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Poutine se démène pour relancer la natalité en Russie mais Moscou a subitement cessé de communiquer ses chiffres en mars (le signe d'un effondrement démographique?)

Le président russe Vladimir Poutine rencontre des représentants des milieux d'affaires russes à Moscou le 26 mai 2025.

Le président russe Vladimir Poutine rencontre des représentants des milieux d'affaires russes à Moscou le 26 mai 2025. - Grigory SYSOYEV

La guerre en Ukraine délenchée en 2022 a accentué le déclin démographique entamé il y a plusieurs années en Russie. Au point que les entreprises du pays font désormais face à de graves pénuries de main-d'oeuvre.

Un aveu d'échec? Malgré une politique nataliste défendue par Vladimir Poutine dès les années 2000, les autorités russes ne publient plus les statistiques démographiques mensuelles détaillées depuis le mois de mars, selon Bloomberg. Ces données sont désormais "à usage officiel uniquement", précise au média américain le démographe Alexeï Rakcha.

"A priori, cela a été décidé à la suite de la publication de mauvais taux de naissance et de mortalité", souligne auprès de BFM Business Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du centre Russie-Eurasie de l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Le Kremlin n'a pourtant jamais nié le défi démographique "historique" auquel est confrontée la Russie depuis des années avec une population qui ne cesse de baisser, passant de plus de 148,4 millions d'habitants en 1991 à 143,5 millions en 2024, selon la Banque mondiale.

"Le destin de la Russie et ses perspectives historiques dépendent d'une chose: combien nous sommes et combien nous serons", déclarait même Vladimir Poutine en 2020. L'an dernier encore, le dirigeant confirmait faire de "l'amélioration de la situation démographique" et du "soutien du taux de natalité et des familles nombreuses" un "objectif national prioritaire".

Un déclin accéléré par la guerre

Mais rien n'y fait. Malgré une embellie dans les années 2010, la tendance s'est à nouveau inversée et semble désormais impossible à enrayer alors que l'ONU estime que la population du plus grand pays du monde diminuera de 15% d'ici 2100. Car la Russie souffre selon les experts d'une "triple peine démographique", à savoir une baisse de la natalité conjuguée à une hausse de la mortalité et à une augmentation de l'émigration. Côté natalité d'abord, l'indice de fécondité du pays s'élevait en 2024 à 1,4 enfant par femme alors que Vladimir Poutine avait fixé l'objectif de 1,7. Un niveau inférieur à celui de la France (1,6) mais qui reste encore supérieur à celui de l'Italie (1,2), deux pays également confrontés à une crise démographique, comme la plupart des économies développées au demeurant.

Au total, 1,22 million de bébés sont nés en 2024 en Russie, selon l'institut statistique russe Rosstat. Un chiffre au plus bas depuis 1999. 195.432 naissances ont également été comptabilisées en janvier et février de cette année, avant l'interruption de la publication des statistiques, soit un recul de 3% par rapport à l'an passé. Ce qui traduit les craintes de la population envers l'avenir, et en particulier les "craintes sur les perspectives économiques", relève Tatiana Kastouéva-Jean.

Mais c'est aussi le résultat logique de la crise démographique des années 1990 marquées "par une augmentation soudaine de la mortalité adulte, en particulier chez les hommes, doublée d'une forte chute de la natalité. (...) À cette période, la population russe perdait annuellement plus de 750.000 personnes par solde naturel", rappelle Julien Vercueil, économiste et professeur à l'Institut National des Langues et Civilisations Orientales (Inalco). Or, ces générations moins nombreuses nées à la fin du XXe siècle sont arrivées à l'âge de procréer et font mécaniquement moins d'enfants.

Les décès, eux, sont plus nombreux que les naissances: 1,82 million en 2024 (+3,3%), toujours d'après Rosstat. Des chiffres à prendre avec prudence sachant que le Kremlin ne communique pas sur les pertes militaires en Ukraine. Bloomberg assure néanmoins que "le rythme du déclin démographique s'est accéléré d'environ 20% par rapport à 2023, en partie à cause de la guerre". D'autant qu'entre 500.000 et 1.5 million de Russes auraient fui le pays dans les mois qui ont suivi l'invasion de l'Ukraine.

"La guerre vient renforcer ce problème structurel, même si la Russie a ajouté la Crimée dans ses statistiques démographiques", abonde Tatiana Kastouéva-Jean.

Graves pénuries de main-d'oeuvre

L'effondrement démographique de la Russie affaiblit toute l'économie du pays - sur le point de tomber en récession - en réduisant la population active: "Cela limite la croissance potentielle de la Russie à productivité constante", relève Julien Vercueil. Surtout que Moscou s'est engagé en parallèle "dans une guerre qui mobilise des classes en âge de travailler. La ponction est réelle: plusieurs centaines de milliers de jeunes hommes", poursuit l'économiste qui pointe aussi "la fuite des cerveaux". Si bien que "la quantité et la qualité de la main-d'oeuvre en sont affectées".

La plupart des enquêtes montrent d'ailleurs que les entreprises russes éprouvent d'importantes difficultés de recrutement, en particulier dans les secteurs non prioritaires pour l'effort de guerre. Ce manque de bras "produit une concurrence exacerbée entre les entreprises et organismes publics sur le marché du travail pour obtenir des compétences devenues rares", constate Julien Vercueil. Résultat, "les entreprises proposent des salaires de plus en plus élevés pour les attirer, ce qui se traduit par de l’inflation et un appauvrissement de la population. C’est un cercle vicieux", complète Tatiana Kastouéva-Jean. En juin, l'inflation russe s'établissait encore à 9,8%.

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Dans ce contexte, certaines entreprises russes n'hésitent pas à faire appel à la main-d'oeuvre étrangère pour compenser le manque de travailleurs sur le territoire national. Et parfois en empruntant des voies détournées. En 2022, le programme Alabuga Start promettait sur les réseaux sociaux une formation professionnelle et technique accélérée en hôtellerie, principalement à des jeunes femmes venues d'Afrique. Avec à la clé un emploi bien rémunéré. Sauf qu'une fois sur place, ces jeunes femmes étaient envoyées sur le site industriel d'Alabuga pour assembler des drones dans des conditions particulièrement difficiles.

Cette main-d'oeuvre étrangère pourtant nécessaire à l'économie russe n'est pas vue d'un bon oeil par l'opinion:

"Les Russes sont très contradictoires: le marché du travail a besoin d’immigration mais les Russes n’en veulent pas. Les migrants sont mal intégrés, mal reçus", explique Tatiana Kastouéva-Jean.

"La main d'oeuvre étrangère est traditionnellement recrutée pour les travaux de force et les travaux domestiques. Mais elle se heurte à l'hostilité d'une partie de la population russe, qui dégénère parfois en heurts à caractère raciste", confirme Julien Vercueil. Finalement, Vladimir Poutine a décidé après l'attentat de Moscou début 2024 de durcir les conditions d'immigration des ressortissants d'Asie centrale et du Sud Caucase "qui sont les plus nombreux à travailler en Russie".

Des mesures à l'efficacité limitée

Places en crèches, allocation familiales... Vladimir Poutine n'est pas resté les bras croisés pour tenter de relancer la natalité dès son arrivée au pouvoir en 2000. En 2006, l'instauration du "capital maternel" permettait même aux femmes de percevoir environ 7.000 euros à la naissance de leur deuxième enfant. Plus récement, plusieurs régions de Russie ont mis en place des programmes accordant une allocation unique de plus de 1.000 euros aux étudiantes enceintes.

À ces mesures prises pour tenter d'enrayer la chute démographique se sont ajoutées des lois conservatrices comme celle interdisant de faire la promotion de la vie "sans enfant" votée fin 2024. Une politique qui au final n'a jamais pleinement porté ses fruits: "On a bien assisté à des à-coups de la part du pouvoir, qui visaient à remédier au déclin des principaux indicateurs démographiques mais (...) ils ne duraient qu'un temps et étaient en général suivis de périodes de torpeur où rien de sérieux n'était entrepris", estime Julien Vercueil.

Pour l'économiste, "il n'existe pas à proprement parler de politique démographique cohérente en Russie" malgré la volonté de Vladimir Poutine de s'attaquer à cette problématique. Mais le président russe "ne s'est jamais intéressé aux conditions qui pourraient conduire les ménages à envisager par eux-mêmes l'avenir au sein d'une famille plus large", conclut l'économiste.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco