Organisation pyramidale, leader unique… comment opérait le réseau de narcotrafic à La Castellane

Une "enquête exceptionnelle" autour d'un réseau extrêmement bien ficelé. Lors d'une opération de démantèlement d'un réseau de trafic de stupéfiants qui opérait à la cité de La Castellane depuis plusieurs années, 23 personnes ont été interpellées, ce jeudi 24 avril.
Parmi eux, 16 ont ou vont être déférés ces dimanche 27 et lundi 28 avril. Il s'agit des "principaux membres" du réseau, a annoncé le procureur de la République de Marseille Nicolas Bessone.
Un réseau important, qui rapportait "entre 30 et 40 millions d'euros" jusqu'à l'été dernier puis "en moyenne 15 millions d'euros par an" depuis juillet 2024, le tout grâce à une organisation particulièrement singulière dans le paysage marseillais.
• "Une organisation pyramidale"
Philippe Frizon, chef du service interdépartemental de la police judiciaire des Bouches-du-Rhône est sans équivoque: le réseau a une organisation qui lui est propre.
En effet, le réseau qui opérait à La Castellane est "une entreprise mafieuse très structurée" et fonctionne autour d'un leader unique. "On est vraiment sur une organisation pyramidale. On a un chef, une famille, des adjoints et des responsables de terrain, le tout décliné de façon pyramidale", détaille Philippe Frizon.
On est loin d'un "cartel", comme pourraient être décrit d'autres réseaux comme la DZ Mafia, figure du narcobanditisme marseillais. "Là, c'est plutôt un consortium, une organisation transversale".
De plus, les principaux membres du réseau qui ont été interpellés et déférés devant la justice ont environ tous une trentaine d'années. "Par rapport à d'autres organisations régulières, c'est un peu plus âgé", note le procureur de Marseille.
• Un leader qui opère depuis l'Algérie
Le réseau de La Castellane, très hiérarchisé, découle donc d'un chef. C'est en enquêtant sur la messagerie cryptée Exclu que les enquêteurs découvrent des messages sans équivoque quant à la criminalité du réseau, soit du trafic de stupéfiants, des actions meurtrières, de la corruption et du blanchiment.
Mais également, le décryptage des échanges permet de mettre en avant le leader et les membres de son réseau: Mohamed Djeha. "Il est très clairement au sommet de la pyramide", ajoute le procureur de la République.
Aussi appelé "Mimo", il est considéré depuis plusieurs années comme l'un des plus gros trafiquants de drogue de Marseille. Le baron quadragénaire a toutefois été arrêté en juin 2023 en Algérie. Un mois plus tôt, il avait été condamné à 30 ans de réclusion criminelle pour son implication dans une course-poursuite mortelle sur l'autoroute A55 en février 2017, entre Martigues et Marseille.
"Limité dans ces actions du fait de son emprisonnement sur le territoire algérien", Mohamed Djeha semble avoir délégué en la personne de son frère. "Les acteurs de l'organisation semblaient être soumis aux décisions prises par Rachid Djeha"
Une autre personnalité se détache enfin, le "principal contre-maître", le "DRH qui serait le superviseur historique du clan de la Castellane": Samir Idri.
Mohamed Djeha reste, à ce stade de l'enquête, présumé innocent, tout comme ses bras droits.
• De multiples activités lucratives
Jusqu'à l'été dernier, les acteurs de ce réseau s'organisaient pour gérer leurs différents points de deal à La Castellane. L'activité principale du clan de la Castellane restait le trafic de stupéfiants, toutefois, l'organisation menait également des actions violentes au sein même de son réseau pour assurer sa protection et à l'extérieur pour garder la mainmise sur son territoire.
Le procureur de la République attribue au groupe les tentatives d'assassinat de Mohamed Tachougaft en Espagne en janvier 2023 et de Zaïre Laribi en juillet 2023, mais aussi l'assassinat de Dylan Guerini Tachouaft en août 2023.
Les autorités ont également constaté une autre activité, déjà découverte au sein d'autres réseaux, "une attractivité lucrative dans l'air du temps": la sécurité et le management des rappeurs. Il s'agit en réalité d'extorsions pures et simples des rappeurs et influenceurs.
"On parle de capitalisme criminel de type mafieux, avec une méthode de résolution des conflits des plus violentes, une variété de modalités de vente ainsi qu’une diversification des activités criminelles comme l'extorsion sur des rappeurs et des influenceurs", résume Nicolas Bessone.
• Une réorganisation structurelle après les opérations XXL
Mais en juillet 2024, une vaste opération place nette XXL cible plusieurs quartiers gangrénés par le narcotrafic, en particulier la cité de La Castellane, obligeant le réseau à faire profil bas et à se réorganiser complètement.
"Le réseau, très imaginatif, a essayé de réorienter son activité pour ne pas perdre trop du chiffre d'affaires", explique le procureur.
Des services de livraison ont alors été créés, ainsi que des "drives" à des endroits déterminés en dehors de la cité et de la présence policière. Le clan développe sa communication et promeut sa marchandise sur Telegram.
Les livraisons de matières stupéfiantes sont délocalisées tout comme les appartements de stockage qui se situaient auparavant à La Castellane. Et au sein de l'organisation, la restructuration des points de deal va se faire autour d'associés, qui ont mis en place des groupes de discussion sur Signal permettant une gestion mutualisée des terrains.
Ce lundi 28 avril, dix personnes sont encore déférées devant la justice. Le procureur de la République assure que leur placement en détention provisoire sera requis pour chacun d'eux. La veille, cinq personnes ont été placées en détention provisoire et une sixième a été placée sous contrôle judiciaire.