"Fléau", "publicité mensongère"… Vinted et Etsy sont envahis par des annonces générées par IA

Sa veste en cuir bordeaux? Solène la cherche depuis des mois. "C’est assez compliqué de trouver une veste avec une coupe moderne qui est aussi en vrai cuir", déplore l’étudiante en psychologie de 24 ans auprès de Tech&Co. Alors, lorsqu’elle déniche le blouson en cuir de ses rêves sur Vinted, estampillé "vintage" et "vrai cuir", elle ne réfléchit pas bien longtemps. La jeune femme dégaine sa carte bleue.
"Mes heures de recherche avaient enfin payées", sourit-elle. "J’imaginais déjà tous les looks que j’allais pouvoir faire avec."
Mais lorsqu’elle reçoit son colis, c’est la douche froide. La petite veste bordeaux a des coutures à peine terminées. Pire, le vêtement "100% cuir" est en réalité totalement synthétique. "J’étais dégoutée", se rappelle Solène. "Sur les photos, il avait l’air incroyable." Et effectivement, sur l’annonce, les quelques clichés sont léchés. Ils mettent en scène une jeune femme brune, tout droit sortie d'Instagram, veste bordeaux sur le dos.
"La qualité est franchement douteuse"
Mais quelques détails interrogent. Ses mains adoptent des postures étranges. Surtout, le décor minimaliste derrière change selon les clichés. Des fleurs apparaissent et certaines affiches changent de dimensions. Les autres annonces mettent en scène différentes femmes, toutes plus belles les unes que les autres, cachant leur visage avec leur smartphone.

Parmi les avis 5 étoiles laissés au vendeur, certains clients s’interrogent. "La robe livrée ne correspond pas à la photo. Je déconseille fortement cette vendeuse malhonnête", glisse l’une d’elle. "La qualité est franchement douteuse, il n'y a aucune étiquette, ce n’est pas de la marchandise européenne. Je soupçonne du dropshipping", ajoute une autre.
En effet, depuis quelques mois, de plus en plus de vendeurs sur Vinted trafiquent leurs photos avec de l’IA.
"Les deepfakes sont de plus en plus présents dans les annonces en ligne", observe Guillaume Saës, data scientist et chercheur en mathématiques appliquées à l’Université de Créteil, à Tech&Co.
"L'objectif de ces vendeurs est d'attirer les consommateurs vers des traquenards. Dans certains cas, l'IA va servir à embellir un produit endommagé, ou de mauvaise qualité. Dans d'autres, le produit reçu ne correspond pas du tout à la photo", confirme l'expert.
Défauts masqués et produits erronés
C'est ce qui est arrivé à Maria, 32 ans. "Je pensais acheter des bottes Jonak. Au final, j'ai reçu des bottes très ressemblantes, mais d'une marque bas de gamme", se souvient-elle auprès de Tech&Co. "Pourtant, sur l'annonce, on pouvait totalement voir l'étiquette de Jonak", ajoute celle qui soupçonne le vendeur d'avoir réalisé un montage grâce à l'IA.

Même les plus aguerris se font avoir. Sébastien, 23 ans, se qualifie d'expert en seconde main. "C'est simple, tous mes vêtements viennent de Vinted", assure l'étudiant en architecture à Tech&Co. Pendant plusieurs heures, le jeune homme scrolle sur l'application de seconde main pour dénicher des pépites.
"Ça m'est arrivé avec un blazer. Je le trouvais très sympa alors j'ai fait les vérifications habituelles." Sebastien demande au vendeur la matière, regarde quelque avis… Tout à l'air en ordre. Mais là encore, une fois le colis reçu, l'étudiant déchante.
"Il y avait une tâche sur le haut. Et une couture était mal faite. Sauf que forcément, sur les photos générées par IA, ces défauts étaient masqués. la couleur n'était même pas la bonne!", maugrée-t-il.
Cette veste bas de gamme, Sébastien l'a achetée 43 euros. "Si j'avais su qu'elle était aussi endommagée, je l'aurais beaucoup plus négociée. Mais maintenant, j'ai appris à reconnaître ces arnaques."
Des articles Temu revendus trois fois plus cher
Mais certains escrocs vont encore plus loin. Ils utilisent l'IA pour mettre en valeur leurs articles neufs et de mauvaise qualité, souvent achetés sur des sites chinois comme Temu, Shein ou Aliexpress, et les faire passer pour des objets de seconde main. Et surtout, réussir à vendre ces objets peu qualitatifs deux voire trois plus chers. C'est ce qu'on appelle le droshipping. Johan Reboul, alias Lejeuneengagé sur Instagram, a été un des premiers à tirer la sonnette d'alarme autour de ces arnaques.
"Aujourd'hui, l'IA est aussi sur les plateformes de revente", alerte-t-il dans une publication sur Instagram. Le jeune homme a justement failli se faire avoir en achetant un pantalon noir sur la plateforme de seconde main. "Ce n'est en aucun cas de la seconde main, mais une astuce assez simple pour faire de l'argent", poursuit le créateur de contenus.
"Si cette pratique est légale, ici, c'est de la publicité mensongère", insiste Johan Reboul. "On vend des vêtements 'seconde main' alors qu'il s'agit de vêtements bas de gamme."
Vinted n’est d’ailleurs pas la seule plateforme à être envahie par l’IA. Le site de créations artisanales Etsy est également concerné. Tech&Co a fait le test sur Etsy. Nous sommes tombés sur plusieurs annonces de bracelets dorés, de colliers avec des pierres précieuses, de lampes en forme de champignon ou encore de bougies parfumées. Le tout vendu entre 20 et 40 euros.
"L'IA sur Etsy c'est un fléau"
Mais les annonces paraissent louches. Certains détails des objets semblent incohérents ou grossiers. D'autres clichés semblent trop lisses, des fois trop flous. Quelques bijoux sont d'une finesse irréelle. Une simple recherche d’image inversée permet d’avoir la réponse définitive: tous ces produits viennent en réalité d’Aliexpress ou de Temu… et sont loin d'être aussi beaux qu'en photo.
"Les photos étaient clairement vendeuses", se remémore Sonia, 32 ans, auprès de Tech&Co. La jeune femme a une passion un peu particulière: elle collectionne les tasses. "Je suis toujours à la recherche de nouveaux mugs. J'en ai une trentaine." Alors lorsqu'elle tombe sur cette tasse en forme de champignon, son sang ne fait qu'un tour. "Je trouvais la forme très originale. Et les photos donnaient envie." Ce n'est qu'une fois le paquet reçu que Sonia se rend compte de la supercherie.
"J'ai vite déchanté. J'ai retrouvé le même modèle à 9 euros sur Aliexpress. Moi, je l'ai payé 25 euros. Et le pire, c'est qu'elle s'est cassée après un tour au lave-vaisselle", peste l'acheteuse.
"L'IA sur Esty c'est un fléau. On ne sait plus quel vendeur croire", lance Lydia, 27 ans. "J'achète souvent sur Etsy. Je trouve ça vraiment sympa pour des cadeaux. Il y a beaucoup d'articles faits main ou à personnaliser", observe-t-elle. Sauf que voilà, la jeune femme tombe depuis quelques semaines sur des annonces générées par IA.
"Je suis tombée sur une annonce générée par IA assez évidente. Sur le coup, je me suis dit que ça n'était pas grave, et j'ai continué mes recherches. Mais rapidement, je suis tombée sur des dizaines et des dizaines d'annonces avec des photos faites par IA", poursuit-elle. "Je peux comprendre que dans certains cas, ça aide les vendeurs à mieux vendre. Mais souvent, ces photos cachent des articles bas de gamme achetés en gros sur des sites chinois. (...) Ça va à l'encontre du principe d'Etsy."
De la publicité trompeuse
Si ces pratiques sont de plus en plus répandues, elles sont loin d’être légales. L'utilisation de l'IA pour trafiquer une photo sans le mentionner peut s'apparenter à de la publicité trompeuse. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) rappelle ainsi sur son site que certaines pratiques déloyales sont prohibées dans le cadre du dropshipping et notamment "la diffusion d’informations fausses ou de nature à induire en erreur en matière d'origine du produit".
"Il peut y avoir des utilisations éthiques de l'IA, mais aussi beaucoup d'arnaques", insiste Guillaume Saës. "Miser sur l'IA pour tromper le consommateur est illégal", martèle-t-il.
En effet, depuis le 2 août, l'AI Act oblige les plateformes comme Etsy ou Vinted à mettre en place des outils pour étiqueter les images qui utilisent l'IA et pour détecter les contenus qui ne sont pas signalés comme tels. En cas de non respect, les plateformes risquent des amendes allant de 1% à 7% de leur chiffre d’affaires annuel mondial ou des pénalités fixes de 7,5 à 35 millions d’euros. "Pour le moment, nous sommes dans une période de mis en conformité. les plateformes ont un an pour respecter ces obligations de l'AI Act", précise Guillaume Saës.
Contacté par Tech&Co, Vinted précise que l'utilisation de l'IA comme outil de valorisation virtuelle n'est pas interdite tant qu'elle "n'induit pas en erreur ou embellit de manière trompeuse la réalité d'un article".
Toutefois, les usages "frauduleux, incluant des annonces trompeuses ou la mise en ligne de biens inexistants sont strictement interdits". Vinted indique que les sanctions pour annonces trompeuses peuvent aller jusqu’à la suppression d’annonces ou le blocage du compte.
Comment reconnaître les annonces générées par IA?
Pour éviter de tomber dans le panneau, n'hésitez pas à bien analyser l'annonce. Si l'image paraît trop lisse et que les ombres ou la position des mains semblent étranges, méfiez-vous. La présence de plusieurs jeunes femmes parmi les différentes annonces d'un même vendeur peut aussi mettre la puce à l'oreille. Le décor, très simpliste, peut également varier d'une photo à l'autre. Enfin, la couleur jaunatre de certains clichés est caractéristique des images générées par IA.
Autre conseil: faire une recherche d'image inversée. Il suffit de faire une capture d'écran de l'annonce et de déposer la photo dans Google. Le moteur de recherche affichera alors toutes les autres images similaires disponibles, et donc, les potentielles annonces disponibles sur des sites d'ultra fast-fashion.