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Retraites: qu'est-ce qu'une "lettre rectificative", que LFI et le RN demandent pour garantir la suspension de la réforme

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Le gouvernement a fait le choix d'une suspension de la réforme contestée via "un amendement au projet de loi de finances pour la Sécurité sociale". Cette voie peut en théorie lui permettre de ne pas l'acter en cas d'enlisement des débats sur le budget. Mais le constitutionnaliste Benjamin Morel estime qu'une autre procédure existe pour éviter cette situation.

C'est l'enjeu majeur autour du maintien du gouvernement. Pour échapper à une censure du Parti socialiste, Sébastien Lecornu a promis de suspendre la réforme des retraites "jusqu’à l’élection présidentielle" de 2027, mardi 14 octobre lors de sa déclaration de politique générale.

Mais alors qu'elle aurait pu prendre la forme d'un nouveau projet de loi, cette suspension passera par "un amendement au projet de loi de finances pour la Sécurité sociale [PLFSS] dès le mois de novembre", selon les mots du Premier ministre mercredi, lors des questions au gouvernement. À moins que?

"Concernant la suspension de la réforme des retraites, il existe une troisième voie entre l'amendement au PLFSS et un nouveau projet de loi, souligne le constitutionnaliste Benjamin Morel sur X, ce samedi. Le gouvernement devrait faire une 'lettre rectificative' permettant de compléter un projet de loi déjà déposé devant le Parlement, avant son examen par la première assemblée saisie".

Une nouvelle donne de taille, que confirme une note du secrétariat général du gouvernement de 2024. Sans cette lettre rectificative, il faudrait non seulement que l'amendement gouvernemental pour suspendre la réforme des retraites soit adopté, mais encore que le PLFSS dans son intégralité soit approuvé au Parlement. Et ce, avant son 50e jour d'examen.

Or, si ce délai expirait sans que le Parlement ne se soit prononcé, le gouvernement pourrait théoriquement faire passer le projet de loi par ordonnances. Dans cette hypothèse, c'est le projet initial qui serait retranscrit via les ordonnances, amputé donc d'un éventuel amendement de suspension de la réforme des retraites.

Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon demandent son application

Autrement dit avec la renonciation de Sébastien Lecornu à utiliser le 49.3, la voie de l'amendement au PLFSS reviendrait par exemple à contraindre les socialistes, qui n'ont pas voté les motions de censure déposées par La France insoumise et le Rassemblement national jeudi, à renoncer à la suspension, ou bien à accepter, dans les temps, l’ensemble du budget de la Sécurité sociale malgré de potentielles mesures qui lui déplaisent.

"Cela veut dire que le Parti Socialiste devra voter la baisse des retraites pendant quatre ans ou la baisse de l’indemnisation des personnes atteintes de maladies chroniques pour que ce décalage puisse voir le jour. Comment peut-on se faire rouler dans la farine comme cela ?", a ainsi illustré le coordinateur national de LFI et député Manuel Bompard sur X, après l'annonce du véhicule législatif par Sébastien Lecornu.

Dans la foulée du message posté samedi par Benjamin Morel à propos de cette "lettre rectificative", le leader insoumis Jean-Luc Mélenchon s'est donc félicité de voir "qu'il existe un moyen d'obliger le gouvernement à tenir parole".

Marine Le Pen a également réagi, estimant qu'il est "bien possible et même nécessaire" d’utiliser cette procédure "pour assurer la crédibilité de la suspension de la réforme des retraites promise aux Français".

"Je demande donc à Sébastien Lecornu de déposer en urgence une lettre rectificative sur son PLFSS pour garantir la viabilité juridique d’une suspension de la réforme des retraites avant son vote par l’Assemblée nationale. Il reste du temps avant son examen en commission jeudi 23 octobre", écrit la cheffe de file des députés du RN.

"Différence fondamentale" mais peu de recul

Concrètement, la "lettre rectificative" permet au gouvernement de modifier ou de compléter un projet de loi déjà déposé devant le Parlement, comme cela a été fait pour le PLFSS le 14 octobre dernier, après délibération en conseil des ministres.

"Elle est soumise à la même procédure que le projet de loi", poursuit Benjamin Morel sur X. Dans le détail, elle doit être accompagnée d’une étude d’impact et être soumise à l’avis du Conseil d’État puis délibérée en Conseil des ministres avant d’être transmise à l’Assemblée saisie du projet de loi, comme peut-on le lire sur le site de l'institution.

Avec cette lettre, la "différence fondamentale" tient au fait que le PLFSS originel appliqué par ordonnance comprendrait alors la suspension de la réforme des retraites, ajoute Benjamin Morel. Par ailleurs, avec une rectification du texte au préalable, l'éventualité que l'amendement gouvernemental sur la suspension de la réforme soit considéré comme un cavalier législatif ne se poserait plus.

À noter que le délai d'examen de 50 jours du PLFSS pourrait être réinitialisé à compter du dépôt de la lettre rectificative, selon le député LFI Éric Coquerel sur X.

Benjamin Morel note toutefois auprès de l'AFP qu'"on n'a pas de recul" sur une telle manœuvre, l'application d'un budget par ordonnances étant sans précédent sous la Ve République: "On ne sait même pas si un juge est compétent".

Autre hypothèse selon lui: même si le gouvernement retranscrit dans les ordonnances une version amendée du texte via la lettre rectificative, celle retenue, en cas d'enlisement des débats à l'Assemblée, pourrait être issue du Sénat, majoritairement hostile à une suspension de la réforme des retraites.

Gabriel Joly avec AFP