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Les marchés face au casse-tête des risques géopolitiques

Les risques associés aux tensions géopolitiques sont impossibles à modéliser,

Les risques associés aux tensions géopolitiques sont impossibles à modéliser, - Austin Distel/Unsplash

Une guerre entre la Russie et l'Ukraine, personne n'y croyait réellement dans la finance. Désormais, les investisseurs s'inquiètent. Ceux qui ont prêté à l'État russe perdront-ils leur mise?

"Les signes avant-coureurs étaient là" et pourtant l'invasion russe de l'Ukraine a bouleversé les marchés et a mis les gérants face aux difficultés et aux lacunes de leurs analyses sur la gouvernance et les risques géopolitiques.

Une guerre entre la Russie et l'Ukraine, personne n'y croyait réellement dans la finance. Les marchés s'étaient un temps inquiétés des joutes verbales entre les États-Unis et la Russie et des premières mesures diplomatiques en janvier et en février. Mais les craintes avaient été vite balayées par les promesses de dialogue.

"Comme à chaque crise, on réévalue ex post les dix dernières années et on se rend compte que les signaux avant-coureurs étaient là", constate auprès de l'AFP Marie-Aude Laguna, coresponsable du master gestion d'actifs de l'Université Paris-Dauphine, "mais cela ne signifie pas pour autant que la crise était facilement prévisible ou évitable".

Des fournisseurs de données spécialisés dans les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) "ont émis des avertissements sur la Russie depuis l'annexion de la Crimée et à nouveau dans les semaines qui ont précédé cette invasion", rappelle Nathan Fabian, directeur de l'investissement responsable des Principes de l'investissement responsable, un réseau d'investisseurs soutenu par l'ONU.

Malgré tout, les risques associés aux tensions géopolitiques sont impossibles à modéliser, selon les gérants. Sur le marché obligataire notamment, "le risque gouvernance n'était pas assez pris en compte", estime le responsable de la gestion obligataire de Candriam, Nicolas Forest, qui estime qu'il devrait désormais "devenir plus central" dans les préoccupations des gérants.

L'ESG aussi surpris

Les investisseurs qui ont prêté à l'État russe perdront-ils leur mise ? Le défaut de paiement de la Russie est désormais "quasi inévitable", juge Nicolas Forest, après la vague de sanctions imposées à Moscou par les pays occidentaux, qui visent notamment son système financier.

Interdite d'utiliser ses dollars détenus dans des banques américaines pour rembourser sa dette, la Russie n'a eu d'autre choix que de payer une échéance en roubles mercredi 6 avril. En conséquence, l'agence de notation S&P a déclaré le pays en défaut "sélectif" sur ses paiements en devises.

L'investissement durable présente également des lacunes: "Le risque politique et les conflits internationaux n'étaient pas systématiquement évalués comme des questions prioritaires dans une optique ESG", considère Nathan Fabian.

Selon l'évaluation d'OFI AM, "la Russie faisait partie des pays mauvais élèves sur la gouvernance mais son score ne permettait pas d'anticiper une quelconque invasion de l'Ukraine, identifier une crise de ce type est impossible", explique Luisa Florez, directrice des recherches en finance responsable de la société de gestion.

Inutile de chercher à l'aveugle

Cette situation politique pose problème aussi quand il s'agit d'investir dans les entreprises, lesquelles peuvent présenter "un manque de transparence ou une gouvernance conflictuelle", souligne auprès de l'AFP Léa Dunand-Chatellet, directrice du pôle investissement responsable chez DNCA Finance. En Russie, les accusations de corruption et de relations poreuses entre entreprises et le pouvoir sont récurrentes. D'où les sanctions imposées à de nombreux oligarques, qui visent à punir indirectement Vladimir Poutine.

Les gérants se retrouvent un peu démunis face au risque de scandale ou aux décisions d'entreprises de rester actives en Russie. "La démarche de suivi des controverses est très importante, mais chercher pour chercher" ne mènerait à rien, décrit Léa Dunand-Chatellet. Sans lanceur d'alerte, "les liens entre une entreprise ou un dirigeant et des activités potentiellement illicites sont en général compliquées à identifier", poursuit-elle.

"Les questions de conformité - corruption, fraude - sont extrêmement complexes car l'asymétrie informationnelle entre entreprises et investisseurs est très forte et ce sujet relève en partie de considérations culturelles et humaines", ajoute la maîtresse de conférence Marie-Aude Laguna. Et les problèmes peuvent venir de "mauvaises pratiques héritées", relève-t-elle.

Le débat enfle désormais sur la position à tenir concernant la Chine, certains gérants émettant l'hypothèse d'une escalade des tensions avec Taïwan, ce qui pourrait conduire à une situation semblable à celle en Russie, avec sanctions, retrait d'entreprises, arrêt de certains échanges commerciaux... et de nouveaux soubresauts en Bourse.

PS avec AFP