La concurrence a fait exploser de 30% la fréquentation des trains en Espagne mais le pays s'inquiète que les prix soient... trop bas

Un train Ouigo sur la ligne Madrid-Barcelone - SNCF
L'ouverture à la concurrence dans les trains à grande vitesse en Espagne est un incontestable succès. Avant l'arrivée de nouveaux opérateurs, le train était un mode de transport cher, réservé à une clientèle d'affaires et la voiture régnait en maître.
Depuis que la Renfe (la SNCF espagnole) doit composer avec des concurrents, les prix ont fondu et le trafic a bondi.
Selon le dernier rapport de l'Autorité française de régulation des Transports (ART), la fréquentation des trains chez nos voisins a flambé de plus de 30% en 2023 sur un an et de 18% sur 2019-2023, renforçant la part modale du train face à l'automobile (+5 points en quatre ans) tandis que le nombre de places offertes a explosé de 202% entre 2019 et 2024.
"Cette hausse suit le développement fort de l’offre ferroviaire domestique sur un marché désormais concurrentiel, et a conduit à un niveau de fréquentation 2023 en Espagne supérieur de 18 % au niveau établi en 2019", peut-on lire.
600 millions de pertes cumulées pour les nouveaux entrants
Mais cette hausse a son revers. Pour capter rapidement des parts de marché, les nouveaux entrants se sont engagés dans une violente guerre des prix. Toujours selon l'ART, ces baisses "représentant jusqu’à -40 % sur les lignes concurrencées par les 3 opérateurs".
Pour le gouvernement espagnol, ces prix sont mêmes trop bas pour assurer la viabilité du système. Et le fait savoir une nouvelle fois.
Le secrétaire d'Etat aux Transports a ainsi exhorter les opérateurs en place (Renfe, Renfe-Avlo, Iryo et Ouigo-SNCF) à revoir leur stratégie tarifaire mettant en avant 600 millions de pertes cumulées depuis 2021, peut-on lire dans El Mundo.
Le gouvernement estime que ce modèle de prix très bas ne permet pas d'atteindre la rentabilité ce qui menace le système tout entier en général (et la Renfe en particulier). Dans son collimateur, il attaque à nouveau Ouigo Espagne et son modèle low costqui selon lui fait du "dumping" avec une stratégie à perte, et entraîne le marché vers le bas.
Il a donc décidé de reporter à septembre le lancement de la seconde vague de libéralisation du marché qui doit concerner les lignes Madrid-Galice, Madrid-Asturies/Cantarbrie et Madrid-Cadix/Huelva.
Contactée, SNCF Voyageurs ne souhaite pas commenter ces accusations.
Les prix des low cost repartent à la hausse
Ces accusations ne sont pas nouvelles mais elles doivent être nuancées. Attaquer un marché en partant de zéro entraîne mécaniquement de lourdes pertes lors des premières années d'exploitation, compte tenu des investissements à réaliser et des frais comme les péages, cela s'observe d'ailleurs en France avec Trenitalia qui est depuis son arrivée dans le rouge.
Si Ouigo Espagne est dans le rouge depuis son lancement en 2021, la SNCF assure que sa filiale atteindra l'équilibre cette année, voire générer quelques millions d'euros de bénéfices (avec un an de retard sur le plan) à la faveur du lancement des liaisons avec l'Andalousie, initialement prévu en octobre 2024 mais lancées début 2025.
Sur la question des prix, la fonte a été en effet sévère si on les compare à la situation antérieure à la libéralisation. Mais ils sont tendance à se stabiliser voire même à augmenter, notamment du côté de Ouigo...
Protéger la part de marché de la Renfe qui a fondu de 19 points en 4 ans
Selon un document interne que nous nous sommes procurés, sur la très fréquentée ligne Madrid-Barcelone, entre le premier et le troisième trimestre 2024, les tarifs moyens de Ouigo Espagne sont passés de 34,63 euros à 43,16 euros. Chez Avlo, la marque low cost de la Renfe, on est passé de 39,23 euros à 45,31 euros.
La tendance est la même pour Madrid-Valence avec un prix moyen qui est passé de 20,58 euros à 26,16 euros chez Ouigo et de 20,48 à 24,14 euros chez Avlo. Et pour Madrid-Alicante (23,20 euros à 31,46).
La question est de savoir si les attaques du gouvernement espagnol n'ont pas pour objectif de mieux protéger les positions de l'opérateur national Renfe, qui est le plus cher, mais qui a vu sa part de marché s'effriter passant de 77% en 2021 à 58% en 2023...