"Ça va être le chaos": Transdev sous pression à quelques mois du lancement de son TER Marseille-Nice

Les nouveaux trains TER qui circuleront entre Marseille et Nice en 2025 - Alstom/Samuel Dote
C'est un lancement qui va être observé de très près. Pour la première fois, un concurrent de SNCF Voyageurs va faire circuler en juin prochain des trains en région, en l'occurrence Transdev sur la ligne TER entre Marseille et Nice.
Il s'agit de la ligne régionale qui connaît le plus de difficultés en France avec un taux de ponctualité de 84,7%, le plus faible de tous les réseaux TER. À travers le processus d'ouverture à la concurrence du ferroviaire en France, c'est donc Transdev qui a été choisi par la Région Sud pour remplacer la SNCF.
Pour le secteur, c'est un cas d'école qui va servir de base de comparaison pour les autres régions où les appels d'offre sont en cours. Mais à quelques mois du lancement officiel, rien ne se passe vraiment comme prévu.
Seule la moitié des rames disponibles au lancement
Les problèmes que BFM Business évoquait déjà en novembre dernier sont loin d'être réglés.
"Ils vont se planter, ils n'ont pas de matériel, pas de conducteurs", nous glisse une source syndicale.
Il y a d'abord les trains. Transdev a promis de doubler le nombre d'allers-retours quotidiens sur la ligne avec un taux de régularité de 97%, notamment grâce à 16 rames neuves Omneo Premium, commandées à Alstom pour 250 millions d'euros. Rames qui devaient être toutes opérationnelles dès le début du contrat, les trains actuels, trop anciens, n'étant pas transférés au nouvel opérateur.
Mais comme dans plusieurs contrats, Alstom subit des retards de production. Interrogé par BFM Business, l'industriel nous indique que la situation n'a pas évolué depuis sa dernière prise de parole sur le sujet en octobre dernier.
"La projection de livraison des rames Omneo Premium pour la région Sud a été revue à 7 rames minimum pour fin juin 2025. Ceci n’est qu’une projection (établie à 8 mois de l’échéance critique pour le lancement de l’exploitation commerciale) et nous travaillons sans relâche pour augmenter le nombre de rames qui seront réellement livrées fin juin 2025."
De son côté, Transdev nous précise qu'"au mois de juin 2025, Alstom aura livré 8 rames fonctionnelles et exploitables en service commercial. Le reste de la flotte sera livré de manière progressive au cours des mois suivants".
Avec moins de la moitié des rames au lancement, difficile de tenir la promesse de fréquence et de ponctualité. La solution? La location de trains à d'autres régions.
Des régions vont prêter des trains
Rappelons que les régions sont propriétaires du matériel roulant, elles peuvent donc en théorie, prêter ou transférer des rames au titre de la solidarité. Une piste qui ulcère les associations d'utilisateurs et les syndicats. "Un vrai scandale. Ce matériel prêté fera supprimer des trains à la SNCF", assène Sud Rail qui rappelle que les TER, de plus en plus utilisés, sont bondés un peu partout en France.
"Transdev met tout en œuvre pour respecter ses engagements vis-à-vis de son client Région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur, notamment par la mobilisation de matériel roulant en location n’impliquant pas de réduction de l’offre de transport dans les régions d’origine du matériel loué", assure l'opérateur à BFM Business.
Selon nos confrères de RMC, trois régions auraient répondu à cet appel, notamment l'Auvergne-Rhône-Alpes, où neuf rames sont inutilisées "compte tenu de la saturation des ateliers de maintenance existants", et la Région Grand Est.
Si ces transferts ne sont pas gratuits, la Région Sud entend faire payer la facture à Alstom à cause du retard de livraison qui donne lieu habituellement à des pénalités. C'est d'ailleurs un scénario observé en Allemagne avec des trains régionaux à hydrogène immobilisés.
À cinq mois du lancement, 70% de l'effectif recruté
Mais ce n'est pas le seul problème. Transdev peine également à recruter des agents de conduite.
La loi impose aux cheminots de la SNCF concernés par un changement d'opérateur d'être transférés chez le nouvel exploitant mais seulement s'ils travaillaient plus de la moitié du temps sur la ligne transférée.
Or, une minorité d'entre eux étaient dans ce cas, le transfert se fait donc sur la base du volontariat. Et une grande majorité a refusé d'être transférée chez Transdev, qui propose certes le maintien du salaire net, mais des avantages sociaux moins séduisants que ceux de la SNCF (notamment pour les conducteurs au statut).
Selon un rapport de la Cour des comptes publié en septembre 2024, "seuls 27 agents sur 163 se sont portés volontaires pour rejoindre Transdev".
Transdev nous précise qu'"un peu plus de 200 collaborateurs seront accueillis au sein de la société Transdev Rail Sud Inter-métropoles. Parmi ces effectifs, 44 seront des conducteurs, 20 auront la responsabilité de la maintenance ferroviaire et 75 seront chargés de la relation avec les clients voyageurs".
Et d'ajouter qu"à cinq mois du début de l’exploitation commerciale, nous avons recruté plus de 70% de l'effectif, tandis que les sessions de formation de nos futurs conducteurs de trains sont organisées depuis l’été dernier".
Des conducteurs de bus qui passent au train?
Pour avoir le nombre souhaité de conducteurs, selon nos informations, l'entreprise se tournerait vers ses conducteurs de bus, issus notamment de ses propres effectifs (Trandev opère 113 réseaux en France).
"Un conducteur de bus, ce n'est pas un conducteur de train et la formation proposée de 10 mois est trop courte", grince une source syndicale.
Surtout, cette formation est rendue difficile par le retard des trains neufs d'Alstom. "Ils font des tests sur la ligne avec des locomotives ou des simulateurs, ils ne seront donc pas prêts quand les rames neuves arriveront", estime cette source.
L'opérateur possède néanmoins son propre organisme de formation ferroviaire, habilité à former des conducteurs de train, et le personnel en charge de tâches de sécurité. Sur ces points, Transdev n'a pas répondu à nos questions.
Par ailleurs, ces rames neuves doivent être "déverminées" selon le jargon ferroviaire. Traduction: des problèmes de jeunesse sont toujours observés lors des débuts des circulations commerciales, des problèmes rendus plus difficiles à résoudre par le manque d'expérience des conducteurs. "Il y aura des pannes et ça sera le chaos", tranche une source syndicale.