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Climat: les activistes ciblent les banques, les banquiers sont dépassés, les actionnaires agacés

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Si les activistes écologistes sont présents depuis une dizaine d’années dans les assemblées générales des grands pétroliers, c’est maintenant les banques qui sont visées. La seule réorientation des crédits vers des projets bas carbone ne suffit pas à calmer la colère des militants pour le climat. Ce 23 mai, c'est au tour de la Société Générale de réunir ses actionnaires.

BNP Paribas, HSBC, Crédit Agricole, ING… Cette année, les activistes pour la défense du climat sont venus participer aux assemblées générales des banques. Dans leurs viseurs: les financements des banques dans les activités d’exploration de pétrole et de gaz, sans demander de contrepartie.

"Les activistes n’ont pas réussi à amener les pétroliers aussi loin qu’ils souhaitaient dans la décarbonation et cherchent à présent à leur couper les vivre", explique Bénédicte Hautefort, fondatrice de la fintech Scalens.

Entre coups d'éclat et questions/réponses

Dans les pays anglo-saxons, des assemblées générales ont été marquées par des actions de militants. Chez HSBC, à Londres, certains participants ont dû être sortis de force de la salle par la sécurité. À Amsterdam, ING a ainsi dû interrompre la séance à plusieurs reprises et faire appel à la police, les activistes s’étant mis à chanter et siffler.

À Paris, les AG se sont déroulées jusqu'ici dans une ambiance plus calme. Des scientifiques et des représentants d’ONG sont ainsi intervenus lors des traditionnelles séances de questions/réponses, accédant à la plénière grâce à l’achat d’une action symbolique. Avec des réactions mitigées de la part du public.

Chez BNP Paribas, qui tenait son assemblée au Carrousel du Louvre, des signes d’agacement se sont fait entendre. Les rangs des assemblées générales sont généralement occupés par des actionnaires plutôt seniors, souvent retraités. Certains ont perdu patience lors des prises de parole des divers représentants des ONG ou scientifiques. Des invectives comme "Go back home" ou "Callate!" ont été entendues dans la salle au moment de l’intervention de personnes s’exprimant en langue étrangère, alors même qu’une traduction était proposée.

Bénédicte Hautefort, qui regarde les interactions entre actionnaires et sociétés à travers la fintech Scalens, reconnaît que "la situation a commencé à évoluer l’an dernier, lors de l’assemblée générale de TotalEnergies".

"Des activistes écologistes avaient bloqué l’accès de la salle Pleyel aux actionnaires, et des actionnaires avaient été bousculés", rappelle-t-elle.

Dialogue de sourds entre banques et activistes

Les banques ne ménagent pas leurs efforts en matière de communication sur le sujet des financements verts. En début d’année, BNP Paribas annonçait ne plus financer de projets de nouveaux champs pétroliers et gaziers et réduire de 80%, d’ici à 2030, les encours de crédit liés à la production de pétrole. Mais ces actions ne sont pas suffisantes pour les militants. Ils demandent à ce que tout financement soit conditionné à ce que l’entreprise financée ait un plan de sortie de ses activités gazières et pétrolières, au risque de continuer à financer indirectement ces activités.

Autre point de divergence entre les banques et les militants, la définition des énergies fossiles et de transition. Les ONG s’appuient sur le GIEC pour considérer le gaz comme énergie fossile. Les banques suivent la taxonomie européenne, classant le gaz dans les énergies de transition.

"Nous sommes dans l’idée que le gaz est nécessaire à la transition énergétique. Nous ne sommes pas de ceux qui mettent aujourd’hui la pression sur le gaz, hormis le fait que nous ne soyons pas présents sur le gaz de schiste" rappelait Philippe Brassac lors de l’assemblée générale du Crédit Agricole, mercredi 17 mai.

Des énergies fossiles plus polluantes, mais aussi plus rémunératrices pour les pétroliers, qui n’ont généralement pas besoin d’emprunter pour les maintenir à flot, reconnaît Jean-Laurent Bonnafé, directeur général de BNP Paribas. "Pétrole et gaz sont des activités tellement rentables qu’elles ramènent du cash pour rembourser la dette et payer les dépenses de maintenance, dividendes et rachats d’actions de ces entreprises", affirme-t-il. Les dettes émises par ces sociétés sont alors dirigées vers des projets verts, une certaine hypocrisie pour les ONG.

Interrogé par une activiste de Fridays for Future sur le méga-projet pétrolier de TotalEnergies en Afrique, Philippe Brassac, directeur général du Crédit Agricole, explique: "je ne suis pas de ceux qui disent que ça ne nous concerne pas parce que ce ne sont pas nos financements. Nous ne soutenons pas EACOP (NDLR :le nom du projet d’oléoduc en Tanzanie et Ouganda) et ne le finançons pas, comme d’autres projets qui visent à accroître la capacité de production de pétrole", maintient-il.

"Mais nous avons besoin d’accompagner les grands énergéticiens vers les énergies renouvelables. Nous avons ce débat avec nos équipes dans notre conseil d’administration et nous l’aurons régulièrement", nuance-t-il.

C’est toute la gamme de services financiers proposés aux entreprises énergétiques qui est aujourd’hui ciblée par les activistes, de l’émission d’obligations (qui consistent également à financer des projets de production) aux actifs sous gestion investis dans ce secteur. "Nous nous concentrons aujourd’hui sur les émissions obligataires vertes", indique BNP Paribas, sans prendre de décision ferme de ne plus prendre part aux financements obligataires émis par les pétroliers.

Les banquiers en appellent à la régulation des États

"Même si dans les faits, nous finançons les projets d’énergies renouvelables des grands énergéticiens, et même si les projets fossiles sont financés autrement que par nous, nous savons que cela ne nous exonère pas de toute responsabilité", reconnaît Philippe Brassac, appelant les banquiers à l’humilité.

"Quelle est fondamentalement la bonne ligne de conduite à tenir, dans un monde à enjeux et injonctions parfois contradictoires? Il nous faut reconnaître que nous ne sommes pas vraiment sûrs de nous, que nos positions n’ont aucune vocation à être définitive."

"Cette absence de cadre public est quand même très étonnante", lance Jean-Laurent Bonnafé du côté de la BNP, évoquant le fait que certains parlements nationaux pourraient se saisir de la question.

Beaucoup d’experts du domaine reconnaissent que si la communication change et que les banques sont plus prudentes, il reste encore beaucoup à faire. "Pour qu’il y ait des engagements significatifs à long terme, il faudrait une incitation des pouvoirs publics ou des régulateurs", avance Nicolas Darbo, partner chez Accuracy.

Aude Kersulec