Politique, avenir et autocritique: les confidences de Christophe Castaner dans les Alpes-de-Haute-Provence

Le président du groupe LREM à l'Assemblée nationale Christophe Castaner, lors du meeting d'Emmanuel Macron à Marseille le 16 avril 2022 - Ludovic MARIN © 2019 AFP
Deux ans et deux mois. C’est le temps qu’il aura fallu à Christophe Castaner pour accepter un échange, au moins informel, avec BFM DICI. "Une vraie diète médiatique", sourit l’intéressé qui n’a plus donné aucune interview en longueur à un journal depuis l’été 2022. Jusqu’à ce vendredi 23 août 2024 au matin.
Et c’est dans sa ville, celle qui l’a vu triompher et vaciller, à Forcalquier, que l’ancien maire reçoit. Sur la terrasse d’un café, là où "Casta" a toujours eu ses habitudes, le rendez-vous est fixé à 10h30. Ponctuel, Christophe Castaner semble détendu. Le teint hâlé par trois semaines de repos ici et ailleurs, l’ancien élu est encore en "mode congés", short et sandales ouvertes à l’appui.
Ce vendredi matin, il n’y a que son jus d’orange qui semble pressé. "Bonjour!", "Salut!", Christophe Castaner envoie ses amitiés à celles et ceux qui le reconnaissent sur la place du Bourguet. Deux ans après, sur cette même place ombragée de platanes servant de scène ouverte aux cigales, l’ambiance a bien changé.
A quelques mètres de là où il sirote aujourd’hui un café en chassant une guêpe qui veut boutonner son col de chemise, la vie politique de Christophe Castaner a basculé en 2022. C’était le 19 juin. Avant 20 heures, il apprenait officiellement que l’élection législative lui échappait au profit de l’Insoumis de la Nupes Léo Walter. Le patron des députés de la République en marche, ancien ministre de l’Intérieur et ancien porte-parole du gouvernement, chef de la meute des macronistes qui ont croqué tant de victoires, était battu sur la seconde circonscription des Alpes-de-Haute-Provence. 48.51% pour lui contre 51.49% des voix pour Léo Walter. Une "cata" pour "Casta" qui n’élude pas le sujet.
"J'étais en colère contre mon département"
"Léo Walter a gagné avec les voix du Rassemblement national qui se sont retournées contre moi. Il n’y a qu’une seule circonscription en France pour laquelle Louis Aliot et Marine Le Pen ont clairement appelé à faire battre le candidat de la majorité présidentielle. Il n’y a qu’à voir à Manosque et Sisteron où je sors en tête au premier tour avant d’être battu au second", analyse froidement Christophe Castaner.
Mais encore? "Il faut reconnaître que Léo Walter est un bon politique. Mais dans sa posture d’opposant systématique, il n’a aucun bilan. Je sais exactement ce qu’il traverse aujourd’hui". Et c’est tout? L’ancien député reconnaît qu’il n’a peut-être pas fait la meilleure campagne possible en 2022. Une campagne "de sénateur", proche des élus mais éloignée des électeurs.
"Pourtant, j’ai encore plus bossé qu’en 2017" se défend-il.
En 2016, Christophe Castaner avait surpris tout le monde en traversant la circonscription à pied, de Corbières au col de Larche. "Mais à l’époque, j’étais un peu 'une star' alors qu’en 2022, la situation n’était plus la même", se souvient l’ancien parlementaire. La crise des gilets jaunes était passée par là. Le Covid aussi. Castaner était devenu la cible à abattre. De cette période, il en garde des souvenirs douloureux.
Le passage par la Place Beauvau était trépident, excitant mais aussi risqué. En tant qu’ancien ministre de l’Intérieur ayant pris des décisions sensibles, Christophe Castaner reste encore protégé par deux officiers de sécurité qui veillent sur lui quotidiennement. "Mais franchement si on m’arrête aujourd’hui, c’est pour un selfie", rassure l’ancien ministre.
Pour Castaner, c’est clair, les électeurs en 2022 ont fait payer au député les actions du ministre. La plaie est-elle cicatrisée? "Il y a eu trois mois difficiles", admet l’intéressé. Et de poursuivre: "J’étais en colère contre mon département car je n’ai pas compris". Car selon lui, "il n’y a jamais eu autant de services publics, de moyens pour les petites communes, d’annonces concrètes pour les agriculteurs lors de la venue d’Emmanuel Macron à Corbières…"
Un ancien ministre très occupé
Christophe Castaner marque une pause et passe à autre chose. Ou presque. "La dissolution de l’Assemblée nationale, je n’étais pas pour et je l’ai fait savoir!". Pas besoin de développer, Castaner fait bien comprendre qu’il a échangé directement avec le chef de l’État sur le sujet.
Marcheur de la première heure, fidèle parmi les fidèles, l’ancien ministre de l’Intérieur a toujours des rapports francs et réguliers avec le président de la République. Loyal, il n’en dira pas plus. Fataliste, Christophe Castaner l’est aussi, au moment d’évoquer la situation actuelle et la future nomination du Premier ministre. Rôdé aux arcanes du pouvoir, il craint "une crise institutionnelle aiguë" à l’issue fatale.
Pour Emmanuel Macron? Pour la Vème République? "Bonjour!" Christophe Castaner salue de nouveau un habitant qui le reconnaît et finit d’un trait son orange pressée. "De quoi on parlait déjà?" s’amuse l’ancien maire. Sauvé in extrémis! Et lui dans tout ça? Après 40 ans d’engagement et de militantisme politique, est-ce vraiment terminé? "Dans les Alpes-de-Haute-Provence, oui", assure Christophe Castaner. Et à Marseille? Il ne dira rien. Alors, finie finie la politique? "Quand je vois le niveau du débat politique et des médias qui fonctionnent ensemble, cela ne me donne pas envie", balance celui qui a passé toute sa carrière justement en plein cœur de ce tango infernal.
"Je vais vous faire une confidence. Aujourd’hui, je travaille un peu moins avec moins de pression sur des sujets d’une très grande diversité et c’est passionnant. Je continue à apprendre", confie "Casta".
Parmi les nouvelles activités du bas-alpin, il y a ce que l’on connait: président du conseil d’administration du Grand Port maritime de Marseille, Christophe Castaner est également président des deux sociétés gestionnaires des tunnels du Mont-Blanc et de Fréjus. Et puis, il y a ce que le grand public ignorait jusqu’à présent.
Après sa défaite en 2022, l’ex-ministre a fondé une société de conseil baptisée "Villanelle". Lui, le passionné de haïkus, a voulu rendre hommage à ces petits poèmes pastoraux. Il accompagne ainsi des entreprises du secteur spatial, du transport ou de la petite enfance, en France comme à l’étranger. "La gestion de crise est un peu ma spécialité maintenant", se félicite-t-il. Alors, dorée la reconversion? "Le poste à Marseille est une fonction qui n’est pas rémunérée", rappelle Christophe Castaner. Gratuit, oui. Mais influent aussi. Le proche d’Emmanuel Macron reste un facilitateur, une courroie de distribution ou de rupture entre les mondes politiques et économiques. Son nom n’est jamais éloigné du pouvoir. La rumeur dit que par deux fois ces derniers mois, Christophe Castaner a eu l’opportunité de faire son retour au gouvernement. Lui, préfère en rire.
Une influence toujours prégnante
Comme il l’a toujours fait, Christophe Castaner continue la politique sous les radars, loin de la houle. Même retiré du jeu, l’animal a encore quelques cartes à abattre. En juin dernier, c’est lui par exemple qui a poussé Benoît Gauvan à se présenter face à Christian Girard sur la première circonscription des Alpes-de-Haute-Provence.
"Il est intelligent, courageux et il a pris ses responsabilités", loue l’ancien ministre au sujet du maire d’Oraison. Sur la seconde circonscription, Christophe Castaner a apporté son soutien à Dominique Blanc, qu’il savait condamnée d’avance.
"Dans le cadre des accords avec le Parti Radical, c’était assez simple de laisser cette circonscription", retrace Castaner, membre de droit et certainement à vie du parti Renaissance. Son choix, c’était l’ubayenne Élisabeth Jacques.
"Finalement, elle a peut-être bien fait de ne pas y aller", admet aujourd’hui le mentor des loyaux marcheurs restants en Haute-Provence. Et Sophie Vaginay-Ricourt, la nouvelle députée RN-LR de la seconde circonscription? "Elle tient sa revanche sur Muselier et Barreille mais elle ne fera rien", prédit Christophe Castaner, jamais avare de bons mots au moment de citer les quelques figures locales.
Ce poids-lourd de la politique continue de suivre les batailles du moment et à venir, comme celle annoncée entre David Gehant et Léo Walter pour sa ville de Forcalquier. La discussion s’interrompt. "Tenez, regardez, les journalistes m’appellent encore", se marre notre interlocuteur en tendant son portable qui ne cesse de clignoter. C’est une consœur d'un service politique qui tente de le joindre. Sans succès. Quelques minutes plus tard, le téléphone sonne encore.
Cette fois, Christophe Castaner décroche pour répondre à un appel privé. Cela sent bon la fin de l’échange sur la terrasse ombragée. Et une interview filmée pour la rentrée de septembre sur BFM DICI? "On s’en reparle" expédie, malicieux, l’ancien parlementaire. Une manière polie pour faire comprendre à un journaliste qu’il va encore falloir patienter avant de le faire revenir sur un plateau. Sur la place du Bourguet, les cigales chantent, la caravane passe. Et Christophe Castaner aussi, plus libre que jamais.