Présidentielle: pourquoi des Français ont reçu un message téléphonique d’Eric Zemmour

Eric Zemmour à Marseille, le 27 novembre 2021 - Nicolas Tucat
“Bonjour, c’est Éric Zemmour, votre candidat à l’élection présidentielle”. Ce 5 avril, des Français ont été surpris de découvrir sur leur répondeur un message du candidat d’extrême-droite, les invitant à voter pour lui ce dimanche 10 avril, à l'occasion du premier tour de l'élection présidentielle. Sur Twitter, plusieurs internautes ont diffusé l’enregistrement de ce message vocal d’une trentaine de secondes.
“Bonjour, c’est Éric Zemmour, votre candidat à l’élection présidentielle. Je vous appelle car nous allons vivre dimanche un jour historique. Vous avez l’avenir de la France entre vos mains. Dimanche, pensez à vos enfants. Il faut que la France reste française. Dimanche, votez pour la sécurité contre l’immigration, pour votre pouvoir d’achat, notre identité et notre art de vivre. N’écoutez pas les sondages qui se trompent à chaque fois. L’élection sera très serrée. Dans l’isoloir, votez pour la France, votez Éric Zemmour”, demande ainsi le candidat.
Une démarche potentiellement illégale
De nombreux prestataires proposent leurs services pour réaliser de telles opérations de démarchage automatique, à l’aide d’automates d’appels. Dans les faits, une base de données de numéros de téléphone est récupérée et utilisée pour passer des milliers d’appels gérés par ordinateur.
Rapidement, la question de la légalité d’une telle démarche a été évoquée sur les réseaux sociaux. D’abord concernant la récolte des numéros de téléphone. D’après les règles rappelées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés de France (CNIL) concernant la communication politique par téléphone, les candidats peuvent acheter ou louer de telles bases de données auprès d’une société privée.
“La CNIL recommande qu’un premier message téléphonique soit adressé aux personnes concernées afin de recueillir leur accord à être démarchées spécialement à des fins de communication politique”, précise toutefois la Commission, plaçant cette recommandation dans la catégorie des “bonnes pratiques”.
Mais un second point pourrait rendre la démarche d’Eric Zemmour illégale: la nature de son message, qui est ouvertement politique et ne laisse aucune possibilité à la personne contactée de s’opposer à ce démarchage.
“Chaque citoyen dispose également du droit de s’opposer à la prospection politique au moyen d’automates d’appel, sans condition. Cette possibilité ainsi que ses modalités d’exercice doivent être précisées dès le début du message”, précise pourtant la CNIL.
Les précédents Macron, Mélenchon ou Buzyn
Lors des scrutins précédents, d’autres candidats avaient opté pour une stratégie différente, dans le but de respecter le cadre légal. Ils avaient ainsi diffusé un premier message neutre, invitant l’interlocuteur à rappeler un numéro ou à taper sur une touche de son téléphone pour écouter un second message, cette fois ouvertement politique.
C’est ainsi qu’en avril 2017, Emmanuel Macron, alors candidat, avait diffusé un message auprès de six millions de personnes, les invitant “à le rappeler” pour écouter son argumentaire. Des précautions qui n’avaient toutefois pas évité une dizaine de signalements à la CNIL, qui s’était contentée d’un rappel des bonnes pratiques.
Une stratégie similaire avait été utilisée par Agnès Buzyn lors de la campagne municipale pour la mairie de Paris en mars 2020, visant 500.000 personnes, ainsi que par Jean-Luc Mélenchon, pour le compte de la candidature de Manon Aubry lors des élections européennes de 2019.
Ce n’est pas la première fois qu’Eric Zemmour franchit la ligne rouge en matière de protection des données personnelles. En septembre et octobre 2021, avant sa déclaration de candidature, l’ancien journaliste a mis en ligne de multiples pétitions pour récolter les mails des internautes. Obligeant - illégalement - ces derniers à s’inscrire à ses newsletters politiques par la suite. Des données gérées par l’entreprise américaine NationBuilder.
Des dépôts de messages mais pas d'appels
Contactée par BFMTV au sujet de cette campagne de démarchage politique par automate d’appel, l’équipe d’Eric Zemmour précise que la technique utilisée est celle du simple dépôt de messages vocaux, sans passer par des appels, uniquement vers des mobiles.
Une méthode à laquelle ils ont pu recourir en passant par un prestataire qu'ils assurent être "agréé par l'Arcep", qui a lui-même des accords avec les quatre opérateurs pour ces opérations de dépôt de messages vocaux.
Toujours selon les proches du candidat, la base de données a été louée à un second prestataire. Ils assurent que les numéros de téléphone concernés correspondent exclusivement à des Français ayant accepté d'être contactés à des fins de prospection politique.
L'équipe d'Eric Zemmour refuse en revanche de communiquer le nombre de personnes ciblées, ainsi que le nom du prestataire choisi.
Concernant les potentiels écarts vis-à-vis des règles de la CNIL qui imposent d'intégrer au message des informations permettant de s'opposer à la prospection politique, l'équipe du candidat rappelle qu'il ne s'agit pas d'appels mais de simples dépôts de messages vocaux.
Un argument réfuté par la CNIL, qui précise à BFMTV que "cela ne change pas l’application de ce droit" à l'opposition du démarchage politique. La Commission confirme ainsi la nécessité de préciser dans le message les informations permettant de mettre fin à ce démarchage, par exemple en donnant une adresse mail ou un numéro de téléphone à contacter. Ce que n'a pas fait Eric Zemmour.