"Non à l'argent qui gouverne au lieu de servir": le pape François était-il de gauche économiquement?

Dans la bibliothèque du pape François, il n'y avait pas que des textes religieux. Dans un livre d'entretiens publié en 2017, le souverain pontife confiait l'influence qu'une femme communiste, Esther Balestrino de Careaga, avait eu sur lui.
"Elle m’a donné des livres, tous communistes, mais elle m’a enseigné à penser la politique", racontait-il dans ces entretiens cités dans le journal l'Humanité.
Est-ce à dire que le pape François, décédé ce lundi 21 avril, était lui-même socialiste? Beaucoup lui ont reproché, l'accusant tour à tour d'être un marxiste, un disciple de Lénine voire plus récemment un "mélenchoniste" selon les propres mots du leader français de LFI. Sans tomber dans la caricature, on peut classer ses discours et ses prises de positions à gauche sur le plan économique.
"Écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres"
Et le pape ne s'en cachait pas. Ses positions politico-économiques sont publiquement affichées dans deux textes explicites: l'exhortation apostolique Evangeliigaudium et l'encyclique sociale Laudato si'. Dans le premier, il expose clairement sa pensée sociale en dénonçant "une économie de l'exclusion", "la nouvelle idolâtrie de l'argent", ou "la disparité sociale qui engendre la violence". "Non à l'argent qui gouverne au lieu de servir", écrit-il également.
"Nous ne pouvons plus avoir confiance dans les forces aveugles et dans la main invisible du marché."
Dans l'encyclique Laudato si', le pape François met en parallèle la crise environnementale et la crise sociale qui selon lui ne peuvent être étudiées indépendamment. Il estime que "l’environnement humain et l’environnement naturel se dégradent ensemble".
"Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu’une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres", propose le pape. Un discours qui fait également écho à son indéfectible défense des migrants et des plus pauvres, qu'il a placé au centre de son pontificat.
Un pape sous l'influence de Marx ou de Polanyi?
Le pape François, de nationalité argentine, a souvent été accusé d'être un partisan de la théologie de la libération. Née en Amérique du Sud, elle propose les plus pauvres au coeur de sa réflexion. Elle a été critiquée "en raison de certains postulats marxistes et de l'appel à s’engager dans une lutte proprement politique", selon le magazine le Pèlerin
Mais François "n’en a jamais épousé les thèses extrêmes. Il a en revanche été façonné par une ramification argentine de cette théologie: la théologie du peuple" toujours d'après le Pèlerin.
Dans un article publié dans le magazine the Atlantic, la journaliste Heather Horn dresse quant à elle un parallèle entre la doctrine du pape et celle de l'économiste Karl Polanyi (et non celle de Karl Marx).
Selon elle, Polanyi dans La Grande transformation propose une distinction entre une "économie encastrée dans les relations sociales" et "des relations sociales encastrées dans le système économique". Elle résume ainsi sa pensée: "L'économie doit servir la société et non l'inverse."
Selon la journaliste, le pape s'inscrit dans cette ligne: "Dans son exhortation, le pape François n'appelle pas à une refonte complète de l'économie. Il ne parle pas de révolution (...). Au lieu de cela, François dénonce, spécifiquement, la domination totale du marché sur les êtres humains - non pas son existence, mais sa domination."
Pour autant, le pape François n'était pas l'ennemi des "marchands du temple". L'ex-patron du Medef Geoffroy Roux de Bézieux avait voulu l'inviter en 2023 à l'université d'été du mouvement des patrons français. Le souverain pontife n'avait pas pu s'y rendre mais avait écrit une lettre "aux entrepreneurs de France" dans laquelle il vantait la création de valeurs.
"Quand je pense aux chefs d’entreprise, le premier mot qui me vient à l’esprit c’est bien commun [...] vous êtes un moteur essentiel de la richesse, de la prospérité et du bonheur public", avait dévoilé Geoffroy Roux de Bézieux qui concluait que "le Medef n’aurait pas dit mieux".
Au Vatican, François baisse les salaires... des plus riches
Voilà pour la pensée du pape, mais quand est-il des actes? Une de ses décisions nous éclaire sur sa politique économique et sa gestion des coûts au Saint-Siège. En 2021, les comptes du Vatican ne sont pas bons. Le souverain pontife décide alors de baisser les salaires.
Mais seuls les salaires les plus élevés sont concernés: les cardinaux, payés entre 4.000 et 5.000 euros voient ainsi leur pension diminuer de 10%, la rémunération des autres salariés de la Curie baissent de 8% et celle des religieux et prêtres en service au Saint-Siège est réduite de 3%.
Le pape François avait alors jugé ces "critères de proportionnalité et de progressivité" nécessaires. Il avait également appelé chacun à réduire son train de vie et à éviter les voyages non-essentiels et les achats inutiles.
En 2024, toujours afin de réduire le déficit, le pape François avait annoncé une nouvelle réduction des dépenses de frais de secrétariat de 18 cardinaux, soit une réduction de 10% environ par rapport à leur rémunération, actuelle.
Des décisions qui dépeignent un pape attaché à l'équilibre des comptes du Vatican mais aussi à faire supporter les efforts budgétaires par les mieux rémunérés du Saint-Siège.