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TOUT COMPRENDRE. EDF: comment le départ du patron Luc Rémont est devenu inéluctable

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Arrivé il y a un peu plus de deux ans, le patron d'EDF devrait être remplacé par le directeur général de Framatome Bernard Fontana pour "accélérer" le chantier industriel pharaonique de la relance du nucléaire.

Plus de deux ans après son arrivée, le patron d'EDF Luc Rémont ne devrait pas être reconduit à son poste, Emmanuel Macron prévoyant de le remplacer par le directeur général de Framatome Bernard Fontana, pour "accélérer" le chantier industriel pharaonique de la relance du nucléaire.

Cette nomination, envisagée par le président de la République, pourrait intervenir rapidement, "dès que possible", alors que le mandat d'administrateur de Luc Rémont s'achève à l'été, a précisé une source étatique proche du dossier. Elle doit d'abord être approuvée à l'Assemblée nationale et au Sénat.

• Où en est EDF dans la relance du nucléaire?

Luc Rémont se retrouve remercié quelques jours après un conseil de politique nucléaire (CPN), réuni lundi par Emmanuel Macron, un point d'étape sur l'avancement du programme de construction de six EPR2 qu'il avait annoncé en grande pompe en 2022. L'occasion pour l'État de remettre la pression sur EDF, sommé "d'amplifier les actions de maîtrise des coûts et du calendrier" de ce chantier colossal, sur des dizaines d'années et synonyme de gros investissements, selon le communiqué de l'Elysée lundi.

L'État a en tête "des échéances majeures qui arrivent", avec une "décision finale d'investissements" attendue en 2026, étape cruciale pour lancer le chantier, et "les premiers bétons (qui) doivent ensuite arriver le plus rapidement possible", affirme la source étatique proche du dossier. Pour l'État, il s'agit d'éviter la répétition du scénario de Flamanville, le chantier de l'EPR normand émaillé d'aléas techniques qui ont fait déraper les coûts et le calendrier.

"Aujourd'hui, souligne la source, "l'enjeu de maîtrise industrielle (...) est vraiment une priorité et pour le moment pas totalement satisfaisant".

Une source gouvernementale a affirmé à la presse que le départ de Luc Rémont n'était "pas" une "sanction". "Le coeur de la raison de la nomination, c'est vraiment l'enjeu industriel, ce n'est pas le sujet de la politique commerciale", a ajouté une source étatique proche du dossier.

• Comment étaient les relations entre Luc Rémont et l'État?

Luc Rémont avait été nommé par l'Élysée en novembre 2022, en pleine crise énergétique après la guerre en Ukraine et à l'entrée d'un hiver tendu sous la menace de coupures électriques en raison de problèmes de corrosion dans le parc nucléaire français, dont une grande partie avait dû être mise à l'arrêt.

Le patron d'EDF a été sous pression constante de l'État - redevenu actionnaire unique du groupe en juin 2023 - pour faire monter en puissance la production nucléaire en construisant de nouveaux réacteurs et se conformer ainsi à la volonté élyséenne de relancer l'atome pour permettre la décarbonation de l'industrie par son électrification. Dans cette optique, EDF devait doper ses investissements à un niveau "sans commune mesure" dans son histoire, avait prévenu Luc Rémont. Pour y arriver, cet habitué des arcanes du pouvoir n'a parfois pas hésité à monter au créneau face à l'État. Un conseil d'administration en septembre 2023 avait par exemple été le théâtre, selon une source interne d'EDF, d'une passe d'armes entre Luc Rémont et une représentante de l'État.

Au sommet de l'État, on loue aujourd'hui le "gros travail" et les "progrès extrêmement importants" de Luc Rémont "sur le redressement de la production du parc existant". Sous son mandat, EDF est redevenue rentable, lui donnant une meilleure assise pour lancer le programme nucléaire. On reconnaît aussi à Luc Rémont, selon une source gouvernementale, "un grand exercice de transparence" pour "objectiver l'ensemble des sujets (...) soulevés par ce programme". Mais sans convaincre totalement l'État actionnaire.

• L'industrie française a-t-elle contribué à ce départ?

Depuis plus d'un an, les relations de Luc Rémont avec ses plus gros clients, les industriels français, s'étaient très fortement dégradées. Des chimistes aux fonderies d'acier ou d'aluminium, en passant par les verriers ou les papetiers, partout en France les responsables des industries de base, grandes consommatrices d'énergie, font remonter depuis des mois au gouvernement leurs difficultés à survivre face à une concurrence exacerbée, mais aussi à l'intransigeance d'EDF sur ses tarifs pour l'après 2025.

"Le prix de l'électricité pourra doubler, c'est +100%. Donc il n'y aura pas de maintien de l'industrie en France voire de réindustralisation et de décarbonation si on marche sur la tête comme on est en train de marcher sur la tête", a déclaré jeudi sur BFM Business le patron du groupe Saint-Gobain Benoit Bazin, évoquant "un bras d'honneur à l'industrie française."

Au centre des critiques, la décision annoncée début mars par EDF de mettre aux enchères - c'est-à-dire de vendre au plus offrant - des quotas d'électricité alors que l'électricien s'était engagé en novembre 2023 à proposer de l'électricité sous forme de contrat à long terme à tarif compétitif aux industriels. Mais les négociations commerciales pour remplacer le système Arenh, qui permettait aux gros clients d'EDF de disposer d'une électricité à prix cassé et qui prend fin en décembre 2025, n'aboutissent pas et ont tourné récemment au bras de fer.

Le ministre de l'Énergie et de l'Industrie Marc Ferracci, soucieux d'éviter une désindustrialisation du pays, a multiplié ces dernières semaines des visites d'usines. Partout, les chefs d'entreprise lui font part des difficultés à négocier et obtenir des tarifs d'électricité acceptables pour leur compétitivité. Un sommet sur l'acier a été organisé récemment à Bercy, où le prix de l'énergie a été au coeur des débats. L'industrie chimique se dit aussi étranglée. Vendredi, le président de l'association réunissant les industriels gros consommateurs d'énergie (Uniden), Nicolas de Warren, a néanmoins réfuté l'idée que l'industrie ait eu la peau de Luc Rémont.

"Nous, les clients, représentons des centaines de millions d'euros alors que l'enjeu du financement du nucléaire, c'est une question à 70 milliards d'euros, autrement plus compliquée à résoudre [...] L'essentiel est que l'industrie reste en France et que l'on maximise l'atout nucléaire en même temps."

• Pourquoi le choix de Bernard Fontana en remplacement?

Bernard Fontana, choisi par l'exécutif pour prendre la tête d'EDF et succéder à son PDG sortant, a l'avantage de bien connaître l'énergéticien et le nucléaire, mais également les clients du groupe, engagés depuis des mois dans d'intenses négociations commerciales pour la fourniture d'énergie. La chimie, le béton, l'acier : autant de secteurs gourmands en énergie et que Bernard Fontana connaît bien, puisqu'il en a dirigé quelques fleurons comme Holcim. Tout au long de sa riche carrière de capitaine d'industrie, Bernard Fontana a travaillé dans des secteurs en crise en France et en Europe, dont la compétitivité est hautement tributaire des prix de l'électricité, d'autant qu'ils sont souvent soumis à une concurrence acharnée des États-Unis et de la Chine.

A son "profil plus industriel" s'ajoute également une très bonne connaissance du nucléaire. Depuis 2015, il est en effet devenu un acteur central de la filière française de l'atome : à la tête de Framatome, filiale d'EDF qui conçoit et met en service les réacteurs nucléaires, il a également pris la direction du pôle "Industrie et Services" d'EDF, en mars 2024, lors de la réorganisation des activités nucléaires du groupe.

Après avoir contribué au redressement de Framatome, en grave difficulté financière après l'échec de certains investissements et à la suite de la catastrophe nucléaire de Fukushima, Bernard Fontana est ainsi devenu un des hommes clés de l'énergéticien détenu à 100% par l'État, dans le cadre d'une réorganisation pensée pour améliorer la performance industrielle du groupe, dans un contexte de relance de l'atome.

Timothée Talbi avec AFP