Seule région de France qui a les États-Unis comme premier client, la Normandie va particulièrement souffrir de l'accord avec Trump

Glass Vallée, Vallée De La Bresle - AFP
Célèbre pour ses plages du Débarquement, ses pommiers et ses falaises, la Normandie est aussi l’une des régions industrielles et exportatrices les plus dynamiques de France, avec 11 milliards d’euros de marchandises exportées.
Selon un rapport de l’Insee datant de juillet 2025, les exportations vers les États-Unis représentent près de 10% de l’ensemble des biens exportés depuis la région et sont la première destination des marchandises normandes. Les exportations ves les Etats-Unis représentent aussi près de 10% du PIB de tout la région, un niveau bien supérieur à celui observé en France métropolitaine (7,4 %).
Plus précisément, 1 milliard d’euros de marchandises ont pris le chemin de l’Atlantique en 2024. La Normandie est la seule région de France métropolitaine qui a les Etats-Unis comme premier client. En termes d’impact sur l’emploi, la Normandie est la troisième région métropolitaine la plus exposée aux exportations de biens vers les États-Unis. En moyenne, un salarié normand y exporte pour 2.165 euros de produits par an.
À elles seules, les boissons alcoolisées distillées (dont le célèbre calvados) représentent 22% de ces exportations, suivies par les produits chimiques, les instruments médicaux et les conserves de fruits. A noter aussi que la Normandie est la seule région métropolitaine où les céréales arrivent en tête des produits exporté.
Avec 4.000 entreprises exportant outre-Atlantique, les liens économiques étroits avec les États-Unis ne datent pas d'hier. Historiquement, le Débarquement de 1944 a jeté les bases d’une coopération durable entre les deux rives de l’Atlantique. Des liens qui se traduisent aujourd'hui en chiffres, et en une forme de dépendance.
Et c’est précisément cette orientation industrielle qui la rend vulnérable à l’accord Trump-von der Leyen. De l’aéronautique au lait, en passant par le caoutchouc, l'automobile, la pharmacie, la mode et le luxe, de nombreux secteurs clés de la région s’adossent à un commerce fluide avec les États-Unis. Une fluidité désormais tarifée à hauteur de 15 %
"Il faut que ce yo-yo cesse"
À Saint-James, commune de la Manche où se trouve la célèbre marque de tricot marin du même nom, Luc Lesénécal, le patron, également conseiller du commerce extérieur pour la Normandie, est catégorique: "Avant même cet accord, nos produits étaient déjà taxés à 16,5% en entrant aux États-Unis. Ensuite, Trump a mis une surtaxe de 20%, redescendue à 10%. Aujourd’hui, on se stabilise à 15 %. Il faut que ce yo-yo cesse", confie-t-il dans les colonnes du Parisien.
Pour la prochaine collection printemps-été 2026, la décision a déjà été prise: les prix sur le marché américain grimperont de 10%. "À contrecœur", souffle Luc Lesénécal. Et ce n’est pas la seule mesure envisagée: Saint-James envisage désormais de réduire ses achats de coton américain pour se tourner vers d’autres fournisseurs.
À Saint-Aubin-sur-Gaillon, dans l’Eure, l’industriel Pierre-Jean Leduc n’est guère plus rassuré. À la tête de Demgy, entreprise spécialisée dans les plastiques techniques, il indique au média Le Parisien, que 40 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024 proviennent du marché américain: "Et ce, grâce à nos deux usines installées à Chicago et Seattle", précise-t-il. Mais ces liens étroits ne suffisent pas à contourner les surtaxes: les polymères utilisés, achetés dans le monde entier, subissent eux aussi les effets des hausses douanières une fois transformés et réexportés.
Maroquinerie, beauté, parfum...le luxe normand face à l'incertitude
À noter également que la Normandie est devenue, en quelques années, une terre d’accueil pour l’industrie du luxe. Regroupant désormais près de 20.000 salariés sur le territoire normand, c’est aussi un secteur, historiquement tourné vers les États-Unis, qui pourrait souffrir.
Hermès, qui avait déjà posé ses valises à Val-de-Reuil, a inauguré en 2024 un nouvel atelier de maroquinerie à Louviers. 260 artisans y façonnent sacs et articles d’équitation de prestige, jusqu’alors réservés au mythique 24 Faubourg-Saint-Honoré.
À Yainville, le seul site de production du groupe Christofle (orfèvrerie de luxe) emploie 250 personnes. Et dans la vallée de la Bresle, surnommée "la Glass Vallée", 70 % des flacons de parfum de luxe mondiaux sont produits, notamment pour Chanel, Dior ou encore Lancôme. Formulation, conditionnement, façonnage, packaging, logistique... Les entreprises régionales, notamment normandes sont au coeur de industrie de la parfumerie-cosmétique.

Avec près de 3 milliards d’euros d’exportations en 2024 (soit 12 % des exportations françaises), les États-Unis représentent le premier marché à l’export de la cosmétique française, souligne la Fédération des Entreprises de la Beauté (FEBEA). D’après une étude du cabinet Asterès, il est possible d’estimer que l’accord pourrait entraîner une perte annuelle de 300 millions d’euros et menacer jusqu’à 5 000 emplois en France dans le secteur de la beauté. De quoi obliger les grandes maisons comme les artisans à revoir leur stratégie à l’export.
Une terre de Vikings… en résistance
Dans les ateliers d’Heudebouville, des stagiaires du GRETA manipulent cuir et aiguilles sous les conseils d’artisans Hermès. Ce programme de formation, pensé pour accompagner l’expansion de la maroquinerie de luxe dans l’Eure, pourrait pourtant se heurter à un obstacle inattendu. Avec une taxe douanière de 15 %, les promesses d’embauche pourraient vite se transformer en prudence budgétaire.
Face à cette situation, la Normandie ne baisse pas les bras.
"Nous sommes une terre de Vikings, ce n’est pas aujourd’hui que nous allons fuir le combat", résume avec fierté Xavier Fraval de Coatparquet au Parisien. La Chambre de commerce régionale appelle déjà à la diversification des marchés, à l’augmentation des exportations vers l’UE (qui représente déjà 51% des flux normands).
L’accord Trump-von der Leyen n’est peut-être qu’un épisode de plus dans la saga incertaine des relations commerciales internationales, mais pour les 800.000 habitants de la région de Rouen et les dizaines de milliers d’emplois qui dépendent directement du commerce transatlantique, il marque un tournant. Si la Normandie est la "plus américaine" des régions françaises par ses échanges, c’est aussi désormais celle qui devra le plus vite repenser son avenir commercial.