Hautes-Alpes: stupeur après l’arrestation du "Boss" de Serre-Chevalier

Thierry Gasquet est soupçonné de trafic de cocaïne au sein de son établissement. Aussi truculent que clivant, le restaurateur a fait de l’Endroit un lieu festif et décrié, mais néanmoins un établissement devenu incontournable dans la vallée de la Guisane.

Le dossier est épais. Il a été constitué minutieusement par les gendarmes rattachés à la compagnie de Briançon (Hautes-Alpes), après des heures d’écoutes téléphoniques et des observations méticuleuses des allers et venues au sein du bar-restaurant l’Endroit, un lieu atypique dans la vallée de Serre-Chevalier.

En plus de 30 ans d’exploitation, Thierry Gasquet a façonné l’adresse à son image: bruyante, accueillante, exubérante et clivante. Avec un concept plutôt simple, alliant nourriture montagnarde à outrance et ambiance festive. "Pas Vegan, pas Végétarien, pas BCBG. Juste festif et tardif". Voilà le message inscrit par le restaurateur sur sa vitrine pour donner le ton.

Un patron adoré et décrié à la fois

Une fois à l’intérieur, c’est un autre monde qui s’ouvre aux clients: musique et rigolade, alcool et galéjades. Le patron, parfois pieds nus et sans tee-shirt, donne le tempo au micro. Entre deux vidéos qui cartonnent sur les réseaux sociaux et une entrecôte-frites, Thierry Gasquet sert des verres à tour de bras pour des clients qui apprécient l’endroit. Ou qui le fuient. Le patron ne laisse personne indifférent et les nombreux avis postés sur internet peuvent en témoigner.

"Toujours aussi formidable! On y mange bien, on rigole bien! Et Thierry, le patron, met l’ambiance toute la soirée voire la nuit", "Repas généreux avec des produits du pays, patron atypique, une vraie personnalité comme on aimerait en voir plus souvent" Les avis dithyrambiques sont nombreux.

Mais Thierry Gasquet est loin de faire l’unanimité. Et ses prises de positions parfois hasardeuses au micro peuvent en effrayer plus d’un.

"Un patron qui essaie de faire le show avec un micro sans s’occuper de ses clients et qui se permet de les insulter lorsqu’ils lui font remarquer qu’on a attendu 1h20 qu’on vienne juste nous prendre la commande". Ou encore: "se faire insulter par un patron ivre qui se trouve drôle à vociférer dans un micro toute la soirée". Les avis négatifs sont également réguliers, le restaurateur s’en moque et l’assume parfaitement.

Des personnalités publiques passées par l'Endroit

Au fil des 34 ans d’existence, l’Endroit est devenu un lieu à part où une foule immense est déjà passée. Sur le compte Facebook de Thierry Gasquet, des milliers de photos illustrent ces soirées arrosées et démesurées, en hiver comme en été. De l’ami de toujours au client de passage, du fournisseur corse à la connaissance varoise, beaucoup de monde fréquente l’Endroit. Pour le lieu mais surtout pour le patron.

"On ne va pas à Serre-Chevalier, on va chez Gasquet. C’est un gars exceptionnel. Avec un cœur énorme. Mais il peut aussi partir en vrille ce qui fait son charme", analyse un ami de longue date qui l’a côtoyé entre Hyères et Le Lavandou dans le Var.

Tellement connu Thierry Gasquet qu’au fil des années, le restaurateur a hérité d’un surnom, "Le Boss". Des tee-shirt à son effigie sont même distribués aux clients qui le veulent. Thierry Gasquet a conscience de sa popularité et en joue allègrement. Si bien que l’Endroit est aussi devenu une curiosité.

Un bar qu’il faut découvrir pour se faire sa propre opinion. Du chanteur Alain Souchon à l'actrice Mathilde Seigner, en passant par le "Monsieur Tourisme" François Badjily ou Julien Tanti et Kévin Guedj de l’émission Les Marseillais, ainsi que des élus comme Arnaud Murgia, Marine Michel ou Émeric Salle. Tout le monde a le droit à sa photo avec "Le Boss".

"C’est vrai que c’est un commerçant dynamique. Ouvert toute l’année, ce qui est un véritable atout pour notre commune", reconnaît le maire de La-Salle-les-Alpes, qui n’en dira pas plus. Selon nos informations, le nom "Gasquet" revient souvent dans les discussions au sein de la municipalité.

Des plaintes pour bruits

Des riverains, essentiellement des résidents secondaires, se sont souvent plaints du bruit et des tapages réguliers. D’autres, au contraire, sont heureux d’avoir un personnage affable au ton pagnolesque dans la station. En pleine saison d’hiver, l’Endroit est plein à craquer.

"C’est l’un des seuls lieux où on peut faire la fête. Cela cartonne. Le bruit et les plaintes, c’est connu mais le côté festif aussi", abonde Marc Gueydon, président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie dans les Hautes-Alpes.

Mais rien d’alarmant pour les autorités. "Aucune fermeture administrative n’a été décidée pour cet établissement. Pour le bruit ou pour tout autre chose", confirme la préfecture des Hautes-Alpes. Dans les archives, seul un procès-verbal pour travail illégal est exhumé. C’était en 2014.

Le procès se tient vendredi

Mais peu importe les plaintes et les critiques, Thierry Gasquet avait toujours su rebondir en attirant une nouvelle clientèle, en plus des habitués de la première heure. Jusqu’à ce lundi 13 mars où l’aventure s’est brutalement arrêtée à la suite de son arrestation dans son établissement.

À Serre-Chevalier, comme dans le Var et en Corse où "Le Boss" a tissé un solide réseau, de nombreux yeux seront rivés sur les téléphones ce vendredi après-midi pour suivre les détails du procès qui se tiendra au tribunal de Gap. Une première étape dans ce dossier qui est loin d’être terminé.

Dans le cadre de cette affaire, une dizaine de consommateurs ont été entendus par les gendarmes. Ils feront l’objet d’une réponse pénale ultérieure. Les enquêteurs poursuivent actuellement leurs investigations pour identifier d’autres consommateurs qui se sont fournis à l’Endroit.

Âgé de 59 ans, Thierry Gasquet est actuellement placé en détention provisoire dans l'attente de son procès. Il est poursuivi pour usage, acquisition, offre ou cession, détention de stupéfiants et détention d’arme. Un autre homme, âgé de 56 ans et soupçonné d'avoir stocké de la cocaïne avant de la livrer au restaurateur, a aussi été arrêté et placé en détention provisoire.

Valentin Doyen et Marianne Rey