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51 euros par habitant: la France est-elle le pays d'Europe où on investit le moins dans le rail?

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Comme chaque année, l'association allemande "Alliance pour le rail" publie son classement des investissements dans les infrastructures ferroviaires. Mais ce palmarès ne prend pas en compte toutes les sources de financement.

Derrière les grands discours, la réalité des chiffres fait mal. Selon la dernière édition du classement européen des investissements dans les infrastructures ferroviaires par habitant, réalisé par l'association Alliance pour le rail qui se base sur des données du cabinet de conseil SCI Verkehr*, la France atterrit une nouvelle fois à la dernière place avec la somme de 51 euros par habitant en 2023.

Comme le montre le graphique ci-dessous, la France fait moins que ses voisins comme l'Espagne (70 euros par habitant), l'Allemagne (115 euros) ou encore les Pays-Bas (174 euros).

Investissement dans le ferroviaire par pays et par habitant en 2023
Investissement dans le ferroviaire par pays et par habitant en 2023 © Allianz pro Shiene

Le classement est dominé par l'Autriche (336 euros), la Suisse (477 euros) et le Luxembourg (512 euros) qui investissement massivement dans le rail depuis toujours compte tenu de leur situation géographique et de la taille plus petite de leur territoire (et donc de leurs réseaux ferroviaires).

Un financement plus complexe qu'il n'y paraît

Si l'investissement en France a augmenté de 5 euros par habitant par rapport à 2022, l'effort paraît néanmoins insuffisant compte tenu des enjeux.

C'est l'un des points noirs de la SNCF. Son réseau vieillissant (30 ans de moyenne d'âge) a d'importantes conséquences sur la circulation et la sécurité des trains. Le sous-investissement historique et chronique dans le réseau non-TGV qui provoque des ralentissements de la vitesse des trains, voire des fermetures de lignes, notamment dans les trains régionaux (TER).

Pour autant, le montant de 51 euros par habitant doit être nuancé compte tenu du modèle économique particulier du rail en France.

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Le financement du réseau ferroviaire français est alimenté par quatre sources: les recettes commerciales (péages) payées par les opérateurs, l'État (pour les lignes d'équilibre du territoire) exploitant le réseau (55% des recettes), les subventions publiques et spécifiques (24%) et l'emprunt.

Or, l'étude d'Allianz Pro-Schiene ne prend en compte que les dépenses publiques, pas les péages, ni l'emprunt ou encore les investissements faits sur les propres ressources des entreprises ferroviaires.

En France, le contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau (qui a en charge l'infrastructure et sa maintenance) est passé à 4,5 milliards en 2027. Pour 2024 par exemple, les 300 millions d'euros supplémentaires seront prélevés sur les dividendes versés par le groupe SNCF à l’État, son unique actionnaire. Et la même méthode devrait être utilisée pour les deux années suivantes.

L'Allemagne a un modèle bien différent: 86 milliards d’euros seront consacrés à son réseau sur dix ans dont les trois quarts sont à la charge de l’État fédéral, et un quart à la charge des Länder (les régions).

Un modèle français particulier

Évidemment, qui dit dividendes, dit bénéfices. La SNCF est certes dans le vert mais "s'agissant des années à venir, il est trop tôt pour estimer sa capacité contributive, qui dépendra de ses résultats", indique-t-elle. Manière de prévenir le gouvernement qu'elle ne pourra pas mettre la main à la poche en cas de pertes.

Dans le même temps, l'arrivée de concurrents (Renfe, Treintalia) génère également plus de revenus pour SNCF Réseau puisqu'ils doivent aussi payer ces péages, parmi les plus chers d'Europe (40% du prix d'un billet de TGV). De quoi donner plus de moyens a priori au gestionnaire.

Reste que cette somme s'avère insuffisante par rapport aux travaux nécessaires. Mais si le gouvernement (d'Elisabeth Borne) avait promis une enveloppe globale de 100 milliards d'euros d'ici 2040 pour le ferroviaire, le secteur attend toujours d'en voir la couleur.

En attendant, "le décrochage se confirme. Ce sont non seulement des lignes qui se meurent mais aussi une qualité qui ne peut s’améliorer sur l’ensemble du réseau et donc des choix de privilégier telles lignes à la discrétion du politique local, d’un calendrier budgétaire selon les critères de Bercy", se désole Fanny Arav, secrétaire générale adjointe du syndicat Unsa-Ferroviaire.

"Sur le long terme c’est le risque de bascule irrémédiable façon hôpital public, un socle d’actifs financiers qui se dégradent ce qui par effet mécanique va impacter le niveau de dette possible pour SNCF Réseau", poursuit la syndicaliste.

*Les investissements dans l'infrastructure ferroviaire au cours de l'exercice concerné sont compilés et le montant est ensuite divisé par la population. Cela donne la valeur des investissements gouvernementaux dans le réseau ferroviaire par habitant au cours de l'année concernée. Tous les investissements de l'État dans l'infrastructure ferroviaire (investissements dans l'entretien, l'expansion et la nouvelle construction) sont pris en compte. Toute dépense publique qui n’est pas un investissement dans les infrastructures (par exemple les dépenses opérationnelles) n’est pas prise en compte. Ne sont pas non plus pris en compte les fonds d'investissement, ainsi que les investissements dans les infrastructures des entreprises d'infrastructure ferroviaire sur leurs propres ressources.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business