"Je suis foutu": Elon Musk va-t-il vraiment tout perdre en cas de défaite de Donald Trump?

"S’il perd, je suis foutu". C’est ce qu’a déclaré Elon Musk le 7 octobre dernier, faisant référence à Donald Trump dans le cadre de l’élection présidentielle. Lors d’une interview avec l’ancien journaliste de Fox News, Tucker Carlson, le milliardaire, qui soutient publiquement Donald Trump, a suggéré qu’il pourrait aller en prison en cas de victoire de Kamala Harris.
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"Combien de temps pensez-vous que ma peine de prison va durer ?", a-t-il plaisanté, ajoutant qu’il ne sait pas s’il verrait ses enfants. Alors que les États-Unis votent pour leur prochain président ce mardi 5 novembre, la victoire de Donald Trump ou de Kamala Harris pourrait changer les choses pour Elon Musk.
Elon Musk à la Maison Blanche?
Une victoire de Donald Trump serait bénéfique à Elon Musk. Opposés idéologiquement pendant plusieurs années, les deux milliardaires sont désormais des alliés. Ayant déjà investi plus de 75 millions de dollars dans la campagne du candidat républicain, Elon Musk multiplie les efforts pour le faire élire. Le dernier en date: une loterie permettant aux personnes s’inscrivant à une pétition pro-Trump de gagner un million de dollars.
De son côté, Donald Trump a fait quelques promesses à Elon Musk. S’il est élu, le propriétaire de X (ex-Twitter) pourrait faire son entrée à la Maison Blanche. En août dernier, l’ancien président américain a en effet déclaré qu’il était prêt à lui offrir un poste de ministre ou de conseiller en cas de victoire, sans préciser quel poste il pourrait occuper.
Quelques semaines plus tard, en septembre, Donald Trump a fait savoir qu’il voulait charger Elon Musk d’un "audit" du gouvernement américain pour "réformer" celui-ci en profondeur, s’attendant à ce qu’il lui fasse "des recommandations pour des réformes draconiennes". Avec un objectif: "optimiser" les dépenses gouvernementales, en les réduisant drastiquement.
Conflits d'intérêts
Comme l'a indiqué le New York Times dans un récent article, cela créerait un conflit d'intérêts potentiellement énorme, en donnant au patron de SpaceX, qui est l'homme le plus riche du monde et un important contractant du gouvernement, le pouvoir d'influencer les régulateurs de ses propres entreprises.
Au cours de la dernière décennie, SpaceX a en effet signé des contrats fédéraux pour un total d'au moins 15,4 milliards de dolars, dont 11,8 pour la Nasa et 3,6 pour le Département de la Défense. Dans le même temps, les entreprises d'Elon Musk ont été visées par plusieurs enquêtes, notamment concernant le système d'aide à la conduite Autopilot de Tesla et les dommages environnementaux causés par ses fusées.
Le milliardaire ayant déjà appelé à supprimer ou à affaiblir les réglementations fédérales, mais aussi à réduire les dépenses fédérales, il est possible qu'il mette ses menaces à éxécution s'il entre à la Maison Blanche.
"Si Trump gagne, nous aurons l'occasion de procéder à une déreglementation et à une réduction de la taille du gouvernement qui n'arrivent qu'une fois dans une vie", a-t-il déclaré lors d'une conférence à Los Angeles en septembre dernier.
Les autorités menant des enquêtes contre les entreprises d'Elon Musk pourraient ainsi réfléchir à deux fois avant d'en ouvrir une de peur que leur budget ou leur autorité réglementaire ne soit affectée si Donald Trump le nomme conseiller principal, a alerté Kathleen Clark, avocate spécialisé dans les questions d'éthique, auprès du New York Times.
Elon Musk pourrait également nuire à la concurrence s'il entrait au gouvernement américain. En mai, il a indiqué sur X qu'il aimerait mettre fin au contrat Starliner de la Nasa avec Boeing, qui est son principal concurrent dans le secteur.
"Le monde n'a pas besoin d'une nouvelle capsule. Ce qui compte, ce sont des fusées et des vaisseaux spatiaux entièrement réutilisables", avait-il écrit, faisant référence au vol de la capsule de Boeing qui avait été repoussé.
Quelques mois plus tard, elle est revenue sur Terre sans les deux astronautes qu'elle avait emmenés à la Station spatiale internationale à cause d'inquiétudes sur la sûreté de l'appareil. Ils devraient revenir sur Terre en février grâce à SpaceX.
"Montagne de bureaucratie"
En cas de victoire de Kamala Harris, Elon Musk craint le pire. Ayant multiplié les attaques contre la candidate démocrate ces dernièrs mois, il redoute notamment que sa victoire nuise à son entreprise spatiale, SpaceX.
"L’une de mes grandes préoccupations actuelles est que le programme Starship soit étouffé par une montagne de bureaucratie gouvernementale qui s’accroît chaque année. Cette bureaucratie étouffante affecte tous les grands projets américains", a-t-il écrit sur X en septembre, ajoutant que cette bureaucratie continuera de croître si Kamala Harris est élue présidente des États-Unis.
Selon le milliardaire, "cela détruirait le programme Mars et condamnerait l’humanité". Souhaitant coloniser Mars, Elon Musk prévoit d’envoyer de premiers vaisseaux vers la planète dans deux ans, mais ce projet risque d’être compromis en cas de victoire de Kamala Harris, d’après lui.
De nombreux experts pensent pourtant qu'une victoire de la candidate démocrate n'aurait pas de conséquences néfastes sur les entreprises d'Elon Musk. Actuellement vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris dirige le National Space Council, organe coordonnant la politique spatiale au sein du gouvernement qui a été rétabli par Donald Trump en 2017. Et, elle n'a pas effectué de changements majeurs, comme l'a expliqué le New York Times. Autrement dit, SpaceX est toujours l’entité dominante des vols spatiaux gouvernementaux.
Si l’administration Biden aurait pu annuler "un grand nombre" des changements effectués par Donald Trump, elle ne l’a pas fait car il s’agissait "objectivement de choses intelligentes à faire", a assuré Todd Harrison, membre d’un think tank qui a travaillé avec le National Space Council, auprès du New York Times.
SpaceX en position de force
Que ce soit avec Donald Trump ou avec Kamala Harris, Elon Musk ne devrait pas avoir d'inquiétudes concernant SpaceX. "En réalité, quelle que soit l'administration, SpaceX prospérera probablement en raison de sa position sur le marché et de ses avantages comparatifs, ce qui ne laisse guère d'autre choix au gouvernement que de choisir SpaceX", a déclaré Chris Quilty, codirecteur général de Quilty Space, une société d'études spatiales, au site The Information.
Un avis également partagé par des experts français. "SpaceX est une société privée qui présente beaucoup d'intérêts et d'avantages, y compris pour le gouvernement américain, de pouvoir avoir le lanceur le plus performant au monde et de pouvoir rafler le marché des satellites du monde entier", a souligné Francis Rocard, responsable du programme d'exploration du système solaire du Centre national d'études spatiales (Cnes), auprès de Tech&Co, faisant référence à la mégafusée Starship et au service d'accès à internet par satellite Starlink - dont la version militiaire, Starshield, est également utilisée par l'armée américaine.
Selon lui, même si Kamala Harris ne soutient pas les excès d'Elon Musk, cela ne devrait pas avoir d'impact sur SpaceX. Preuve en est: au cours de son mandat, "Joe Biden n'a absolument pas entravé Elon Musk", abonde Francis Rocard.
SpaceX continuera donc probablement à prospérer en tant que principal partenaire de la Nasa et du Pentagone pour les lancements de fusée, d'autant plus que ses concurrents, notamment Blue Origin de Jeff Bezos et Boeing, sont loin de l'égaler en termes de technologie.
Se désinvestir de ses entreprises
En plus de ne pas lui nuire autant qu'il le pense, une victoire de Kamala Harris pourrait être plus bénéfique à Elon Musk qu'une victoire de Donald Trump. Si le candidat républicain l'emporte et le fait entrer au gouvernement, le patron de Tesla, de SpaceX et de Neuralink pourrait être contraint de quitter ses entreprises.
Comme l'a déclaré Tom Wheeler, ancien président de la Commission fédérale des communications (FCC) au journal américain The Hill, la "fortune de Musk, qui fait de lui l'homme le plus riche du monde, est basée sur des contrats gouvernementaux comme SpaceX et des entreprises subventionnés comme Tesla".
"S'il dépend à ce point des décisions du gouvernement, il doit soit se désinvestir totalement pour faire quoi que ce soit au sein du gouvernement, soit ne pas prendre le genre de positions qui ont été promises ou suggérées", a-t-il argué.
Avec Kamala Harris, Elon Musk n'aurait pas à quitter ses entreprises. En revanche, il est possible que la candidate démocrate lui donne du fil à retordre pour d'autres sociétés que SpaceX. Selon The Information, il est en effet théoriquement possible que Kamala Harris étouffe les ambitions de Tesla, notamment par rapport au Cybercab, véhicule autonome sans volant ni pédale qui a été dévoilé en octobre.
Cela, à l'aide des régulateurs fédéraux, comme la National Highway Traffic Safety Administration, agence américaine de la sécurité routière qui a ouvert plusieurs enquêtes sur Tesla ces dernières années et qui fait partie des autorités devant approuver le Cybercab avant qu'il ne roule en grand nombre sur les routes. Il est cependant peu probable que Kamala Harris le fasse selon ses partisans, précise le site américain.
Un avis partagé par Bryant Walker Smith, professeur de droit et expert en voitures autonomes. Selon lui, la vice-présidente ne mettra pas des bâtons dans les roues dans ce secteur.
Des mesures contre X?
Kamala Harris pourrait néanmoins prendre des mesures contre X concernant la désinformation, problème pour lequel le réseau social est déjà dans le viseur de l'Union européenne. Elon Musk craint d'ailleurs lui-même qu'une victoire de Kamala Harris nuise à X, permettant à ses adversaires politiques de le prendre pour cible.
"Ils essaieront d'y mettre fin par tous les moyens possibles. Ils pourraient essayer de faire passer des lois. Ils essaieront de poursuivre l'entreprise, de me poursuivre", a-t-il affirmé lors de son interview avec Tucker Carlson, comme le rapporte le magazine américain Fortune.
D'après le milliardaire, ses adversaires pourraient notamment supprimer la "section 230", article d'une loi américaine (le Communications Decency Act) qui est entrée en vigueur en 1996 et qui offre une immunité judiciaire aux hébergeurs concernant les contenus publiés par leurs utilisateurs. Cela mettrait "instantanément en faillite" X, selon lui. Hillary Clinton, qui soutient Kamala Harris, a d'ailleurs appelé à abroger cet article lors d'une interview en septembre dernier.
Que Donald Trump ou Kamala Harris l'emporte, une chose est sûre: Elon Musk devra s'attendre à quelques changements.