Manche: la police accusée d'user de manœuvres dangereuses pour empêcher la traversée de migrants

Cette photo aérienne prise le 16 septembre 2023 depuis un avion de la police française aux frontières (PAF) montre des migrants à bord d'un canot utilisé pour le trafic illicite alors qu'ils tentent de traverser la Manche vers la Grande-Bretagne depuis une plage du Touquet, nord de la France. - Sameer Al-DOUMY / AFP
Dans la Manche, la police a officiellement interdiction d'intervenir lorsque les embarcations de migrants sont déjà en mer. Samedi 23 mars, Le Monde, dans une longue enquête menée avec le collectif de journalistes Lighthouse Reports, le journal britannique The Observer et l'hebdomadaire allemand Der Spiegel, rapporte pourtant des situations où les forces de l'ordre useraient de manœuvres jugées dangereuses pour empêcher la traversée des exilés.
Des bateaux déstabilisés
Le journal du soir s'appuie notamment sur deux vidéos. Dans la première, datée du 9 octobre 2023, un semi-rigide de la police nationale est vu en train de tourner autour d'une embarcation, dans le port de Dunkerque, créant des vagues qui la déstabilise. Les passagers, une trentaine, se retrouvent avec de l'eau aux genoux. Ils seront finalement débarqués sains et saufs.
Dans la seconde séquence, diffusée sur TiKTok en juillet 2023, un semi-rigide appartenant à la vedette de gendarmerie maritime Aber-Ildut apparaît en train de percuter le bateau gonflable des migrants au large de Boulogne-sur-Mer. L'un des gendarmes brandit une bombe lacrymogène et appelle les passagers à s'arrêter.
Confrontée aux premières images, la préfecture de la zone de défense et de sécurité Nord se défend de tout acte répréhensible: "On était en journée, dans une enceinte portuaire. Le but de l’intervention est de dissuader les passagers de s’approcher de la digue du Braek. C’est la seule fois où on a pu intercepter un small boat par cette manœuvre et ça a été dissuasif. Toutes les personnes migrantes ont été sauvées et les passeurs interpellés." Concernant la seconde vidéo, elle affirme qu'"aucune action de coercition n'a été réalisée" et que l'embarcation "a librement poursuivi sa route".
"Le nombre de ces contrôles reste très modeste, aucun naufrage, blessé ou procédure non conforme n’a été signalé", a-t-elle ajouté.
Quatre saisines
Le Monde a également recueilli les témoignages de plusieurs migrants qui affirment que certains policiers iraient jusqu'à crever des bateaux bondés de passagers. "À aucun moment de telles consignes ne sont données ni même suggérées aux équipes coordonnées, bien au contraire, la préservation de la vie humaine en mer est le seul credo qui vaille", assure la préfecture maritime.
Contactée par le quotidien, la Défenseure des droits a indiqué que quatre saisines étaient en cours d’investigation portant sur des interceptions en mer en 2022 et 2023. L’inspection générale de la police nationale est également saisie depuis l’automne 2023 d’une enquête préliminaire à la suite d’un signalement au parquet de Boulogne-sur-Mer effectué par Rémi Vandeplanque.
Ce garde-côte douanier et représentant du syndicat Solidaires affirme qu'un gendarme aurait demandé à un membre d’équipage de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) de l’aider à percer un bateau au large de la plage de Berck-sur-Mer. Une manœuvre à laquelle le sauveteur a refusé de participer. La préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord assure que "si elle est avérée, cette initiative ne pourrait être qu’une initiative individuelle de la personne en question et inappropriée".