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Plus français, moins sanglant… Pourquoi la mémoire du Débarquement en Provence est moins forte que celle du D-Day

Des soldats arrivant à Saint-Tropez (Var) le 15 août 1944 pour le Débarquement en Provence.

Des soldats arrivant à Saint-Tropez (Var) le 15 août 1944 pour le Débarquement en Provence. - AFP

Le 80e anniversaire du Débarquement en Provence est célébré ce jeudi 15 août, notamment en présence d'Emmanuel Macron. Des commémorations en comité plus restreint, pour un événement qui peine à avoir la même résonnance que le D-Day en Normandie.

"Trop souvent mis au second plan, parfois même oublié": c'est ainsi que le département du Var qualifie tristement le débarquement en Provence sur son site. Ce jeudi 15 août marque le 80e anniversaire de cet événement historique à l'importance militaire majeure.

Car la nuit du 14 au 15 août 1944 a été primordiale dans la Libération de la France. Ce jour-là, l'opération "Dragoon" est lancée sur les côtes de la Provence, mobilisant une flotte de 2.000 bâtiments de guerre. Les soldats débarquent dans un premier temps sur les plages côtières entre Cavalaire et Saint-Raphaël, avant de libérer les ports de Toulon et Marseille, le 28 août. Une opération plus rapide que prévue.

"Il a trop bien marché, ce débarquement!"

Mais ces exploits ne semblent pas avoir eu un retentissement aussi fort que ceux en Normandie. "Ce Débarquement est parfois moins connu de nos concitoyens que le Débarquement du D-Day", assurait le général Michel Delion, directeur général de la Mission Libération, au micro de BFM Toulon Var en janvier dernier.

Un constat partagé par l'historique spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, François Broche. "L’opération de Provence a moins d’écho, moins de résonance dans l’imaginaire que celle de Normandie qui est la première grande opération libératrice", expliquait-il dans le podcast 2000 ans d'histoire de France Inter.

Avant d'ajouter: "Lorsque les Alliés de la coalition anti-allemande ont pris la décision en 1943, d’ouvrir un front en Europe, ils ont décidé que l’opération principale aurait lieu en Normandie et serait complétée par une opération secondaire en Provence."

Un souvenir effacé "injustement" pour l'historien mais qui peut notamment s'expliquer par le succès de l'opération. Si la bataille de Normandie a fait environ 140.000 victimes, le bilan du débarquement en Provence n'est "que" de 3.000 à 4.000 Français. Le 15 août plus précisément, un millier d'hommes sont tués, disparus ou blessés, soit dix fois moins que le 6 juin en Normandie.

"Il pâtit du fait qu'il a trop bien réussi! On ne piétine pas pendant plus d'un mois comme dans la bataille de Normandie. Vu d'un peu loin, c'est finalement un débarquement sans histoire... Il a trop bien marché, ce débarquement!", estimait l'historien Jean-Marie Guillon auprès de l'AFP en 2014.

Moins de films hollywoodiens pour le raconter

Véritable succès donc, l'opération Dragoon se différencie également de celle en Normandie par ses participants. Si les forces françaises sont absentes des plages normandes, elles sont bien présentes sur le littoral provençal et surtout, jouent un rôle majeur dans la libération de Marseille et Toulon.

"La préoccupation de De Gaulle est de faire en sorte que les Français participent à leur propre libération (...) La principale unité qui y débarquera sera la 2e DB de Leclerc, le 1er août. La grande affaire des Français, c'est la bataille de Toulon et Marseille", racontait Jean-Marie Guillon à nos confrères.

Cette armée est en réalité principalement composée de soldats d'Afrique, dont le rôle a été longtemps minimisé. Dans le détail, elle compte 84.000 pieds-noirs, 12.000 soldats des Forces françaises libres, 12.000 Corses, mais aussi 130.000 soldats d'Algérie et du Maroc, et 12.000 de l'armée coloniale (tirailleurs sénégalais, marsouins du Pacifique et des Antilles...).

Beaucoup de soldats mais pas beaucoup d'Américains, avec pour triste conséquence un désintéressement d'Hollywood.

"Il (le Débarquement en Provence, NDLR) n'existe pas dans l'imaginaire français mais cela peut s'expliquer. La publicité donnée au D-Day est énorme car il y a tout le soft-power américain derrière, avec des films qui ont fait le tour du monde", analysait Florimond Calendini, directeur du Mémorial du débarquement et de la libération de Provence à Toulon, auprès de l’AFP.

Si les films sur le D-Day ne manquent pas -d'Il faut sauver le soldat Ryan en passant par Le jour le plus long ou même la série Frères d'armes-, il est compliqué d'en trouver sur le débarquement en Provence.

Une envie de "développer un tourisme de mémoire"

Cela n'empêche qu'en Provence, ce Débarquement souhaite être célébré par les acteurs des territoires. Début janvier 2024, Jean-Louis Masson, président du conseil départemental du Var, expliquait à BFM Toulon Var vouloir "développer un tourisme de mémoire".

Des parcours touristiques, comme le "chemin de mémoire" à Saint-Raphaël, ont été mis en place alors que le mémorial du Mont Faron, sur les hauteurs de Toulon accueille 35.000 et 40.000 personnes par an (moins que celui de Caen et les plages normandes) d'après l'AFP.

Les initiatives ont surtout redoublé cette année, pour le 80e anniversaire du Débarquement. Le département va notamment sortir le 15 août "Var 1944", une application qui retrace l'événement et permettra d’accéder à environ 80 témoignages inédits.

Ce jeudi, Emmanuel Macron sera présent en Provence pour une célébration en comité plus restreint que pour les 80 ans du Débarquement de Normandie. Une cérémonie internationale à la nécropole de Boulouris, à Saint-Raphaël, avec une "participation africaine de haut niveau" d'après l'Élysée.

L'occasion de raviver la mémoire de cet événement historique important de la Seconde Guerre mondiale. Même si comme tous les ans, le timing ne joue pas en la faveur du Débarquement de Provence. En plein moins d'août, il reste compliqué d'organiser de grandes cérémonies de commémoration sur les plages remplies de touristes, dont l'esprit est bien ailleurs.

Marine Langlois