"État de sidération": entre les droits de douane et la guerre en Ukraine, un dirigeant d'entreprise français sur cinq s'avoue totalement impréparé face aux menaces géopolitiques

Alors que les menaces géopolitiques s'aggravent, la majorité des dirigeants d'entreprises français demeure dans "une posture attentiste", voire dans un "état de sidération", selon une étude menée par l'Institut Géopolitique et Business de l'Essec, une grande école de commerce française, avec l'institut OpinionWay*.
"L'entrée dans la post-mondialisation, ère où les logiques géopolitiques dominent désormais les dynamiques économiques, va être douloureuse", prédit cet institut créé à la fin de l'année dernière.
Ses membres observent que "seule une minorité de dirigeants a choisi de prendre en compte les risques géopolitiques dans la conception des modèles d'affaires, et une minorité encore déploie un plan pour y parvenir".
Les menaces russes et chinoises sous-évaluées
Les risques sont pourtant déjà tangibles pour les chefs d'entreprises sondés. L'écrasante majorité d'entre eux (97%) déclarent que leur société a déjà été touchée par un événement géopolitique récent, à commencer par la hausse des coûts des matières premières et de l'énergie née de la guerre en Ukraine, mais également par des ruptures d'approvisionnement (46%) et des cyberattaques. Certains dirigeants observent aussi des effets plus inattendus, comme la démobilisation de leur équipe (20%), inquiète face aux développements de l'actualité.
Pourtant, "l'importance effective accordée par les dirigeants économiques aux risques géopolitiques est encore très inégale, malgré la prise de conscience généralisée", note l'Institut Géopolitique et Business.
Celui-ci relève que les "menaces russes et chinoises" sur l'économie européenne sont sous-estimées par les chefs d'entreprises, contrairement à la "logique de prédation économique" américaine, qui est mieux identifiée.
La guerre commerciale relancée par les États-Unis est considéré comme le risque le plus prégnant (30%), devant la perte de souveraineté sur les données (17%) et la guerre en Ukraine (13%). La menace russe sur l'Europe et les tensions dans le détroit de Taïwan ne sont citées comme préoccupantes que par 8% et 4% des personnes interrogées. Une étude de Bloomberg a pourtant estimé qu'une guerre à Taïwan pourrait amputer le PIB de l'Union européenne jusqu'à 10%, en raison des pénuries de semi-conducteurs, soit un choc économique deux fois plus violent que la pandémie de Covid-19.
"Brouillard de la guerre"
Malgré tout, ces risques restent secondaires ou absents de la stratégie de 53% des entreprises sondées et un dirigeant sur cinq s'avoue totalement impréparé. L'étude détecte notamment une impréparation à gérer les conséquences de ces risques en interne. Une nette majorité des patrons sondés (59%) disent qu'ils s'en remettraient à des instructions extérieures, de leur siège ou des pouvoirs publics. Ils déclarent attendre de ces derniers un discours plus clair sur les menaces, jugeant "confus" (52%) ou "anxiogène" (42%) l'expression "d'économie de guerre" employée par Emmanuel Macron dès 2022.
"Reste à accepter que l’épais brouillard de la guerre entoure aussi la guerre hybride et qu’à partir d’un certain point, les entreprises risquent de devoir commencer à s’équiper par elles-mêmes pour le traverser", juge toutefois l'Institut Géopolitique et Business de l'Essec.
Ses membres recommandent donc l'acquisition de compétences internes pour développer l'analyse et adapter les stratégies.
*L'institut OpinionWay a interrogé pour l'Essec 100 membres de comités directeurs ou de comités exécutifs d’entreprises de 250 salariés ou plus, reflétant la diversité de taille et de secteurs de l’économie française, entre le 30 juin et le 11 juillet. OpinionWay précise que les résultats doivent être lus en tenant compte des marges d'incertitude: 4,4 à 10 points au plus pour un échantillon de 100 personnes.