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"L'IA a dopé le phénomène de memification de la politique": une caisse de résonance pour Donald Trump, et en France?

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Sur Truth Social, Donald Trump n'hésite pas à repartager des deepfakes, ces vidéos générées par IA. Des publications qui galvanisent ses soutiens MAGA. Si les politiques français sont peu nombreux à miser sur l'IA, les militants d'extrême droite, eux, ne se sont pas fait attendre.

Et une de plus. Lundi dernier, le 21 juillet, Donald Trump a publié une nouvelle vidéo générée par intelligence artificielle sur son réseau, Truth Social.

On peut y voir Barack Obama être arrêté . L'ancien président est mis mis à genoux puis menotté par deux agents du FBI dans le bureau ovale de la Maison-Blanche, sous les yeux de Donald Trump. Barack Obama est ensuite seul dans une cellule, vêtu d’une tunique orange caractéristique des détenus américains. Le message "personne n'est au-dessus des lois", s'affiche alors en gros. Le tout, sur les airs de YMCA, un des hymnes de campagne du Républicain.

A l'origine, la vidéo a été publiée sur Tiktok par neo8171, puis reprise par Donald Trump sur sa propre plateforme, non sans raison. En effet, selon le New York Times, le président américain tente de détourner l'attention de ses partisans MAGA, particulièrement divisés et en colère après la non-divulgation des dossiers de l'affaire Epstein.

Truth Social, une caisse de résonance

"C'est un cas particulier", souligne Romain Fargier, chercheur en science politique au CEPEL (université de Montpellier), interrogé par nos soins. "Donald Trump doit faire diversion avec l'affaire Epstein. Repartager cette vidéo générée par IA permet de créer un écran de fumée sur les affaires qui lui tombent dessus." La mission semble en partie réussie, notamment du côté de ses soutiens MAGA.

"La base de ses fans a trouvé cette vidéo très bien. Ca a galvanisé une partie de son armée numérique qui s'est empressée de repartager cette vidéo", note le chercheur.

Et pour cause. Donald Trump a toujours utilisé sa plateforme pour faire campagne. Mais depuis sa réélection à la Maison Blanche, Truth Social est devenu un incontournable pour suivre ses humeurs et surtout, les orientations politiques de son administration.

Selon l'AFP, le compte du président, suivi par 10,5 millions d'abonnés, partage en moyenne 16 nouvelles publications par jour depuis janvier dernier. Il y relate ses échanges avec des personnalités politiques, lance des piques contre ses opposants, annonce les droits de douane, souvent en majuscules et ponctué de points d'exclamation.

Car Truth Social a la primeur des déclarations de Donald Trump sur les réseaux sociaux. Résultat, de nombreux journalistes et politiques se sont inscrits sur la plateforme pour suivre les humeurs du président. Et, bien que le réseau ne compte que 6 millions d'utilisateurs, les publications du Républicain sont reprises et amplifiées presque immédiatement par ses soutiens sur d'autres plateformes.

"Sur les réseaux sociaux, la majorité des internautes ne font que consommer ou regarder du contenu. Mais une infime minorité sont là pour propager des contenus", analyse Romain Fargier. C'est notamment le cas des soutiens MAGA. Sur la plateforme, "les internautes sont très politisés, surtout autour de la mouvance de Donald Trump", poursuit-il. "Ils sont là pour repartager ses contenus sur tous les autres réseaux." Une magnifique caisse de résonance, donc.

Les deepfakes et l'effet stéroïde

Depuis quelques années, le politicien s'amuse également à repartager des deepfakes, ces photos ou vidéos ultra réalistes générées par IA pour lesquelles il est parfois difficile de repérer le vrai du faux. Au programme, des images de jeunes femmes arborant des tee-shirts avec le slogan "Swifties for Trump", une vidéo modifiée de Nancy Pelosi ivre ou encore une autre parodique de Joe Biden pieds et poings liés à l'arrière d'un pick-up.

En mai dernier, Donald Trump a même partagé une vidéo générée par IA montrant son projet "Trump Gaza", avec des images surréalistes façon Côte d'Azur bling-bling avec une statue en or de lui-même, Elon Musk mangeant du houmous ou des locaux se relaxant sur la plage. La publication a reçu plus de 11 000 likes en quelques heures.

"L'IA ne change pas foncièrement les stratégies de la mouvance liée à Donald Trump, mais il y a un effet stéroïdes. Donald Trump s'est souvent appuyé sur son arrière boutique MAGA, les trolls et les militants sur les réseaux qui créent des mèmes", met en perspective Romain Fargier. Mais l'IA a changé la donne. "Elle permet de créer des contenus de qualité à une production industrielle. Ca a dopé le phénomène de memification de la politique, surtout aux Etats-Unis."

Des débuts frileux en France

Mais le phénomène s'exporte également au-delà des frontières. En France, par exemple, Eric Zemmour a partagé sur X en juin 2024 un clip entièrement généré par IA pour appeler les électeurs à voter aux élections législatives. On peut y voir Emmanuel Macron danser sous une pluie de billet et une foule de migrants se dirigeant vers une église rurale, avant de présenter ce à quoi pourrait ressembler la France en cas de victoire de Reconquête. 

Le RN a également utilisé l'IA dans sa campagne "L'Europe sans eux" qui s’attaque à Emmanuel Macron et à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, via des visuels mettant en scène des immigrés débarquant sur une place ou un homme menaçant, présenté comme un islamiste.

Pour autant, Romain Fargier l'assure: "Comparé à Donald Trump, c'est assez rare de voir des contenus IA partagés par des politiques français." Une différence qui s'explique, selon le chercheur, par une "spécificité culturelle". "Utiliser ce genre de vidéos humoristiques et sarcastiques pour mettre en scène un ennemi serait plutôt mal perçu. En France, les électeurs s'attendent à ce que les politiciens aient une certaine responsabilité dans le débat politique."

Mais rien n'est immuable. "Il y a quelques années, communiquer sur les réseaux sociaux était plutôt mal perçu par les politiques", note-t-il. Mais Jordan Bardella a montré qu'il était possible d'utiliser les codes des influenceurs en cartonnant sur Tiktok. "Rien ne nous dit qu'en France, l'IA ne sera pas davantage utilisée à des fins de combat politique à l'avenir."

Les militants d'extrême droite, eux, ont déjà suivi le mouvement et n'hésitent pas à s'inspirer de l'alt-right américaine pour transformer ou créer des mèmes. "C'est Nicolas qui paie", mème de Pepe The Frog, faux micro-trottoir grâce à Veo 3... les exemples sont nombreux. Sur Tiktok, lors des élections législatives d'avril, des comptes avaient utilisé les visages de la famille Le Pen sur des photos volées de jeunes femmes pour pousser l'extrême droite.

"Ce n'est pas catastrophique car les internautes savent que c'est de l'IA. Mais ce flot de contenus humoristiques contribuent à véhiculer une atmosphère idéologiques et des idées politiques d'extrême droite, sous couvert de second degré", conclut le chercheur.

Salomé Ferraris