1995, 2010, 2019… quel est l'impact d'une grande grève sur l'économie française ?

Top départ ce jeudi 19 janvier pour la mobilisation contre la réforme des retraites. Les syndicats espèrent bien mobiliser largement face au projet de loi du gouvernement, majoritairement rejeté par les Français. Et, surtout, espèrent que le 19 janvier ne sera que le tour de chauffe d'un mouvement de longue durée qui ferait plier l'exécutif. Mais quelles peuvent être les conséquences d'un grand conflit social sur l'économie française ? Retour sur les grandes mobilisations des trente dernières années.
• 1995: grèves massives contre le plan Juppé
La grande mobilisation de 1995 reste dans toutes les têtes syndicales. Alain Juppé, alors Premier ministre de Jacques Chirac, présente en novembre 1995 un plan de redressement de la Sécurité sociale, dans lequel on retrouve une réforme des retraites qui veut notamment aligner la durée de cotisation du public sur le privé. Le "plan Juppé" provoque des grèves massives – les transports sont paralysés pendant près d'un mois. Dans la rue, le nombre de manifestants ne cesse d'augmenter, atteignant au moins 1 million de personnes le 12 décembre, selon les chiffres de la police.
La France est bloquée. À l'époque, pas de télétravail, ni d'achats sur Internet. Les conséquences économiques sont néanmoins limitées: selon l'Insee, ces grandes grèves ont coûté 0,2 point de PIB sur le quatrième trimestre, mais l'activité perdue est rattrapée dès le trimestre suivant. Certains secteurs sont à l'arrêt, mais ce ne sont pas forcément les plus importants en termes de PIB, et l'activité récupère ce qu'elle a perdu lorsque le pays redémarre. Sauf pour des secteurs comme le commerce, le tourisme ou l'hôtellerie-restauration qui, eux, ne retrouvent pas toutes leurs pertes.
• 2010: manifestations contre la réforme Woerth
En 2010, c'est une autre réforme des retraites qui mobilise contre elle. Cette fois-ci, c'est le gouvernement de Nicolas Sarkozy: la réforme portée par Éric Woerth, alors ministre du Travail, compte notamment reculer l'âge légal de départ en retraite de 60 à 62 ans. La réaction sociale est épidermique: les manifestants sont même plus nombreux qu'en 1995, si l'on regarde les chiffres de la police. On dépasse le million de manifestants à plusieurs reprises – le 12 octobre 2010 sera le point culminant du mouvement avec 1,23 million de personnes dans les rues.
La réforme, surtout, provoque des grèves importantes dans certains secteurs stratégiques: SNCF, transporteurs routiers, éboueurs… Des blocages sont également organisés dans les raffineries et les dépôts de carburant, responsables de ruptures d'essence dans un grand nombre de stations-service. À nouveau, les conséquences économiques s'avèrent néanmoins contenues pour l'économie française: l'Insee estime que la mobilisation a coûté entre 0,1 et 0,2 point de PIB sur le moment, mais l'activité a retrouvé sa trajectoire dans les mois qui ont suivi le mouvement.
• 2018: grève "intermittente" de la SNCF
Fraîchement élu l'année précédente, Emmanuel Macron lance au printemps 2018 une réforme de la SNCF et de la fonction publique. En réponse, largement mobilisés, les cheminots amorcent une "grève intermittente" à partir du mois d'avril, c'est-à-dire deux jours de grève pour trois jours travaillés. La circulation des trains est très perturbée en France pendant trois mois, au détriment de certains secteurs comme le tourisme ou l'hôtellerie. Mais cette grève n'a finalement coûté qu'un peu moins de 0,1 point de PIB sur le deuxième trimestre 2018, selon l'Insee, rattrapé dès l'été.
• 2018-2019: mouvement inédit des "gilets jaunes"
Le samedi 17 novembre 2018 lance le mouvement des "gilets jaunes". C'est une mobilisation inédite, en-dehors des syndicats. Des manifestations rassemblent jusqu'à 290.000 personnes, mais elles ne sont pas vraiment le cœur du mouvement. On compte un grand nombre de rassemblements disséminés dans le temps et sur le territoire, comme des occupations de ronds-points, des blocages d'axes routiers ou des opérations "péage gratuit". Difficile d'estimer le nombre réel de participants: une étude estime qu'environ 3 millions de Français ont participé à au moins une action.
Difficile d'estimer aussi les conséquences économiques. Les actions, contrairement aux traditions syndicales du mardi ou du jeudi, avaient lieu le weekend, les rendant moins perceptibles. À nouveau, ce sont surtout des secteurs comme le petit commerce ou le tourisme qui ont été touchés – les manifestations et les blocages, auxquels ont pu s'ajouter de la casse, se sont concentrés dans les zones commerciales et les centres-villes. Mais selon l'Insee, ce mouvement n'a finalement coûté que 0,1 point de PIB sur le quatrième trimestre 2018, au plus fort du mouvement.
• 2019-2020: opposition à la retraite à points
Ce sont les retraites qui mettent encore le feu aux poudres: le gouvernement d'Édouard Philippe veut supprimer les régimes spéciaux et passer à une retraite à points. De grandes manifestations s'organisent en décembre 2019 et janvier 2020, dépassant 800.000 personnes au plus haut. Des grèves, surtout à la SNCF et à la RATP pendant plus d'un mois, bloquent également certains secteurs. Selon l'Insee, la mobilisation contre ce projet de réforme (avortée en raison de la crise sanitaire) a coûté 0,1 à 0,2 point de PIB sur le quatrième trimestre, rattrapé par la suite.