SNCF: en Espagne, les TGV Ouigo continuent de perdre massivement de l'argent

Un train Ouigo sur la ligne Madrid-Barcelone - SNCF
L'offensive de la SNCF en Espagne avec Ouigo est un vrai succès commercial. En quatre ans, les TGV de la compagnie ont réussi à faire grossir le marché du ferroviaire dans le pays et capter 20% de ce marché grâce à une politique tarifaire très agressive.
Cette politique fait d'ailleurs grincer les dents du ministre espagnol des Transports qui parle de de pratiques "déloyales". "Ce n’est pas raisonnable, la concurrence doit être loyale et ne pas entrer dans des pratiques qui conduisent à l’extermination de l’adversaire", expliquait le ministre dans El Mundo, accusant donc à demi-mot Ouigo de faire du dumping.
Et cette politique a un coût pour le groupe SNCF: depuis son lancement en Espagne, les pertes s'accumulent. Évidemment, lancer une offre en partant de zéro coûte très cher en investissements.
45 millions d'euros de pertes en 2024
Depuis toujours, le groupe souligne que la trajectoire financière de Ouigo en Espagne est celle qui était prévue et que l'objectif d'équilibre financier est de 4 ans minimum. Car outre les dépenses, l'opérateur n'entend pas changer de stratégie.
"Notre politique tarifaire fonctionne et est un élément structurant de notre offre. Elle ne changera pas", disait Hélène Valenzuela, directrice générale de Ouigo Espagne.
Pour autant, l'objectif d'équilibre à quatre ans est raté. Selon un document budgétaire interne que BFM Business s'est procuré, Ouigo Espagne a essuyé 45 millions d'euros de pertes en 2024, après 37 millions en 2023 et 36 millions en 2022. Depuis son lancement en 2021, Ouigo Espagne cumule 150 millions d'euros de pertes environ.
Surtout, et c'est une surprise, le chiffre d'affaires a baissé, passant de 128 millions d'euros en 2023 à 127 millions l'an passé (contre 107 millions en 2022).
Objectif équilibre en 2025
Le groupe prévoyait à l'origine d'être rentable dès 2024. Mais le retard pris sur le lancement des liaisons avec l'Andalousie, initialement prévu en octobre 2024 mais lancées début 2025, et les intempéries meurtrières de Valence fin 2024, qui ont interrompu les liaisons avec cette région durant trois semaines, l'ont obligé à revoir ses plans.
Selon nos informations, le point d'équilibre est visé cette année, notamment grâce aux deux nouvelles liaisons entre Madrid et l'Andalousie. Toujours selon le document interne de la SNCF, le groupe vise pas moins de 285 millions d'euros de revenus cette année pour Ouigo Espagne (soit un doublement annuel) et un résultat positif de 5 millions d'euros.
Interrogée, SNCF Voyageurs reconnaît "un retard sur la trajectoire lié à nos difficultés à lancer la phase 2 (les nouvelles liaisons, NDLR) mais l'équilibre en fin d'année est atteignable, c'est notre objectif".
Une alliance plutôt qu'une concurrence?
Ces chiffres inquiètent les syndicats, notamment Sud-Rail. "On va chercher de l'argent à l'extérieur mais ça ne marche pas sauf pour le consommateur espagnol. Le groupe français paye pour le consommateur espagnol mais dans quel cas cette guerre commerciale est-elle viable économiquement?", s'interroge un porte-parole joint par BFM Business.
Pour lui, "ces TGV pourraient rouler en France et gagner de l'argent".
Et de préconiser "une alliance avec la Renfe" plutôt qu'une concurrence frontale, "à l'image de ce qui se fait en Allemagne avec la DB et en Suisse, dans un contexte économique qui fonctionne".
Reste que le développement européen est primordial pour SNCF Voyageurs qui voit ses positions françaises attaquées par la concurrence. Le groupe entend en moins de 10 ans doubler le nombre de ses passagers en Europe, notamment grâce à l'Espagne et l'Italie.
Dans le document interne, la compagnie justifie cette stratégie en soulignant "un potentiel de croissance limité en France pour le TGV (Inoui et Ouigo) avec un taux d’occupation des lignes déjà élevé, des travaux et un environnement de plus en plus concurrentiel. La progression du trafic devrait être tirée par le dynamisme commercial et le déploiement de nouvelles offres".