BFM Business
International

"Immense loser", "tellement d'incertitudes": comment la tension est montée entre Trump et Powell

placeholder video
Depuis quelques mois, le président américain urge le patron de la Réserve fédérale de baisser les taux d'intérêt américains afin d'atténuer les effets des droits de douane qu'il instaure.

Les esprits semblaient s'être calmés lors du week-end de Pâques. Il n'en est rien et la tension est de nouveau monté entre Donald Trump et Jerome Powell à l'occasion de la dernière réunion monétaire de la Fed cette semaine. A cette occasion, la Réserve fédérale a décidé à l'unanimité de prolonger le statu quo sur ses taux, se disant dans l'incapacité de prévoir où va l'économie américaine, face aux droits de douane imposés par le président américain.

Il y a "tellement d'incertitudes" autour des répercussions de ces nouvelles taxes sur les importations que la Fed préfère ne pas bouger ses taux pour l'instant, a déclaré son président Jerome Powell en conférence de presse mercredi. Des mots qui ont ravivé la colère du locataire de la Maison Blanche lequel a qualifié le patron de la Fed d'"imbécile" sur son réseau Truth Social.

"C'est comme parler à un mur, a-t-il encore dit lors d'une conférence de presse dans le Bureau ovale [...] Il est toujours en retard, mais ça n'aura pas vraiment d'importance parce que notre pays est si fort."

Quelques heures avant, Jerome Powell avait assuré en conférence de presse que les critiques répétées du président américain "n'affectaient pas du tout notre travail". Car cela fait en réalité plusieurs mois que Donald Trump s'en prend publiquement au président de la Fed. Une tension qui remonte avec la Banque centrale qui remonte même au premier mandat du président américain.

Des antécédents dès le premier mandat de Trump

Au cours de son premier mandat déjà, Donald Trump avait en effet exprimé à plusieurs reprises son désaccord avec les décisions de la Fed en matière de taux d'intérêt, demandant instamment qu'ils soient abaissés pour relancer l'économie. Le président américain avait nommé Jerome Powell à la tête de la Fed lors de son premier mandat, en 2018, mais l'accuse aujourd'hui de politiser la banque centrale américaine. Celui-ci a été reconduit à la tête de la Fed en 2021 par Joe Biden pour un second mandat. Le retour de Donald Trump sur le devant de la scène politique a fait rejaillir les critiques exprimées plus de cinq ans auparavant.

En août dernier, en pleine campagne électorale, Donald Trump menaçait déjà l'indépendance de l'agence, suggérant que la Maison Blanche pourrait avoir son mot à dire concernant la politique monétaire. Une fois élu, le président américain n'a pas tardé pas à tenter d'orienter la politique monétaire du pays. Seulement trois semaines après son investiture, il estimait que les taux d'intérêt de la Fed devraient baisser rapidement afin d'accompagner les droits de douane qu'il veut imposer sur les produits entrant aux Etats-Unis.

"Les taux doivent baisser, c'est quelque chose qui doit se faire main dans la main avec les droits de douane à venir!", postait-il sur son réseau Truth Social le 12 février.

La veille, le président de l'institution monétaire Jerome Powell indiquait à l'occasion de son audition semestrielle devant les sénateurs américains qu'il ne voyait "pas d'urgence" à baisser les taux directeurs dans la mesure où la plupart des indicateurs étaient au vert. Chacun des deux campait déjà sur des positions diamétralement opposées.

Une pression accrue après le "Liberation day"

A mesure que se multiplient les annonces de Donald Trump au sujet des droits de douane, Jerome Powell faisait lui part d'un "haut niveau d'incertitudes" auxquelles est confrontée la Fed qui peut "attendre plus de clarté" sur les réformes engagées par le nouveau gouvernement avant de bouger ses taux. Mais le président américain maintient sa pression sur l'institution monétaire à laquelle il s'adresse en ces termes le 19 mars, toujours sur son réseau Truth Social: "faites ce qu'il faut".

"La Fed ferait ferait BEAUCOUP mieux de REDUIRE SES TAUX alors que les droits de douane américains commencent à se frayer (faciliter!) un chemin dans l'économie", ajoute-t-il.

Deux semaines plus tard, Donald Trump présentait la liste des droits de douane "réciproques" qu'il entend appliquer aux partenaires commerciaux des Etats-Unis. Le surlendemain, il pressait de nouveau Jerome Powell de réduire les taux d'intérêts de la Fed, estimant qu'il y a déjà eu des progrès significatifs sur l'inflation depuis son retour au pouvoir en janvier.

"Ce serait le moment PARFAIT pour que le président de la Fed Jerome Powell baisse les taux d'intérêt", écrivait-il sur sa plateforme Truth Social. Il agit toujours avec du retard mais il pourrait maintenant changer son image, et vite, a-t-il ajouté. Les prix de l'énergie ont baissé, (...) même les oeufs ont baissé." Cette petite musique d'une Fed qui agit à contre-temps, en retard, va devenir l'un des leitmotivs du president américain.

"Baisse les taux d'intérêt, Jerome, et arrête de faire de la politique!", concluait-il en lettres majuscules.

Mais dans le même temps, le président de la Fed prévanait que les droits de douane risquaient de se traduire par moins de croissance, plus d'inflation et plus de chômage aux Etats-Unis. "Il devient clair que les taxes sur les produits importés seront significativement plus étendues qu'anticipé", déclarait-il lors d'un discours le 4 avril. Les "conséquences économiques" vont "probablement l'être aussi" (plus étendues qu'anticipé), ajoute-t-il.

Les marchés et vous : Warren Buffet s'en va, Jerome Powell arrive - 05/05
Les marchés et vous : Warren Buffet s'en va, Jerome Powell arrive - 05/05
6:46

Menace d'éviction

Dans les jours qui ont suivi, la guerre commerciale s'est en effet amplifié, notamment en raison de la riposte chinoise qui s'organise. De quoi placer la Fed face à une situation "compliquée dans laquelle nos deux objectifs sont en tension" selon Jerome Powell qui évoque alors la possibilité d'"effets inflationnistes persistants". Cette fois, Donald Trump franchit un cap dans sa réponse au patron de l'institution monétaire qu'il juge "trop lent" à baisser les taux.

"Il est plus que temps que le mandat de Powell (à la tête de la Fed, NDLR) se termine", écrit-il sur Truth Social, alors que le second mandat de Jerome Powell doit s'achever en mai 2026.

Ce dernier aurait "dû baisser les taux d'intérêt depuis longtemps déjà, comme la BCE", ajoute le président américain, encourageant Jerome Powell à "le faire maintenant". Quelques heures plus tard, Donald Trump s'en prend de nouveau pris au président de la banque centrale américaine depuis le Bureau ovale, affirmant: "Je ne suis pas content de lui. Je lui ai fait savoir et si je veux qu'il parte, il partira vite fait, croyez-moi." Le directeur du Conseil économique national Kevin Hassett confirme même que le président et son équipe se penchent sur la question.

Powell écarte tout départ anticipé

Cependant, le président américain n'a en fait pas le pouvoir de limoger directement les patrons de la Fed. Pour tenter de destituer Jerome Powell, Donald Trump devrait entamer une longue procédure et prouver que ce dernier a commis une faute grave. S'il n'est pas rare que présidents américains et patrons de la Fed s'opposent sur la politique monétaire à suivre, toute tentative de démettre Jerome Powell de ses fonctions serait du jamais-vu dans l'histoire américaine contemporaine. L'intéressé a déclaré début avril avoir l'intention de "rester en poste jusqu'à la fin de (son) mandat" en 2026 puis rappelé quelques jours après que l'indépendance de l'institution était "garantie par la loi".

Le 22 avril dernier, Donald Trump rétropédale et assure qu'il "n'a pas l'intention" de renvoyer le patron de la Fed, semblant témoigner d'une volonté d'apaisement après que ses virulentes critiques contre Jerome Powell ont fait tanguer les marchés financiers. "J'aimerais le voir un peu plus actif" dans la baisse des taux, répète toutefois le président.

"S'il ne le fait pas, est-ce que c'est la fin? Non", estimait alors Donald Trump alors qu'il traitait encore la veille le banquier central d'"immense loser".
Timothée Talbi avec AFP