Comment le port du Havre est devenu une porte d'entrée de la cocaïne en France

Des conteneurs sur le port du Havre, le 21 janvier 2021 - Sameer Al-DOUMY © 2019 AFP
Le port du Havre est-il un point de passage obligatoire du trafic de cocaïne en France? La réponse est oui, si on se fit aux derniers chiffres des saisies des douanes françaises en 2024. 20% des saisies de cocaïne ont été réalisées au port de la cité océane. Au total, 9,4 tonnes de poudre blanche ont été découvertes par les autorités l'année dernière.
Certains contrôles ont même abouti à des saisies records. 2,7 tonnes de cocaïne ont ainsi été découvertes par les douanes au Havre dans un seul conteneur, en provenance de Guadeloupe, le 18 mars 2024.
Une augmentation des saisies
Pour la direction des douanes, ces chiffres sont tout de même à relativiser. "Il est vrai qu'on a une augmentation des saisies de cocaïne par rapport à il y a cinq ou dix ans", concède auprès de BFMTV.com Jérôme Gautraud-Feuille, adjoint à la direction interrégionale des douanes de Normandie.
"Mais quand on compare aux autres grands ports européens, dix tonnes cela reste raisonnable", ajoute-t-il.
En 2024, 26 tonnes de poudre ont été saisies au port de Rotterdam sur 30 millions de conteneurs traités. "On ne peut pas dire que le port du Havre est une porte d'entrée privilégiée, mais il est vrai que c'est un accès à la France pour les trafiquants", indique Jérôme Gautraud-Feuille.
Au port du Havre, l'augmentation des saisies de cocaïne est directement liée au développement de cette drogue dans l'Hexagone et en Europe. "On voit depuis plusieurs années une explosion du marché de la cocaïne et nous sommes inondés", explique auprès de BFMTV.com, l'adjoint à la direction interrégionale des douanes de Normandie.

Une disposition géographique idéale
Historiquement, le port du Havre possède des lignes de frets légales avec l'Amérique du Sud et les Antilles, là où la cocaïne est produite. "La drogue navigue donc assez naturellement vers le Havre", explique Jérôme Gautraud-Feuille.
À ces liens avec le continent sud-américain s'ajoute la proximité du port avec l'un des principaux points de vente de la cocaïne: l'Île-de-France.
"Une fois la marchandise en leur possession, les trafiquants se retrouvent à seulement quelques heures de voiture du plus grand bassin de population du pays", ajoute Jérôme Gautraud-Feuille.
"Il y a plus d'opportunités de faire passer la drogue"
En plus de ses caractéristiques géographiques, le port normand possède des spécificités qui peuvent inciter les trafiquants à le choisir comme une porte d'entrée pour pénétrer l'Hexagone.
"Le Havre est le premier port Français en matière de quantité des conteneurs traités", relate auprès de BFMTV.com. Au total, trois millions de conteneurs sont traités au Havre sur une année pour environ 350 douaniers. Un déséquilibre entre la marchandise et le nombre d'agents qui offrent plus d'"opportunités" aux trafiquants de faire entrer de la cocaïne.
"On n'a pas la même capacité de protection que les autres ports, même si 15 douaniers supplémentaires sont arrivés dans les effectifs", souligne à BFMTV.com, Jérôme Gautraud-Feuille.
Des méthodes variées pour faire passer la drogue
À ce déséquilibre entre le nombre de conteneurs qui transitent et les effectifs douaniers, s'ajoute la capacité d'adaptation des réseaux de trafic de cocaïne. Le crime organisé adapte ses circuits en changeant souvent de méthodes pour faire passer la drogue.
Parmi les techniques utilisées pour faire passer la "poudreuse", celle appelée le "Rip Off" a longtemps été plébiscitée par les narcotrafiquants. "Cette méthode consiste à polluer un conteneur avec de la drogue dans son port de départ", relate à BFMTV.com l'adjoint aux douanes de Normandie. "Il arrive souvent que l'entreprise qui détient le conteneur ne soit même pas au courant."
La drogue est placée grossièrement à l'avant du conteneur pour être rapidement récupérée par un complice dans le port avant même que les douaniers ne puissent avoir accès à la caisse métallique. Pour limiter cette technique, la direction de port Havre a décidé de renforcer le contrôle de l'accès aux quais des livreurs non homologués. Une mesure couplée avec des contrôles ciblés.
"On va choisir des conteneurs qui ont les caractéristiques requises pour être pollués, notamment à cause de leur provenance", détaille à BFMTV.com, Jérôme Gautraud-Feuille. Une fois sélectionné, le conteneur est passé dans un scanner qui peut détecter la drogue.
Des trafiquants "à la recherche d'une faille technique"
Toutefois, cette technologie de pointe apparaît parfois déjà obsolète face aux capacités d'adaptation des trafiquants. "Ils sont toujours à la recherche d'une faille technique, et nous on est toujours en train d'essayer de comprendre s'ils en ont détecté une", souligne l'adjoint à la direction des douanes normandes.
Parmi les techniques pour contourner les scanners, deux sortent du lot et sont privilégiées pour faire passer la cocaïne par le port du Havre. La première est celle dite du sarcophage. Elle consiste à cacher la cocaïne dans les murs du conteneur afin de tromper les douaniers et le scanner.
"Les narcotrafiquants se sont équipés de scanner comme les nôtres pour faire des tests pour ainsi pouvoir nous tromper", précise à BFMTV.com, Jérôme Gautraud-Feuille.
La deuxième méthodologie est celle appelée "Drop-Off". "Juste avant d'arriver dans le port, les trafiquants jettent des ballots de cocaïnes par-dessus bord", explique Jérôme Gautraud-Feuille. "Ils flottent à la surface et sont équipés d'une balise GPS pour ensuite être récupérés par des petites embarcations", ajoute-t-il.
Avec cette technique, les trafiquants sont toutefois soumis aux caprices des courants. En septembre, trois ballots, contenant une cinquantaine de kilos de cocaïne, avaient été retrouvés sur les plages du Calvados.

Cette technique se développe en Normandie. Dans la nuit du 3 au 4 avril, un réseau d’importation de cocaïne par "Drop-off" a été démantelé dans le Calvados et la Seine-Maritime. Au total 800 kilos de cocaïne ont été saisis et 30 personnes ont été placées en garde à vue.
La déferlante de la cocaïne ne touche pas que la ville du Havre. Des ports comme Marseille ou Dunkerque sont eux aussi touchés. Début mars, près de 10 tonnes de cocaïne ont été saisies dans le port nordiste.