Pas écolo mais bon pour le commerce: la grande distribution peut-elle se passer du prospectus?

Une campagne de pub télé, un site internet dédié (zeroprospectus.com), un engagement: plus de prospectus d'ici 10 ans. En 2010, Leclerc lançait une grande campagne de communication pour annoncer la mort prochaine du prospectus papier. Las, une décennie plus tard, le pari n'a pas été tenu. Les enseignes utilisent toujours massivement ce mode de communication.
Pourtant sur le papier l'opération semblait gagnant-gagnant. Les enseignes auraient pu économiser des millions d'euros chaque année qu'elles pourraient répercuter sur les prix et les Français assurent être sensibles à l'enjeu environnemental. 75% d'entre eux sont favorables à la loi qui vise à terme à les supprimer.
Mais dans les faits, les enseignes de grande distribution y vont à tâton. Hormis Monoprix qui a fortement réduit sa distribution de prospectus et Ikea qui a arrêté la distribution de son catalogue, aucune grande enseigne n'a réellement abandonné le prospectus distribué en boîte. Elles se contentent pour le moment de tests.
Comme Carrefour qui a annoncé qu'il allait supprimer la distribution de prospectus dans les zones de chalandises de... deux magasins.
"A partir du 28 juin, pour lutter contre le gaspillage de papier, Carrefour lance une grande opération dans ses hypermarchés de Lille (59) et Soyaux (16): durant 4 mois, ces deux magasins cesseront de distribuer leurs catalogues dans les boîtes aux lettres de leurs clients, sauf demande explicite de leur part, explique Carrefour dans un communiqué. Les clients pourront faire leur choix entre catalogue papier ou digital en se rendant sur la plateforme carrefour.fr/defi-catalogue. S’ils privilégient le digital, ils peuvent alors choisir de le recevoir par courriel, par SMS ou encore via l’application WhatsApp. Pour les personnes préférant poursuivre avec le format imprimé classique, Carrefour continuera à leur envoyer chaque semaine par courrier postal."
Quelques jours plus tôt c'était Casino qui s'était engagé à réduire à partir de cette année de 40% le poids du papier utilisé mais sans supprimer les prospectus.
"Nous allons réajuster à la marge la distribution mais surtout, nous allons baisser en pagination une grande partie de nos prospectus", assure dans LSA Sébastien Corrado, directeur marketing pour les hypermarchés.
Les autres grandes enseignes elles aussi multiplient les tests. Comme Auchan ou E. Leclerc qui ont aussi tenté d'arrêter la distribution de prospectus. L'adhérent E. Leclerc de Luçon en Vendée a ainsi cessé il y a quelques années la pub papier dans les boîtes aux lettres. Il en distribuait auparavant 1,8 million chaque année. Idem pour Auchan qui le teste dans son magasin de Saint-Herblain dans la banlieue de Nantes.
20% de clients en moins
Des tentatives bénéfiques sur le plan environnemental, mais qui s'avèrent très dommageables sur le plan commercial. Même dans des zones où la pression concurrentielle est moins importante, l'impact sur la fréquentation est très important. De l'ordre de 20% de clients en moins dans les magasins qui testent le "zéro prospectus".
Car si la sensibilité aux questions environnementale progresse, les Français sont encore nombreux à lire les catalogues. 69% des Français n'ont pas d'autocollant "Stop Pub" sur leur boîte aux lettres et 50% d'entre eux ne comptent pas en apposer un selon une étude Opinionway pour Bonial.
Le prospectus papier reste encore pour beaucoup le moyen numéro 1 pour se tenir informé des promotions ou des opérations commerciales diverses dans les magasins. Selon une étude Kantar Division Worldpanel menée pour Balmétrie en 2019, une campagne de tractage efficace fait venir 9% de clients en plus dans le magasin et génère un surplus de chiffre d'affaires de 13%. Des ventes additionnelles qui sont principalement liées à l'attractivité de l'enseigne puisque les deux tiers de ces ventes sont liés à des produits qui ne sont pas sur le prospectus.
Des consommateurs qui n'hésitent pas à faire des infidélités à leur magasin habituel sur la foi d'un prospectus. Sept Français sur 10 selon l'étude Bonial se déclarent prêts à changer leurs habitudes en fonction d'une promotion et 40% sont même prêts à aller dans un magasin dans lequel ils n'ont pas leurs habitudes.
Dans ce contexte, arrêter les prospectus revient à offrir sur un plateau une partie de sa clientèle à ses concurrents.
Pour pousser l'ensemble du secteur à la sobriété en la matière, le gouvernement a durci la législation. Depuis le 1er janvier, les enseignes ne peuvent plus distribuer de prospectus sur les voitures ou d'offrir de cadeaux non sollicités. Les publicités ne peuvent par ailleurs pas faire croire au consommateur qu'il bénéficiera d'une "réduction de prix comparable à celle des soldes en dehors de leur période légale mentionnée." En 2022, ce seront les publicités emballées sous plastiques qui seront proscrites. Des dispositions qui ne devraient cependant pas avoir d'incidences sur les prospectus des distributeurs alimentaires qui ne correspondent pas à ces critères.
