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Dua Lipa, Chanel SS25

Julie SEBADELHA

"Avec une célébrité c'est 61% plus cher": les égéries des grandes marques font-elles vraiment encore vendre?

Pendant des décennies, les grandes maisons de luxe ont bâti leur mythe autour d’égéries emblématiques. De Catherine Deneuve chez Saint Laurent à Vanessa Paradis pour Chanel, ces figures cristallisaient une esthétique et incarnaient une philosophie. Mais à l’ère des réseaux sociaux, de l’hyper-accessibilité et du consumérisme éclairé, cette pratique est de plus en plus remise en question. Entre lassitude des consommateurs et nouvelles attentes, l’époque des égéries est-elle en train de s’achever?

On les voit partout. Sur les écrans, dans les vitrines, au détour d’un panneau publicitaire: les stars du moment prêtent leurs visages à tout ce qui brille. Mais à force de multiplier les partenariats, les égéries ont-elles encore une véritable valeur d'incarnation? Alors que certaines marques comme The Ordinary, s’insurgent publiquement contre cette logique, et que d'autres, comme Hublot, s’en amusent ouvertement, l’industrie du luxe semble confrontée à une crise de sens.

Une pratique surannée dans un monde saturé d’images

Historiquement, le principe d'égérie repose sur une forme de rareté. L’élue — souvent actrice, parfois chanteuse ou mannequin — concentrait en elle un univers, une allure, une voix singulière. Catherine Deneuve ne faisait pas que porter des tailleurs, elle traduisait le mystère et la rigueur de Saint Laurent. Vanessa Paradis ne faisait pas que virevolter sur son perchoir précieux, elle incarnait la sensualité effrontée du parfum Coco de Chanel.

Vanessa Paradis et Karl Lagerfeld
Vanessa Paradis et Karl Lagerfeld © CHRISTIAN ALMINANA

Aujourd’hui, cette exclusivité a disparu. Les stars multiplient les partenariats, parfois en simultané, sans cohérence de ton ou d'image. À l'image de l'actrice Zendaya qui représente ainsi Louis Vuitton, Lancôme, Valentino ou encore la marque On Cloud, autant d’univers visuels et idéologiques difficilement conciliables.

Dua Lipa et Donatella Versace.
Dua Lipa et Donatella Versace. © Versace

Autre exemple, la chanteuse Dua Lipa, qui incarne tour à tour le parfum Libre d’Yves Saint Laurent, la ligne beauté de la même maison, puis devient ambassadrice du nouveau sac Chanel 25 ou encore de Versace. Un zapping promotionnel qui dessert autant l’artiste que les marques. L'égérie ne fait pas rêver, elle répète et pousse à l'achat. Elle ne fascine plus, elle s'affiche.

Zendaya en décembre 2024 dans la campagne pour la réédition de la collection Louis Vuitton x Takashi Murakami
Zendaya en décembre 2024 dans la campagne pour la réédition de la collection Louis Vuitton x Takashi Murakami © Louis Vuitton

Vers une nouvelle grammaire du prestige

Devenue viral en quelques instants, la dernière campagne Hublot illustre, à elle seule, ce phénomène. En effet, la griffe horlogère suisse a choisi Choupette, la célèbre chatte blanche et capricieuse de Karl Lagerfeld pour illustrer les 20 ans de la Big Bang. Une icône, certes, mais féline. Et surtout, incapable de porter une montre.

Hublot
Hublot © Hublot

Un shooting orchestrée avec humour et second degrés. Après tout, pourquoi choisir un acteur ou une chanteuse sans lien réel avec le produit, si l’on peut tout aussi bien miser sur un animal célèbre pour ses caprices? Hublot s’inscrit ainsi dans une logique d’audace: "Own It", dit son nouveau slogan.

En choisissant l’absurde assumé, la marque prend position: elle préfère un imaginaire irrévérencieux à une communication aseptisée. La campagne, truffée de clins d’œil visuels et de références aux codes d’Internet, manie la parodie pour mieux revendiquer une forme d’authenticité, fût-elle excentrique. Un message qui entre en résonance avec une nouvelle génération de consommateurs plus attentifs, plus critiques, et surtout lassés d’un luxe qui ne raconte plus rien.

Le luxe de la sincérité, kesako?

C’est aussi dans ce contexte que la marque de cosmétique The Ordinary monte au créneau. En effet, le 22 avril dernier, la griffe de skincare minimaliste inaugurait un pop-up store sur Broadway. Pas de vitrines clinquantes, ni de stars en couverture. À la place? une montagne de billets de banque et une phrase aussi provocatrice que limpide: "Voici la quantité d’argent que nous aurions dû ajouter au prix de nos produits si nous avions payé une célébrité." - À l’intérieur, les visiteurs pouvaient lire: "Sans l’approbation d’une célébrité : 9,90 dollars. Avec l’approbation d’une célébrité: 61% de plus."

The Ordinary
The Ordinary © The Ordinary

Une initiative qui a conquis le public et une mise en scène incisive qui visait à dénoncer une vérité rarement avouée: dans le secteur de la cosmétique, le budget alloué aux campagnes marketing et à la rémunération des égéries dépasse parfois celui consacré à la qualité des produits eux-mêmes.

The Ordinary
The Ordinary © The Ordinary

Le recours aux égéries dans l’univers du luxe, longtemps considéré comme un levier stratégique incontournable, traverse donc aujourd’hui une zone de turbulence. Ce qui, autrefois, relevait de l’icône, de l’affinité esthétique et du récit long, s’est transformé en une mécanique répétitive et sans profondeur. Il ne s’agit pas nécessairement d’abandonner les visages célèbres, mais de retrouver une intention. Une vision. Une histoire qui a du poids. L’époque réclame des engagements, pas des affiches. Du sens, pas seulement du style.

Et si l’avenir du luxe ne résidait plus dans l'image d'une star, mais dans la clarté d’un message ?

Juliette Weiss