BFM Business
Le monde qui bouge

Déception en Inde sur la solidarité sanitaire de l'allié américain, la Chine prête à le suppléer

L’Inde, submergée par une vague épidémique, attend un geste décisif de l'allié américain. L’Organisation mondiale de la santé parle d'une "situation au-delà du déchirement".

Le monde qui bouge, c'est le rendez-vous international de Good Morning Business, tous les matins, sur BFM Business. Benaouda Abdeddaïm décrypte les principaux enjeux économiques liés à l’actualité géopolitique. Il tient également une chronique sur BFMBusiness.com.

Solidarité de l'Amérique requise. Le discours géopolitique sur la grande alliance Indo-Pacifique destinée à contenir l’expansion chinoise, ce n'est plus ce que veut entendre l’Inde.

Le président américain Joe Biden a joint, lundi soir, le Premier ministre indien au téléphone. Une conversation "fructueuse", affirme Narendra Modi. La Maison-Blanche déclare promettre un "soutien indéfectible", avec une gamme d’assistance d’urgence: oxygène, équipements, matériel de vaccination et produits thérapeutiques. Joe Biden a tenu à rappeler qu’au pic de la tension dans les hôpitaux américains, l’Inde a su aider. Les expéditions de médicaments n'avaient alors pas manqué.

Preuve que la situation relève bien de l’affaire stratégique, dimanche, c’est le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan qui a joint son homologue à New Delhi Ajit Doval, entretien au cours duquel il a remis en perspective un partenariat de "sept décennies" en matière de santé publique, en ayant livré "bataille" ensemble, contre la variole, la polio et le VIH.

Et cette lutte conjointe se poursuivrait, à présent, face au Covid-19. Outre des équipements et du co-financement de capacités de production de vaccins, Washington a annoncé dépêcher une équipe de conseillers en matière de contrôle des épidémies. Il s’agit de démontrer que la détresse du peuple indien est écoutée.

Forte incompréhension

Pour autant, l'amertume persiste en Inde, même si certaines analyses considèrent qu'une accélération de Washington permettra de rattraper le temps perdu. Une impression d’indifférence américaine intiale a pu froisser les Indiens. Dans une tribune diffusée lundi, Harsh V. Pant, chef de programme à l'ORF (New Delhi), un important centre d’études internationales, juge que la nature de la réponse de l’administration Biden, "prétendument progressiste", va "hanter" la relation entre les deux nations.

Un refus constant d’accéder aux demandes de Serum Institute of India (SII) a contribué à une forte incompréhension. Le plus gros fabricant de vaccins du pays n’a cessé de soutenir que ce sont les restrictions américaines à l’exportation de certaines matières premières qui ont provoqué la réduction de moitié du nombre potentiel de doses stockables. Le PDG de SII, Adar Poonawalla, s'est autorisé à interpeller à ce sujet le président Biden, qui comme son prédécesseur invoque une législation remontant à la guerre de Corée. Le recours au "Defense Production Act" de 1950 restreint, de fait, les sorties de composants de vaccins produits sur le sol américain. 

Et puis, lorsque jeudi dernier devant l’Organisation mondiale du commerce, l’Inde s’est associée à l’Afrique du Sud pour requérir une dérogation aux brevets sur les vaccins, les Etats-Unis, comme l’Union européenne, ont notifié une fin de non-recevoir. Cependant, la ministre américaine du commerce extérieur Katherine Tai fait état à présent de discussions avec les laboratoires Pfizer et AstraZeneca, afin d'envisager avec eux une possible mis en suspens de leur propriété intellectuelle.

Non-alignement

Une spécialiste de l’Asie du Sud à Washington, citée par l'agence Bloomberg, juge qu’il y a là une accumulation de désillusions qui peuvent ramener New Delhi à sa politique traditionnelle de non-alignement. Une incitation à recouvrer son autonomie stratégique à bonne distance des promesses de l'Amérique.

Cette éventuelle tentation est soulignée en Chine. Un quotidien officiel à vocation extérieure soutient que les Etats-Unis sont critiqués en Inde pour leur réponse "tardive et égoïste". En éditorial, le "Global Times" y voit ainsi le signe d’une alliance indo-américaine "fragile et superficielle". Un "tigre de papier", d'après un analyste britannique sur CGTN, la chaîne d'information étatique.

Alors, la diplomatie chinoise se propose d’expédier tout l’équipement nécessaire, à commencer par l’oxygène qui fait tant défaut aux hôpitaux indiens. Mais il va quand même falloir en passer par une requête formelle de l'Inde, qu’un expert en santé mondiale de l'Université Peking Bedia ne voit pas vraiment venir.

On apprend, ce matin, que des vols de fret acheminant de l’équipement médical chinois sont suspendus pour quinze jours. Une alternative à l'Amérique n'est donc pas encore pour demain.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international