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Les jouets stars des années 90. "L'obsession c'était de trouver du carton": comment la folie des pogs a déferlé sur le monde

La société World Pog Federation existe toujours et veut relancer les pogs.

La société World Pog Federation existe toujours et veut relancer les pogs. - World Pog Federation

[Épisode 2/6] Nés à Hawaï dans les années 50, les pogs ont déferlé sur le monde au milieu des années 90 avant d'exploser en France en 1995. Immense phénomène de cours de récré, il s'en écoulera 10 milliards au global en quelques années. Retour sur l'histoire folle de ses rondelles en carton.

Chez Panini France, les plus anciens se rappellent peut-être de la saison 1995-1996. Cette année-là, les vignettes stars des cours de récré pendant des décennies ont subitement arrêté de se vendre. La faute à un scandale sanitaire lié aux autocollants? Pas du tout. Le responsable, c'est une rondelle de carton nommée Pog. Durant plusieurs mois, les enfants de moins de 12 ans n'ont eu d'yeux que pour elle, éclipsant toutes leurs autres marottes.

Pour les plus jeunes d'entre vous et les moins jeunes aussi, ces trois lettres ne vous parlent probablement pas. Mais pour ceux nés entre 1985 et 1990, la "Pogmania" n'a très probablement aucun secret pour vous.

Durant trois ans, la France et même le monde entier ont subi un raz de marée de jetons cartonnées.

"La mode, c'est le Pog. Si t'en as pas, t'es naze. Et si tu en as des faux, t'es plouc", expliquait en 1995 une jeune Marion de 7 ans à l'époque à une journaliste de Libération envoyée spéciale dans une cour de récré de Nogent-sur-Marne.

Des cours d'école aux marchands de journaux, des reportages aux articles de presse, des rayons de supermarché aux publicités à la télé, les pogs sont partout en ce milieu des années 1990. Et pas qu'en France. Les Etats-Unis ont succombé quelques mois plus tôt et le tsunami a déferlé de ce côté-ci de l'Atlantique et va engloutir toute l'Europe.

"Depuis un certain nombre d'années, il n'y avait plus grand-chose de nouveau dans les cours de récré: billes pour les garçons, élastique pour les filles, expliquait alors dans Le Monde Jean-Yves Le Bigot, le président de l'Institut de l'enfance qui évaluait à 10 milliards de francs environ (l'équivalent de 2,38 milliards d'euros actuels) le pouvoir d'achat direct des quelque 5,5 millions de 8-12 ans, soit quelque 428 euros par an et par enfant.

Si le pin's avait connu un large succès quelques années plus tôt, l'emballement autour du pog sera d'une autre ampleur.

Un jeu inventé par les enfants Hawaïens

Car le pog coche toutes les cases du succès de cours d'école. C'est d'abord un jeu d'adresse. On fait une pile de rondelles cartonnées et on jette un "kini" (jeton en plastique) par-dessus le tas. Tous les pogs qui se retournent sont remportés par le joueur. C'est ensuite un objet à collectionner. On veut avoir le plus de pogs possible, en dégotter des rares, on peut en échanger avec ses copains. Et enfin ce n'est pas cher. Comptez huit francs la pochette de cinq pogs et un kini. Même moins pour des "faux" pogs.

Mais qui a eu l'idée de génie de cette babiole infernale? Un fabricant de jouets qui a eu le nez creux? Un éditeur malin qui a réussi son coup? Pas du tout. Ce sont les enfants eux-mêmes qui ont créé les pogs. Et de manière fortuite.

Pour remonter aux sources du pog, direction l'île de Hawaï dans les années 1930.

"Les enfants dans ces années-là arrachaient une rondelle de carton qui était scellée sous la capsule de la bouteille de lait qu'on leur livrait le matin, explique Julien Savino, un Français, fils de l'homme qui a introduit les pog en France et actuellement propriétaire de la World POG Federation. Sur ces cartons, il y a avait le logo de la laiterie et avec la capsule, ils faisaient le "kini"."

Baptisé le "milk cap cover game", le jeu est pratiqué par tous les petits Hawaïens. Mais il ne sort pas de ses îlots du Pacifique et ne s'appelle nullement pog.

POG: passion, orange, goyave

Petit bon en avant de 20 ans. Nous sommes cette fois dans les années 50. Toujours à Hawaï. Une des laiteries de l'île, Haleakala, veut se diversifier et lance un jus de fruits. Elle propose un cocktail de passion, orange et goyave et se choisit pour nom les premières lettres des trois fruits: POG.

"Le directeur marketing de la laiterie se rappelle alors du jeu du "milk cap game" auquel il jouait enfant, raconte Julien Savino. Il a créé une petite mascotte "Pogman" qu'il a fait imprimer sur les capsules, un petit personnage qui fait du surf. On est alors au début du trading des cartes de baseball, la boisson fait un carton et le "milk cap game" est relancé et devient le "pog game"."

Les premiers pogs hawaïens dans les années 50.
Les premiers pogs hawaïens dans les années 50. © POG

Le pog game quitte cette fois son île natale et commence doucement à essaimer dans le sud des États-Unis, en Californie et en Arizona. Mais rien de fracassant.

Nouveau bond dans le temps. Nous sommes cette fois au début des années 90. Alan Rypinski, un homme d'affaires américain qui a fait fortune dans les produits d'entretien pour voiture avec sa marque Armor All, est en vacances à Hawaï. Ce collectionneur fanatique de cartes de baseball a vu quelques jours plus tôt un reportage de CNN sur une institutrice qui utilise ce pog game pour calmer les enfants en classe.

"C'était un dingo de trading cards et il fait immédiatement le rapprochement entre le jeu et l'idée de le marketer et de le vendre dans des pochettes aveugles, raconte Julien Savino. Il rachète la licence pog à la laiterie, crée la société World Pog Federation en 1993 et commence à distribuer gratuitement des pogs à la sortie de Disneyland en Californie. Et là ça devient la folie."

1 milliard de pogs en France

En France, deux hommes d'affaires, Alain Pinto et Alain Savino, qui ont réussi un joli coup quelques années plus tôt en important les albums des Crados dans l'Hexagone, reçoivent un coup de fil d'un ami californien. Il leur parle de la déferlante pog et Pinto prend un avion pour Los Angeles pour jauger le phénomène. Il en revient subjugué.

Les négociations pour obtenir la licence pour la France, l'Italie et l'Espagne seront très difficiles. Les royalties réclamées par la société américaine sont bien plus élevées qu'à l'accoutumée. Mais après deux mois d'âpres négociations, l'accord est conclu. La société Avimage qui avait lancé les Crados en France est réactivée et les deux entrepreneurs s'associent à un troisième, Richard Roizen, le roi des masques et des déguisements en France.

C'est un sprint qui est alors lancé. Il faut trouver des industriels en France et en Italie, acheter de la matière première, trouver les moules et les presses nécessaires à la fabrication des pogs et des kinis, mettre au point un process de collage et de séchage (il dure jusqu'à 48 heures) afin que les rondelles soit suffisamment résistantes.

"Dans ces années-là, leur obsession, c'était de trouver suffisamment de carton, se souvient Julien Savino. On a tout de même dessiné 10.000 pogs différents et vendu 200 millions de pochettes en France, soit environ 1 milliard de rondelles cartonnées."

Les Français veulent tester le pog in situ avant de le lancer. Ils ciblent sept écoles à Paris et en proche banlieue pour faire des distributions. Les enfants sont enthousiastes.

Des collèges interdisent les pogs

En mai 1995, c'est le grand lancement. De nouvelles distributions ont lieu devant les écoles et une campagne de pub télé tourne durant 15 jours en boucle avec la nouvelle mascotte Pogman remise au goût du jour.

Les 20.000 kiosques à journaux qui reçoivent leurs premières pochettes sont dévalisés. La production de 400.000 pochettes par jour passe rapidement à 600.000 pour pouvoir livrer les supermarchés et les boulangeries qui ne veulent pas se priver du trafic que génèrent les rondelles. Les marques ne sont pas en reste. Comme pour les pin's quelques années plus tôt, elles veulent apparaître sur les pogs. Chupa Chups, Chocapic, Naf Naf, Esso, McDonald's ou encore Lu et Maped transforment le jeu en support de pub.

Dans les écoles, le pog est regardé avec bienveillance par les adultes. Dans les collèges, c'est un peu plus difficile. Certains d'ailleurs comme dans le Haut-Rhin finissent par interdire les pogs en 6ème et 5ème. Le jeu provoque bagarres, contestations des règles et vols.

D'autres marques s'engouffrent dans la brèche. Les wackers, les caps, les claps, les vlans ou encore les taps inondent le marché. Pour dissuader les enfants d'acheter ces imitations, la marque conclut toutes ces publicités par un "Attention aux faux!". Peine perdue, les rondelles (vraies ou fausses) sont partout. Et finiront par n'être plus nulle part. À la rentrée 1998, plus personne n'apporte ses pogs en classe. En quatre années, le monde aura produit 10 milliards de pogs.

"Il y a eu saturation et l'objet a totalement disparu, presque du jour au lendemain", rappelle Julien Savino.

Les phénomènes de cours de récré ne durent jamais très longtemps. Et lorsque les élèves de primaire passent au collège, ils passent à autre chose.

"Quand tout le monde en a, plus personne n'en veut"

"Ça a grosso modo duré trois ans, ce qui est beaucoup pour ce type de phénomène, analyse Franck Mathais, le porte-parole de JouéClub. Le hand spinner ça a duré trois mois par exemple. C'est toujours le même problème avec ces phénomènes. C'est très intense, le marché est rapidement saturé et ça s'arrête du jour au lendemain. Les gosses sont impitoyables. Quand tout le monde en a, plus personne n'en veut."

Fin de l'histoire? Pas tout à fait. En 2019, Julien Savino rachète la société américaine Pog Unlimited qui passait de mains en mains depuis la fin de la Pogmania. Il veut relancer les pogs mais d'abord sur les écrans et le digital avant de remettre les rondelles dans les mains des enfants.

Manque de chance, le lancement est prévu début 2021... entre deux confinements. Si la première série lancée en janvier est vite écoulée, les autres seront abandonnées. Pas d'école, pas de jeu dans la cour, pas d'objet qu'on échange... Le pog n'est pas vraiment l'ami des pandémies mondiales.

Un long métrage en préparation

Mais la société ne lâche pas l'affaire. Elle joue la carte de la nostalgie et de la rareté avec des pogs digitaux certifiés par des NFT, lance des modèles collectors et des kinis dorés à l'or fin. Les collectionneurs nostalgiques sont ravis.

Mais les enfants dans tout ça? Le pog peut-il redevenir un phénomène ou l'histoire ne repasse pas les plats ?

"Il faudrait alors du contenu, estime Franck Mathais. Dans les années 90, ils avaient une mascotte, mais il n'y avait pas de digital, pas de dessin-animé, ce qui aurait été trop long à faire."

Pour revenir et durer, les pogs doivent suivre l'exemple des increvables Pokemon ou de Beyblade. Décliner la marque sur plusieurs supports.

C'est ce que prépare actuellement Pog Unlimited. Dans le sillage des immenses succès des films Super Mario et Barbie au cinéma, un projet de long métrage est en discussion avec un "grand studio hollywoodien". Pas de date de sortie, mais la société Pog en fait un préalable à une relance du jeu.

"On veut faire quelque chose de massif, confie Julien Savino. Le personnage de Pogman n'avait pas été assez développé, aujourd'hui c'est une icône très années 90 qui pourrait jouer la carte vintage. On relancera les pogs quand on aura le dessin animé."

Panini cette fois est prévenu...

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco