premier producteur de moutarde en France reconnaît que "la totalité des récoltes de graines de Bourgogne, seule, serait insuffisante pour couvrir l'ensemble de la production des moutardes Amora et Maille sur l'année".
Il lui manquera plus d'un tiers de ses besoins en graines de moutarde pour assurer ses volumes de production 2022, a affirmé l'entreprise aux Echos. Mais elle espère "retrouver les approvisionnements habituels dès réception de la prochaine récolte de graines en octobre 2022".
Le retour à la normale n'est donc pas prévu pour cette année. Néanmoins, comme pour l'huile de tournesol, certains distributeurs réussissent à garnir les rayons avec des marques inconnues venant souvent de pays de l'Est comme la Pologne ou la République Tchèque. Reste à savoir si le goût est le même.