Chrome, nickel et palladium : les industries allemandes dépendent aussi de la Russie

Chrome, nickel et palladium, à des degrés divers, ces métaux vont être difficiles à remplacer, si tant est que le gouvernement allemand songe à les bloquer en provenance de Russie. L’IW, l’institut de recherche économique de Cologne, proche des employeurs de l’industrie, a confié à trois experts l’étude détaillée de cette dépendance, afin d’inciter pouvoirs publics et industriels à aller chercher ailleurs aussi vite que possible.
Dans le cas du chrome, matière première indispensable à la production de l'acier inoxydable, plus d’1/5ème des importations de l’Allemagne proviennent de Russie, alors qu’à l’échelle mondiale, les exportations russes ne représentent que 6%.
Pour ce qui concerne le palladium, le document décrit une dépendance plus grande encore. Il est utilisé pour fabriquer les pots catalytiques des voitures, mais aussi dans la chimie et l’électrotechnique. Près du quart des approvisionnements proviennent de Russie, arrivant sous forme de poudre non transformée. Ce débouché allemand s'avère le plus important, mais c’est l’ensemble du marché mondial qui pourrait subir une "nouvelle poussée des prix", sachant que le cours de l’once pour ce métal se situe déjà nettement au-dessus de celui de l’or.
Quant au nickel, présent dans toutes sortes d’objets métalliques, les chercheurs de l’IW font le constat d’industriels allemands pieds et poings liés. La part russe dépasse les 40 %, alors qu’elle n’est, somme toute, que d'environ 12% dans le monde.
Fournisseurs de rechange
Alors vers qui se tourner? Les experts proposent les alternatives géographiques, le cas échéant, toutefois il va falloir sortir bien loin du continent européen et diversifier les sources. Pour le palladium, il est question de solliciter l’Afrique du Sud, le Canada et le Zimbabwe. Pour le chrome, le Kazakhstan et l’Inde sont susceptibles de fournir les volumes de remplacement. Et s’agissant du nickel, l’Indonésie et les Philippines sont mis en avant.
Ces analystes ne proposent pas seulement des fournisseurs de rechange, même si les industriels les ont forcément eux-mêmes déjà identifiés, sauf qu'il paraît impossible que les immenses volumes requis soient satisfaits d’un claquement de doigt.
A l'examen, chaque métal connaît ses propres facteurs de tension géoéconomique. Si l'on prend le cas du nickel, l’Indonésie, qui représente près d'un tiers de la production mondiale, fait l’objet d’une plainte de l’Union européenne devant l’Organisation mondiale du commerce, en raison d’un différend sur des restrictions à l’exportation. Il va donc falloir commencer par trouver un compromis qui convienne à Jakarta. Tâche ardue, le 10 mars, le chef de l'Etat, Joko "Jokowi" Widodo, s'est déclaré indifférent à la désapprobation de l'UE et envisage même d'interdire d'autres minerais que le nickel. "Laissez-les [nous] poursuivre", a-t-il lancé.
Libre-échange
Surtout, les auteurs de l’étude se montrent persuadés que pour se défaire d’une dépendance accrue au gaz, au nickel ou bien au palladium russes, c'est toute la politique commerciale européenne qu’il y a lieu d'élargir. Ils estiment que la situation doit conduire à privilégier des accords de libre-échange avec de grands Etats producteurs, "à la fois riches en ressources et dotés d’institutions démocratiques", comme le Canada et l'Afrique du Sud.
On y retrouve le sens du discours du ministre libéral des Finances, Christian Lindner qui, récemment, a invoqué l’importance d'une relance du libre-échange avec les partenaires, de par le monde, "partageant les valeurs" de l’Allemagne, notamment avec les Etats-Unis et le Canada. Son collègue vert à l’Economie, Robert Habeck, a aussitôt écarté l'idée, en invoquant un format existant "plus simple et performant", celui du Conseil transatlantique pour le commerce et la technologie.
Pour autant, ce type de débat n’est pas près de s’éteindre. Dans un éditorial, le magazine économique allemand Wirtschaftswoche se demande si, dans ce domaine, le pays "en fait assez pour que Vladimir Poutine perde la guerre". En visant la coalition gouvernementale, Dieter Schnaas amoncelle les interrogations:
"Pourquoi signalent-ils à l'ennemi Poutine leur faiblesse et leur vulnérabilité? Pourquoi n'envisagent-ils pas un embargo commercial complet? Pourquoi n'exercent-ils pas davantage de pression sur les entreprises pour qu'elles tournent constamment le dos à l'ennemi à Moscou ?".
Hier, le gouvernement s'est réuni pour, de nouveau, discuter de sanctions plus sévères. Un durcissement des sanctions européennes devrait être annoncé ce mardi. S'en prendre aux métaux n'était pour le moment pas à l'ordre du jour.