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Partenariat Ford-Google: pourquoi cet accord est décisif pour l'avenir de l'automobile

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Ford vient d'annoncer que ses modèles à partir de 2023 profiteront plein pot de l'écosystème de Google. Un accord qui marque un tournant dans les relations entre géants de la tech et constructeurs automobiles, même s'il pose encore de nombreuses questions.

Les accords entre géants de la tech et constructeurs automobiles se multiplient ces derniers mois. Dernier en date, le "partenariat stratégique" conclu entre Ford et Google pour "réinventer l'expérience du véhicule connecté".

En clair, Google va fournir le système d'exploitation des futurs modèles de Ford et de Lincoln, sa marque de luxe sur le marché américain. Un futur très proche puisqu'il s'appliquera à partir de 2023 et pour une durée d'au moins six ans. Jusqu'à cette date, c'est "Sync" le système embarqué développé par le constructeur américain et en constante évolution depuis de nombreuses années qui sera toujours proposé sur les véhicules de Ford.

C'est la première fois qu'il y a un partenariat aussi large entre Google et un constructeur automobile. On retrouvera en effet tous les services proposés par Google, de l'assistant vocal à Google Maps pour la navigation ou encore Google Play pour l'installation d'applications. A partir de 2023, les voitures de Ford seront en quelque sortes des smartphones Android sur roues", résume Franck Cazenave, président du think tank Megacities et auteur du livre "Stop Google".

Publié en 2014 aux éditions Pearson, son ouvrage prédisait justement aux constructeurs automobiles les risques de s'associer avec Google, qui s'inscrit dans une stratégie globale du géant du web pour s'imposer dans la vie de ses utilisateurs.

En s'imposant par exemple comme fournisseur de la solution de navigation par défaut des véhicules de Ford, Google prend des parts de marché à des acteurs historiques comme TomTom ou Here. Avec Google Play, c'est aussi une ouverture supplémentaire sur le marché de l'info-divertissement, avec des téléchargements potentiels de musique ou de podcasts. Mais l'accord va plus loin encore, en proposant aussi à Ford une nouvelle manière de vendre des véhicules", poursuit-il.

Ford évoque la création d'un nouveau "groupe de collaboration" entre les deux entreprises, baptisé "Team Upshift", qui permettra "aux utilisateurs de vivre des expériences personnalisées et ouvrira des perspectives inédites basées sur les données". Sont évoqués directement "le développement de nouvelles expériences d'achat de véhicule à la création de nouvelles offres d’achat basées sur des données".

Google dispose d'énormément de données sur les recherches des utilisateurs, leurs plateformes d'achat précises... cela peut être un allié décisif dans le parcours client pour acheter une voiture dans les prochaines années", souligne Franck Cazenave.

L'annonce du partenariat pose toutefois un grand nombre de questions, autour des échanges financiers, mais aussi des données entre les deux entreprises.

Ford va utiliser par défaut Google Maps mais Google pourra-t-il utiliser les données de Ford pour alimenter ses propres services?, se demande Franck Cazenave. On peut citer l'exemple des essuie-glaces, en connaissant leur activation et leur rythme de battement, Google pourrait affiner sa connaissance des conditions météorologiques, sachant qu'elles ont des influences importantes sur les conditions de circulation."

Ford a toutefois précisé dans sa communication que Google n'aurait pas "d'accès direct" à ces données... "à l'exception des informations requises pour améliorer l'expérience des applications et services de Google à bord. Toutes les autres données seront détenues et gérées par Ford." Si on reprend l'exemple des essuies glaces, difficile de savoir si ces données se rangent dans l'une ou l'autre de ces deux catégories aux contours assez vagues.

Il y a encore 3 ou 5 ans, Google était encore vu comme le diable, aujourd'hui il s'affirme comme un allié quasi-incontournable", résume de son côté un analyste financier, fin connaisseur de l'industrie automobile.

Pour lui, l'accord avec Google présente deux intérêts principaux. Il représente une énorme source d'économies pour un constructeur automobile, qui investit potentiellement des milliards d'euros pour développer un écosystème, et il peut le déployer dans un délai très court.

2023, c'est demain. Ford, comme n'importe quel constructeur automobile n'a pas les moyens de développer une solution numérique dans un délai si court. Volkswagen a investi des milliards dans la construction d'un nouveau système numérique mais ne prévoit de le déployer qu'à la fin de la décennie", souligne cet expert.

Il met également en avant la nécessité de développer un standard pour établir une solution logicielle dominante dans l'automobile autonome, la prochaine étape pour la voiture connectée. Ce serait d'ailleurs l'ambition de Volkswagen dans ce domaine, qui pourrait proposer sa solution à d'autres constructeurs. Mais on peut alors se poser la question: qui serait vraiment le diable pour un constructeur automobile, Volkswagen ou Google?

Dans l'informatique, c'est par exemple Windows de Microsoft qui a gagné il y a maintenant près de 25 ans la bataille des systèmes d'exploitation, relayant Apple au second plan."

Quelle stratégie chez les autres constructeurs?

Dans cette course à la voiture connectée et autonome, il resterait donc trois principaux concurrents en lice: Google, Apple et Tesla. Elon Musk a en effet évoqué la possibilité de vendre son "Autopilot" à d'autres constructeurs et ce système reste aujourd'hui l'un des plus avancés au monde. Apple reste plus discret mais l'expérience des dernières années, les rumeurs régulières autour d'une Apple Car et ses moyens financiers en font un autre candidat potentiel pour faire main basse sur les données automobiles.

Apple ne peut pas rester en-dehors de l'automobile: la voiture, si elle est amenée à évoluer, sera encore au coeur de la mobilité dans 10 ou 20 ans. Après Carplay, qui permet de retrouver le contenu de son iPhone sur l'écran de sa voiture, ils feront certainement un pas supplémentaire, soit avec une Apple Car qui permettra de retrouver l'expérience Apple à bord, soit via des accords similaires à celui conclu entre Google et Ford", évoque Franck Cazenave.

Autre enjeu: la Chine. Google y est en effet banni mais Ford ne devrait pas se priver de ce marché incontournable pour un constructeur mondial. De quoi faire du Google chinois, Baidu, un autre acteur attendu sur le terrain du véhicule connecté et autonome.

Il sera aussi intéressant de voir comment réagiront les autres constructeurs automobiles. Renault semble aussi avoir fait le choix de Google. Lors de la présentation du dernier plan stratégique "Renaulution", Luca de Meo a par exemple mis l'écosystème du géant américain au coeur du futur de la marque, avec une place de choix dans la future Mégane, prévue pour 2022.

Mais le groupe français veut aussi mettre en place une "Software Republic", avec de nombreux partenaires industriels comme Orange, Atos, Dassault Systems et ST Microelectronics. Et l'ambition de pouvoir proposer à son tour un "écosystème ouvert", façon Google.

On accepte l'idée que le monde de l'automobile et de la mobilité va changer. Il faut qu'on se prépare à créer une entreprise, qui est aujourd'hui un producteur de véhicules qui intègre de la technologie, à devenir une boîte tech qui intègre des véhicules. Il faut pivoter", avait ainsi déclaré Luca de Meo sur l'antenne de BFM Business le 15 janvier dernier.
https://twitter.com/Ju_Bonnet Julien Bonnet Journaliste BFM Auto