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Miraculé du 11-Septembre, démocrate devenu fan de Trump… Qui est Howard Lutnick, le cerveau des droits de douane américains?

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Si Donald Trump se gargarise du succès des droits de douane qu'il impose au monde entier, un autre homme se cache derrière ce bouleversement du commerce mondial: Howard Lutnick, un banquier d'affaires qui a échappé aux attentats du World Trade Center.

Le 2 avril 2025, Donald Trump est aux anges. C'est enfin le "jour de la libération" pour lui. Dans les jardins de la Maison Blanche, il présente sur un grand tableau la liste des pays qui subiront ses droits de douane avec les taux prévus, devenus depuis l'alpha et l'omega de l'actualité économique.

À ses côtés, pour détailler ledit tableau, un autre homme rayonne tout autant. Barbe grisonnante, sourire carnassier et cheveux fuyant une calvitie bien avancée gominés vers la nuque, le secrétaire au Commerce Howard Lutnick présente son plan à la presse.

Le président américain Donald Trump prononce un discours sur les droits de douane réciproques tandis que le secrétaire américain au Commerce Howard Lutnick tient un graphique lors d'un événement intitulé « Make America Wealthy Again » (Rendre à l'Amérique sa richesse) organisé dans la Roseraie de la Maison Blanche à Washington, DC, le 2 avril 2025.
Le président américain Donald Trump prononce un discours sur les droits de douane réciproques tandis que le secrétaire américain au Commerce Howard Lutnick tient un graphique lors d'un événement intitulé « Make America Wealthy Again » (Rendre à l'Amérique sa richesse) organisé dans la Roseraie de la Maison Blanche à Washington, DC, le 2 avril 2025. © Brendan SMIALOWSKI / AFP

Il veut tout simplement "reéquilibrer la façon dont le monde fonctionne" et laisser les pays étrangers payer l'immense dette américaine via les surtaxes douanières que les États-Unis vont imposer à des dizaines de pays. Un choc pour le monde entier, d'autant plus depuis leur entrée en vigueur le 7 août, qui fait le bonheur d'Howard Lutnick.

Rescapé des attentats du 11-Septembre

Pourtant, l'homme aurait pu ne jamais vivre ce moment de gloire. Car sa vie aurait dû s'arrêter, comme celle de près de 3.000 autres personnes, le 11 septembre 2001. Ce jour-là, au lieu de filer directement au travail comme il le fait habituellement, Howard Lutnick emmène son fils aîné à l’école pour la rentrée. À 8h46, alors qu’il vient de déposer son enfant, le premier avion détourné percute la tour nord du World Trade Center.

Les bureaux de la banque d'investissement Cantor Fitzgerald, que dirige Howard Lutnick, se trouvent entre le 101e et le 105e étage, deux niveaux au-dessus de l’impact. En tant que patron, il perd 658 employés, les deux tiers de ses effectifs. En tant qu'homme, il perd son frère et son meilleur ami, tous deux employés de la banque. L’entreprise, qui se revendiquait familiale, comptait par ailleurs 29 paires de frères et sœurs.

Très vite, l’homme d’affaires enchaîne les interviews, en larmes, afin de témoigner de la tragédie qu’il vient de vivre mais aussi pour rassurer les familles des victimes : il va créer un fonds pour les soutenir financièrement. Il devient ainsi un visage familier des survivants du 11-Septembre.

"Le type le plus détesté de Wall Street"

Mais quatre jours seulement après le drame, les proches des victimes reçoivent le dernier bulletin de salaire des employés décédés. Une décision qui ne passe pas inaperçue et Howard Lutnick est rapidement accusé d’avoir joué la comédie lors de ses passages à la télé. Ses anciens collègues sortent du bois et affirment alors que le Howard Lutnick qu’ils connaissent est bel et bien impitoyable et prêt à tout pour gagner de l'argent. D'aucuns le décrivent même comme "le type le plus détesté de Wall Street".

Une âme de requin de la finance qui habitait Howard Lutnick dès son enfance. À l'époque, il achetait des paquets neufs de cartes de baseball, les mélangeait avec des anciennes, puis revendait les paquets reconstitués. Ses jeunes clients s’amusaient de la surprise, lui de pouvoir vendre ces decks trois fois plus chers que les neufs.

Un coup de maître financier après les attentats

Après les attentats, Lutnick s’est rapidement rendu compte que Cantor Fitzgerald ferait faillite s’il devait encore payer les salaires de ses employés décédés… Mais plutôt que de mettre la clé sous la porte, il décide de relancer la banque, avec le peu de salariés qui ont survécu. En prenant le pari d’y arriver, il promet que 25% des futurs profits de la banque seront reversés aux familles des victimes.

Mais comment pouvait-il être aussi sûr de lui après avoir quasiment tout perdu ? Parce que Cantor Fitzgerald est spécialisée dans le courtage de bons du Trésor, c’est-à-dire qu’elle achète et revend de la dette américaine pour le compte de ses clients.

Si vous achetez de la dette, le gouvernement américain vous promet de vous rembourser avec des intérêts. Un investissement jugé particulièrement fiable, accessible à tous mais avec l’obligation de passer par un courtier. À cette époque, Cantor Fitzgerald était d’ailleurs en plein développement d’une plateforme internet pour y échanger plus facilement les bons du Trésor : eSpeed.

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Après les attentats du 11-Septembre, la Bourse américaine a connu une de ses plus longues fermetures. Wall Street a rouvert seulement le 17 septembre. Howard Lutnick savait que cette réouverture serait un bon moyen de se relancer : après une catastrophe, le marché va miser sur des valeurs sûres… comme les bons du Trésor. Et les clients vont devoir passer par eSpeed.

Le businessman a visé juste : Cantor Fritzgerald s’est relevée, il a finalement pu verser 180 millions de dollars aux familles des victimes mais aussi pu payer leur assurance santé pendant 10 ans. Howard Lutnick redevient un héros de la nation.

Il a financé Hillary Clinton avant de se tourner vers Trump

L'homme d'affaires continue à ce jour à œuvrer pour des associations d’aides aux victimes d’attentats et de catastrophes naturelles. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on l'aperçoit pour la première fois, en 2008, aux côtés de Donald Trump. Il apparaît dans "The Apprentice", l'émission du milliardaire, lors d’une vente aux enchères caritative.

Pourtant, c’est aux démocrates qu'Howard Lutnick consacre sa fortune en 2016, pour les campagnes d’Hillary Clinton et de la future sénatrice Kamala Harris. Finalement, il s’est tourné vers Donald Trump et a organisé plusieurs collectes de fonds pour la campagne du président américain, en 2024.

Ce dernier lui a alors proposé un rôle dans son administration : secrétaire au Commerce. Au cœur de la planification du nouvel ordre mondial imposé par les États-Unis, Lutnick pense pouvoir rapporter 50 milliards de dollars par mois aux finances publiques américaines via les droits de douane.

Un secrétaire au Commerce en plein conflit d'intérêts?

Si les droits de douane s'annoncent lucratifs pour les États-Unis, il pourraient l'être un peu moins pour… Howard Lutnick. En effet, peu après les annonces de différents tarifs douaniers, les bons du Trésor américains ont chuté. Les investisseurs ont rapidement choisi de miser sur les investissements étrangers. Pas une bonne nouvelle pour Cantor Fitzgerald donc. Car oui - et ça peut paraître fou vu de France, malgré son rôle de secrétaire au Commerce, il est toujours patron de la banque d'investissement.

Mais là encore, Howard Lutnick avait tout prévu. En 2018, sur Fox Business, il expliquait déjà que la volatilité était une bonne chose pour ses affaires, dans une formule qui semble résumer à elle seule la stratégie politique de Donald Trump.

"On ne perd pas d’argent quand le marché chute, on n’en gagne pas quand il monte. Mais nous gagnons quand il y a du monde. Quand les médias font leur gros titres dessus, c’est vraiment très bon pour la banque, elle adore ça."

Si la fortune d'Howard Lutnick, estimée par Forbes à 3,5 milliards de dollars, semble donc épargnée par la politique qu'il met en place, il n'en est pas moins menacé car ce nouveau rôle qui soulève des questions de conflits d'intérêts. D'autant plus que Cantor Fitzgerald entretient toujours des relations avec des agences et départements fédéraux.

Enora Le Louarn